TOM REG    "Mini-contes drolatiques ou déroutants"     page 27supp 

 

n° 255   ...    ( Et oui, petit bonus surprise ou "C'était pas fini !" )

                              - Bonne journée ! ...

                        (Quelques minutes après son départ, le voisin est de retour !) 

                              - Vous revoilà ? ...

                              - Bah oui, je ne pars plus ! Je reste chez moi !

                              - Je ne vous verrai pas davantage pour autant !

                              - J'aurai toujours néanmoins mon bouton sur le nez...Ecoutez voir, j'ai découvert un truc incroyable, là d'en bas, et qu'on nous cache certainement !

                              -  Et pourtant vous l'avez vu ?

                               -  Oui parfaitement. Une fissure ! Une énorme fissure sur la façade aveugle de ma tour, celle devant laquelle on ne passe jamais. Il faut s'engager sur le terre-plein qui ne mène nulle part...

                                - Aveugle ?

                                - Sans fenêtres, un mur lisse. Et pourtant parcourue du bas jusqu'en haut par une large et profonde lézarde ! C'est très inquiétant et à mon avis un de ces jours ça va s'écrouler !

                                 - Et du coup vous restez !

                                 - Mais oui ! Si c'est grave et assez urgent comme je le pense, ils seront obligés de nous évacuer et de nous reloger gratuitement ! C'est tout bénèf' non ? C'est une aubaine à saisir, rassurez-vous je vais très bien et je serais fou au contraire de ne pas en profiter !

                                 - Évidemment vu sous cet angle...Moi je dois dire que ça m'arrangerait plutôt, je n'ai jamais su déménager ! Jamais pu me décider à aller voir ailleurs...

                                  - Et bien voilà ! Déménagez !

                                   - Je vous ai dit, j'aimerais bien mais je ne sais pas où aller...

                                   - Mais juste en face ! Venez vous installer dans ma tour ! Ce ne sont pas les logements vacants qui manquent ! Et dans peu de temps vous changerez à nouveau pour de bon, gratuitement et pour un endroit choisi pour vous à l'avance !

                                    - C'est  peut-être bien en effet la solution idéale à mon problème de logement...

                                    - Vous voyez ! Tenez c'est vous qui allez faire votre lettre de résiliation pour ici et je la posterai en descendant. Curieuse inversion des choses mais vous verrez que vous ne le regretterez pas.

                                    - C'est une fissure providentielle et pour tout dire miraculeuse, non ?

                                     - Oh vous savez quoi ? Vous allez descendre avec moi et nous monterons tout de suite visiter l'appartement qu'il vous faut pour redescendre aussitôt après faire les papiers au bureau qui est en bas dans le hall. Ainsi vous ne perdrez pas de temps et pourrez peut-être emménager dès demain...

                                      - Simple changement de tour finalement...

                                      - Mais oui et les formalités sont simplifiées dans ces cas-là. Il n' y a qu'un seul papier à signer deux fois en sens inverse !

                                       - Dès demain dans votre tour...Mais alors je ne vous verrai plus !

                                       - Quelle importance ! Rappelez-vous que vous m'avez déjà tellement regardé d'en face que vous m'avez comme visualisé une fois pour toutes !

                                        - C'est vrai, j'avais oublié.

                                        - Vous c'est pareil, je vous ai encore bien souvent dans la pupille ! Et cela suffit !Désormais chacun chez soi, à son étage, à sa fenêtre, à regarder...tenez les lointains, ils sont très beaux par ici et ils seront tout neufs pour vous ! Vous allez découvrir le Grand Anémomètre !

                                         - Je n'oublierai pas mon pochoir alors, car il paraît que sur cet appareil les couchers de soleil sont magnifiques !

                                         - S'il n'y a pas de vent oui, sinon vous ne le voyez pas ! Il n'est visible qu'au repos.

                                         - Tout est très différent de ce côté donc si je comprends bien...

                                         - Peu importe vous êtes ici comme en transit, n'oubliez notre arrangement...

                                         - Tout cela pour ne plus nous voir, nous voilà drôlement arrangés !

                                         - Il fallait cela, vous voyez c'est arrivé. Et de ce fait nous sommes dans la meilleure configuration possible de voisinage et d'habitation. Bientôt nous n'aurons plus à nous occuper de rien...Tout simplement nous ne serons plus là !

                                         - Mais cette fissure, elle existe vraiment ?

                                         - Oui bien sûr ! Dès que vous serez installée je vous emmènerai la voir. Je vous hisserai sur le terre-plein car je ne pense pas que vous puissiez y arriver toute seule...

                                          - Et là vous serez bien forcé de me voir !

                                          - Non car je tire toujours dans mon dos...

                                          - Alors c'est moi qui ne verrai pas votre bouton sur le nez !

                                          -  C'est une boule m'enfin...Mais auparavant, et même tout de suite si vous vouliez, il y aurait une chose à laquelle je tiens énormément...

                                          - Ah oui quoi donc ?

                                          - Ce serait que vous m'accompagniez jusqu'à l'escalier...Je vous en ai parlé tout à l'heure...Et que nous le montions ensemble un moment...voulez-vous ?

                                          - Je veux bien car il en vaut la peine semble-t-il...Et puis un escalier dans une tour ce n'est pas banal...Avec tous ces ascenseurs on se demande comment il a pu s'imposer et surtout rester... Dans celle d'en face, il n'y en a pas. Evidemment c'est surtout un escalier de secours ! 

                                          - Pas forcément...On peut y monter en tout cas très longtemps, aussi lentement qu'on veut pour que cela soit encore plus long...On y est bien, comme ailleurs déjà, personne ! A peine soi. Un désert bétonné, une sorte de cave en colimaçon !

                                          - Il y fait froid ?

                                          - Oh au début non mais au bout d'un certain temps peut-être oui...C'est curieux, pour monter ça va mais j'ai eu comme du mal à le redescendre !

                                           - Vous étiez fatigué, c'est très haut, ça doit en faire des marches !

                                           - Je n'étais pas allé jusqu'en haut pourtant. Non non, pas la fatigue, une drôle d' impression plutôt, une idée d'autre chose, autre chose que de redescendre ! Un peu comme si je m'imaginais que j'attendais quelqu'un ou en tout cas que quelqu'un devait venir et que je devais attendre son passage... J'ignorais s'il devait arriver par en haut ou monter lui aussi...Il ou elle du reste, je ne savais pas au juste...

                                            - Cela m'a l'air d'un drôle d'endroit...Vous voulez vraiment y retourner ? Cette noirceur sur votre visage quand vous en parlez ! On dirait que toutes les chauve-souris du monde s'y sont donné rendez-vous...Et cette blancheur en même temps! Vraiment ce n'est pas naturel, vous devriez voir ce que vous pouvez faire !

                                            - Et bien je crois que je peux y remonter mais ce n'est pas sûr...Je n'y suis allé qu'une fois, aussi je ne me souviens pas très bien à part cette impression assez curieuse de dénuement...

                                            - C'est probablement la nudité des murs de béton brut qui vous a fait penser à une cave qui monte. Sinon où irait-elle, allons, où cela mènerait-il ?

                                            - Vous avez raison...Accompagnez-moi, suivez-moi ! Montons-le de concert ! C'est gratuit et l'acoustique est excellente ! Vous verrez on entend toutes sortes de bruits qui font comme une musique !

                                             - Une musiquette tout au plus...

                                             - Je monterai d'un bon pas devant vous pour faire bonne figure quand même puisque vous ne la verrez pas et que moi je ne pourrai pas me retourner à cause de ma petite boule sur le nez vous savez, que vous n'avez jamais vue !  Et cela fera un tout, une équivalence subtile, une symétrie parfaite entre nous deux ! Nous serons comme quantifiés avant même d'avoir foulé la première marche...

                                             - Y a-t-il seulement une première marche ? J'ai connu des escaliers qui n'en avaient pas ! 

                                             - Dans ceux-là c'est la dernière qui redescend et on a beau recommencer cent fois on n'arrive jamais au sommet, je connais, mais rassurez-vous ce n'est pas le cas de celui-ci, il vous éjecterait plutôt que de vous garder indéfiniment en écureuil de rôtissoire !

                                             - J'aimerais bien monter et descendre sans arrêt et sans jamais faire demi-tour !

                                             - Vous n'aurez qu'à me suivre suffisamment longtemps...                                      

                                             - Si je ne m'endors pas auparavant, avec cette noirceur qu'on aperçoit là-bas... Voulez-vous que j'aille quérir une lampe ou aller chercher la mienne ?

                                              - Non il y a je crois des sortes de hublots tous les deux étages donnant sur ce terre-plein si lumineux,  cela est bien suffisant vu tout ce qu'il peut apparemment renvoyer par plein soleil comme aujourd'hui ou même de la lune sait-on jamais...

                                               - Donc je ne vous verrai pas, même à quelques marches devant moi. vous le savez bien !

                                               - Ou alors je me trompe, les hublots donnent plutôt de l'autre côté sur une sorte de gaine intérieure ou même sur un autre escalier, je ne sais plus au juste, oui c'est ça, sur celui qui descend!

                                                - Croyez-vous que le nôtre montera effectivement ? Je veux dire que c'est bien celui qui monte ?

                                                - Le nôtre ! Vous avez dit le nôtre ! Comme c'est bon d'entendre cela ! Vous voyez je ne me suis pas totalement fourvoyé moi-même en vous attirant par ici...Nous sommes bien deux désormais, certes nous ne pouvons toujours plus nous voir mais nous avons encore un très long chemin à parcourir ! Et cela peut donc s'arranger ! ...Celui qui monte disiez-vous ? Mais ils montent peut-être tous les deux ma chère...

                                                 - Oh oh pas trop de familiarité, n'oubliez pas que je ne peux toujours pas vous voir, vous ayant déjà trop vu !

                                                 - Et réciproquement, à cause des fils qui pendent, du karaoké sans musique et sans voix, de tous les mirages à l'horizon, des lampes qu'on n'allume pas, etc, etc...

                                                 - C'est vrai, vous auriez pu allumer de temps en temps, que je vous voie au moins une fois...

                                                 - Vous m'aviez déjà trop vu...

                                                 - Ou bien je ne savais pas encore que c'était vous et je ne regardais pas. Cette silhouette dans le noir, ces faux pas, titubant presque, s'accrochant aux rideaux pensant les épousseter...

                                                 - Ce n'était pas moi, je n'avais pas de rideaux...

                                                 - Vous les tiriez pourtant ! Le soir ! Non ?

                                                 - Inutile, la nuit me fermait l'oeil et réciproquement. Oui, je finissais par fermer l'oeil de la nuit !

                                                 - Vous étiez donc déjà très spécial en ce temps-là !

                                                 - Je ne savais pas me réfréner, me modérer, envisager un peu les choses sous un angle plus favorable, c'est à dire moins personnel...voyez ?

                                                  - Vous auriez changé ? Pourquoi cela ? Pour ces années de solitude à vous retourner les sangs dès le soir venu ? Vous pensez que c'est suffisant ?

                                                  - La nuit avait un drôle d'oeil mais il m'arrivait pourtant de la traverser !

                                                  - Au début peut-être, mais pour finir c'est chez vous et souvent sans vous en rendre compte, que vous faisiez les traversées les plus glauques...L'Esplanade des Invalides par exemple, dans ses ténèbres passé minuit, une fausse place ! Le Pont de Bir-Hakeim aux mêmes heures, du carton-pâte ! Vous étiez chez vous une bouteille à la main tout simplement...Dans le noir, assis dans votre fauteuil, les lumières de Paris au bout des pieds, Sinatra sur les oreilles ("Long night, what a long night my friend ! The bar-rooms and the bad streets dead-ends"... ) dans un silence absolu...Et dans votre espèce de bocal, vous bougiez un peu les lèvres comme un poisson, pour accompagner ou même vous identifier à...

                                                   - C'est vrai qu'intérieurement je me prenais alors un peu pour Frankie ! Je poussais les notes en même temps que lui, sans les pousser, sans rien dire, mais  néanmoins avec une sorte de souffrance, de tension due à un abominable effort pour m'émouvoir, m'épater, me subjuguer moi-même...

                                                   - Vous me paraissez un individu très douteux, vous ne vous intéressez donc qu'à vous-même ! Vous n'avez toujours pensé qu'à vous ! J'aurais dû me méfier avant de vous confier toutes mes affaires. Où sommes-nous du reste à présent ? Depuis le temps que je vous suis, que je marche derrière vous ! On dirait qu'on descend non ? Il est encore loin cet escalier ? Et la fissure, elle existe vraiment ?

                                                    - Tout cela existe bel et bien, tant mieux ou tant pis, l'avenir le dira...Suivez-moi encore un peu, dans un instant ça va monter, remonter !

                                                     - J'avance moins vite, j'ai les pieds qui collent !

                                                     - C'est peut-être une nouvelle habitude qui déjà vous tient, vous retient !

                                                     - C'est curieux avant, je glissais au contraire !

                                                     - Alors la pente s'est amoindrie ! Le bas de la cage est donc bien tout droit ! Et vous suivez-moi, une fois pour toutes ! Cela ira forcément plus vite...

                                                      - Je marche mieux c'est vrai, ma langueur s'est évanouie...Est-ce que je ne devrais pas en profiter pour aller chercher mes affaires et emménager tout de suite ?

                                                       - Il vaudrait peut-être mieux passer avant par le bureau pour être sûre de...

                                                        - Mais c'est fait ! J'ai le papier, signé et tamponné, tenez, prenez-le...

                                                        - Mais oui je vois ça et il est bien signé deux fois et à l'envers ! C'est extraordinaire, comment avez-vous fait ? Je ne me suis aperçu de rien !

                                                         - J'y suis allée quand nous sommes passés devant tout simplement. C'est effectivement très rapide, vous aviez raison...Qu'est-ce qui vous étonne ?

                                                          - Je ne savais pas que c'était aussi rapide que cela ! C'est formidable. Mais vous avez les clés ?

                                                           - Oui, écoutez !

                                                            - C'est plausiblement un bruit de clés en effet...Mais ce sont peut-être celles de votre ancien logis...

                                                            - Où il faut que je retourne tout de suite pour préparer mon transfert, pour en finir avec cette horrible tour qui n'avait rien pour moi d'une tour de transit alors que celle-ci, à vous croire, m'offre de formidables possibilités, comme un grand échappatoire finalement...

                                                             - Vous n'avez pas idée !

                                                             - D'où en tout cas je partirai sous peu et donc aussi pour toujours de cet horrible endroit où je dépérissais à regarder passer les nuages et à me figurer, là où il n'y avait sans doute rien ni personne, des silhouettes derrière les vitres d'en face !

                                                             - Vous vous figuriez que c'était moi sans me connaître !

                                                             - Oui j'ai cru vous reconnaître à un moment sans vous avoir jamais vu...

                                                             - Et tout ça entre deux nuages qui se reflétaient quelquefois. J'avais la même vision de mon côté ! Nous nous ignorions symétriquement ! Et pourtant je suis reconnaissable entre mille...

                                                             - Entre mille nuages ? C'était donc bien vous ! J'aurais dû m'en douter. Rendez-moi mon "A-valoir d'occupation provisoire" je le rangerai bien comme il faut pour être certaine de ne pas me retrouver je ne sais trop où, à compter je ne sais trop quoi, les moutons, les moutons dans le ciel, c'est ça ? Vous êtes bien sûr de ne pas me vouloir tout bonnement sans-abri ?

                                                              - Les relogements seront luxueux. C'est une société spécialisée qui s'en charge. La surface est rectifiée au prorata du danger ayant justifié le transfert de sauvegarde. Quand vous aurez vu la fissure, vous mesurerez du même coup le standing de votre nouvel appartement ! Situé peut-être au diable vauvert, dans un petit immeuble ne payant pas de mine, mais très cossu intérieurement.

                                                               - Avec cette fois-ci une vue au ras des pâquerettes ! Sans vis-à-vis ni voisins d'aucune sorte ! Une espèce de bungalow même ferait l'affaire, un cabanon, une cabane ou encore mieux, une cabine !

                                                               - Qui finira peut-être en cabinet, ça s'est déjà vu...De toute façon vous prendrez ce qu'on vous donnera...En attendant pressez un peu le pas, c'est par ici !

                                                                - Je colle à nouveau et puis j'aimerais mieux remettre à demain , on aurait plus de temps...non ?

                                                                - Mais ce ne sera pas long, c'est  juste pour y faire un saut ! Et puis vous verrez, on monte un peu lentement d'accord mais on redescend vite !

                                                               - Comme vous voulez, essayons...si on ne s'éternise pas !

                                                                - L'éternité est toujours au bout du chemin ou en haut, il suffit de ne pas trop s'arrêter en route et d'avancer le plus vite possible. Vous verrez ce n'est pas sorcier...Je reste donc devant vous pour mieux symboliquement vous guider, être si vous voulez, pour vous, en ce chemin de hasard et d'élévation, une sorte de psychopompe...

                                                                  - Faites comme il vous plaira car de toute manière je ne vous vois toujours pas et c'est heureux car vous m'avez l'air de vouloir prendre une drôle de tournure dans cette bien curieuse affaire...De quoi s'agit-il au juste ?

                                                                  - On monte et on descend ! C'est le fil de la vie ! Ceux qui pendent aux fenêtres de votre tour en sont la parfaite illustration !  Et vus de chez moi, ils vous pendent au nez tout simplement ! Vous me suivez ?

                                                                   - Je ne sais même plus dans quelle tour je suis...Je me demande si je ne devrais pas retourner dans la mienne, malgré tous ces fils oui mais que moi je ne vois pas !

                                                                   - Ne pouvant pas atteindre ma tour, et peut-être même ma fenêtre pour certains d'entre eux, malgré tous les efforts nocturnes et en l'absence de funambules dignes de ce nom ou doués d'une réelle persévérance,  ils continuent à pendre tout au long du jour, tombant sans tomber !

                                                                    - J'ai bien peur de ne pas pouvoir en dire autant tout à l'heure ! 

                                                                    - Vous vous accrocherez à mon bras !

                                                                    - J'aurai l'impression de tomber tout autant, par excès de fatigue je suppose ! Je n'ai jamais supporté les montées d'escalier. Monter trois marches déjà m'épuise ! Le premier étage me voit chanceler, et le troisième étage m'effondrer carrément.

                                                                    - Mais rassurez-vous, nous tomberons tous les deux ! Tenez pour être plus sûr, passez donc devant car vous voyez bien que cela monte déjà. Ainsi le moment venu je pourrai plus facilement vous pousser...

                                                                    - Volontiers car cet escalier me paraît curieux...Il n'a pas beacoup de marches !

                                                                     - C'est exact, au début elles sont comme intermittentes mais vous allez voir il va vite se ressaisir et vous ne pourrez plus les compter ! Plus les gravir, seulement les enjamber!

                                                                     - Tout ça pour des bruits ! Qu'est-ce qu'on entend exactement là-haut ?

                                                                     - Oui c'est ça, des bruits, des petits bruits...

                                                                      - Et vous en êtes l'oreille qui monte pour mieux les entendre... Vous m'aviez dit imprévisibles je crois ?

                                                                      - Je n'en ai jamais entendu deux identiques.

                                                                      - Vous ne passiez peut-être pas toujours à la même heure...

                                                                      - Je trépassais plutôt, alors vous comprenez l'heure !

                                                                      - Décidément on ne vit pas très bien dans votre escalier...On y mourrait plutôt si j'ai bien compris...

                                                                      - Il semble en effet qu'on puisse y venir pour cela !

                                                                      - Ces bruits vous auriez pu les enregistrer une fois pour toutes et les faire écouter à qui bon vous semble sans avoir besoin d'entraîner les gens jusqu'ici dans cette sorte de corridor hasardeux !

                                                                      - Les gens ! Les gens ! Vous êtes bien la première et la seule que je ferai jamais venir ici...De toute façon vous êtes ma seule et unique voisine...

                                                                      - Que vous n'avez toujours pas vue, enfin je veux dire vraiment vue, réellement regardée une seule fois...

                                                                      - Parce que je ne peux pas la voir...

                                                                      - Pourquoi cela ?

                                                                      - Parce qu'elle n'aura peut-être jamais existé !

                                                                      - Quand donc aurez-vous fini de vous parler à vous-même ? Vous faites de l'auto-ectoplasmie ! Vous vous voyez tout blême et ondulant dans les coins ! Cessez de monter là où vous risquez de descendre pour de bon ! La chute libre et pour toujours ! Et la pire de toutes, la chute intérieure de l'estime de soi ! Jusqu'à la haine et au dégoût !

                                                                      - C'est justement pour éviter cela que je monte tout allègre ces quelques marches, ayant en plus le dessein également salutaire pour vous de vous entraîner avec moi, de vous y pousser peut-être mais finalement consentante sans le savoir...

                                                                      -  Il semble que les marches s'amollissent au moment de mettre le pied dessus ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Où sommes-nous à présent ?

                                                                       - C'est que nous approchons ! Laissez-moi passer, je veux être le premier à la voir !    ...Oh non ! Vous voyez ça ?

                                                                       - C'est indubitablement une fissure. Vous ne m'aviez pas menti et je vous en sais gré...Mais vous avez l'air désappointé, bouleversé même, même de dos !  Pourquoi cela ?

                                                                        - Parce qu'elle n'est pas aussi large que je pensais...On peut à peine y passer le bras et cela change tout ! Quel frein inattendu à mes projets ! Quelle retenue intempestive! C'était vraiment la porte étroite !

                                                                         - Comment cela peut-il vous rendre si amer ?

                                                                         - Mais parce qu'ils vont la colmater ! Et que si du coup nous sommes bien toujours là, vue l'étroitesse de la fente, en revanche notre projet de réinstallation gratuite s'effondre du même coup !

                                                                         - Et nous sommes donc condamnés à rester ici éternellement !

                                                                         - L'au-delà de ces tours nous est comme interdit !

                                                                         - Quelle horreur ! Et je vais tout simplement retourner dans la mienne ! Pour éviter au moins ce déménagement inutile...Je vais commencer par rendre mon papier et les clés là en bas. Ce n'est pas de gaîté de coeur croyez-moi ! J'ai l'impression d'être suspendue dans le vide entre les deux ! Sur le seul fil qui pour une fois ne pendrait pas et qui tiendrait bon, qui me tiendrait ainsi pour toujours !

                                                                          - Allez rendre votre papier et vos clés mais ne retournez pas chez vous.     

                                                                          - C'est à croire que vous me voulez sous les ponts ou au grand dortoir des petits lits blancs ! Franchement, où voulez-vous que je m'installe ?

                                                                           - Chez moi, ici au 22ème !

                                                                            - C'est sérieux ?

                                                                            - Depuis que je vous ai aperçue en face il y a déjà longtemps  je n'ai plus pensé qu'à ça. Plutôt que de vous voir sans arrêt toute seule dans cette immense tour à préparer vos petits plats et à regarder aux jumelles je ne savais trop quoi dans ma direction, je me suis dit que vous seriez peut-être mieux à côté de chez moi et même chez moi, carrément chez moi !   En tout cas plus en face ! Je ne pouvais plus tenir !

                                                                             - Moi aussi en vous voyant toujours seul faire des sortes  de mimiques de music-hall, peut-être juste des bâillements, le soir venu dans cette tour entièrement vide, avant de disparaître tout doucement dans le noir général et permanent de la façade, l'idée m'était venue qu'on au-rait pu réunir nos deux loupiotes...

                                                                                - J'allumais rarement la mienne... Je préférais regarder la vôtre dans le noir, du fond de mon lit !       

                                                                              - Cette pâleur que ça devait produire ! Mais vous pouviez la voir vraiment ?

                                                                             - Je pensais la voir oui, c'est l'essentiel...L'apercevoir...Mais parfois c'était sans doute la lune sur le bord de mon lit. Vous vous complétiez dans ma vision imaginaire des choses ! C'était la nuit noire, la nuit absolue...Heureusement, soleil ou non, le matin venait rallumer tout ça ! Et à chaque fois vous aviez disparu, vous n'existiez plus !

                                                                              - Et j'existais si peu que je ne fais pas bien la différence entre le jour et la nuit...

                                                                              - Enfin tout cela est bien fini, vous êtes entrée dans ma lueur, dans cette sorte de ni jour ni nuit qui me caractérise et me sied..Vous allez voir ça, une pénombre lumineuse! En attendant, vous devriez repasser au bureau pour votre papier qui ne vous sert plus à rien...

                                                                               - J'en reviens à l'instant, il n'y avait personne...

                                                                               - Ils doivent bien j'imagine fermer de temps en temps...

                                                                               - Non non, c'était grand ouvert et non seulement il n' y avait plus personne mais ça ne ressemblait plus vraiment à un bureau...          

                                                                               - C'est un simple renouvellement des cadres. Ils étaient bien vieux non ?  Ils vont devoir recommencer à zéro, tout reprendre à neuf ! Mais ne vous occupez pas, votre papier est de ce fait valable pour l'éternité et pour rien puisque vous serez mienne dans mon petit nid blanc et douillet et que tout le reste autour aura disparu...Si bien sûr notre loft tient le coup et surtout la distance...

                                                                                - La distance temporelle ! Car il est fort probable que cela ne tiendra pas bien longtemps...

                                                                                - Nous nous balancerons peut-être quelque instants dans l'azur !                      

                                                                                - Je crois pour ma part m'engager dans une situation peu stable et qui menacera de s'écrouler dès le début !

                                                                                - Vous nous prédisez la catastrophe, ce n'est pas très gentil!Vous verrez que tout se passera bien...En attendant justement, repassez donc devant, vous ne risquez plus rien à présent...

                                                                                 - Vous m'auriez poussée dans le vide n'est-ce pas ?

                                                                                 - Mais c'est en faisant mine de vous rattraper que vous m'auriez entraîné avec vous ! Donnant-donnant, vous voyez nous sommes quittes...                     

                                                                                  - J'admire la façon dont vous tournez sans vous retourner. Ainsi je ne vous ai toujours pas vu. Seulement je doute que cela puisse encore durer bien longtemps si nous devons...

                                                                                  - Justement voici les clés de mon music-hall...Entrez-y la première et dans l'entrée tout de suite à gauche dans un grand placard vous trouverez un paravent que vous déplierez entièrement au milieu de la pièce et que vous disposerez de manière à la séparer exactement en deux parties égales...Je ne veux pas vous voir ! Pas une seule fois ! Vous m'entendez ? Jamais !                                                                                 

                                                                                   - Ne vous en faites pas. Je vais suivre mot à mot vos indications car sachez bien que j'entre chez vous dans un état d'esprit strictement identique au vôtre et dans la symétrie parfaite de vos prétentions et lubies. Vous ne me verrez pas, j'ai du reste horreur qu'on me regarde, avec des jumelles ou non, ou même juste qu'on puisse me voir ou m'entendre ! Je serai donc de plus muette. Toutefois derrière le paravent vous entendrez je suppose, de temps à autre, simplement des bruits, des petits bruits...!

                                                                                    - Et quelques craquements aussi peut-être...!  

                                                                                    - Mais il pourrait s'agir d'un simple bruitage...

                                                                                     - Ce serait sûrement notre seul espoir...

                                                                                

                                                                                   *****

 

n° 257   ...         - ...d'une interminable journée de bureau !

                          - Bureau dont vous aviez un mal fou à vous libérer ! Qui vous en a sorti ?

                          - Personne, j'ai fini par m'en extirper tout seul !

                          - Sans doute mais au bout de combien de temps !

                          - Je ne sais plus car j'avais déjà initié depuis belle lurette cette possibilité qui nous est à tous octroyée de se faire un chez-soi ailleurs même dans des combles à archives et de voir pour de bon un œil-de- boeuf graissé de poussière noire se transformer en une étincelante baie vitrée !

                          - Vous aviez donc déjà une tournure d'esprit très spéciale !

                          - J'avançais à tâtons comme je pouvais vers un peu plus de lumière...jusqu'à cette sorte de fenêtre à laquelle je fais désormais face un peu comme devant un hublot éternel...

                          - Tous les hublots ne sont pas éternels rassurez-vous !...Et puis attendez un peu vous finirez par voir passer d'autres gens, des silhouettes certes peut-être ni très définies ni très stables à cause de l'ondulation dont vous m'avez parlé...

                          -...parce que vous ne pouvez pas la voir...

                          - Mais qui seront tout autre chose que des personnages paraissant incarner des arpenteurs!De toute manière vous avez des papiers je suppose...

                          - Je n'en ai plus...Il me semble les avoir jetés par la fenêtre tout à l'heure sans le vouloir tout à fait. C'est pour cela que vous m'avez trouvé penché au dehors, tentant de regarder à l'extérieur si d'ici on  pouvait voir quelque chose...Mais non, je n'ai rien vu, il n' y avait rien, rien du tout !

                         - On ne voit jamais rien. Tout de même, vous ne devriez pas rester sans papiers. Puisque c'est ainsi je vais fermer votre hublot à clé !

                         - Vous m'aviez dit ne pas en avoir ou jamais celle qui convient ou pourrait convenir...

                         - Cela dépend, quelquefois j'en ai, d'autres pas...Aujourd'hui je vais essayer celle-ci et il est vrai que j'ai rarement les bonnes clés mais nous verrons bien...

                         - Quand même, vouloir fermer à clé une ouverture qui ne donne sur rien, vous avouerez que...

                         - Ah mais pardon, je n'avais pas remarqué...Il n'y a pas de serrure à votre hublot ! Donc je n'ai  rien dit et je reprends mes billes...Cela vous va-t-il ou allez-vous encore chinoiser ?

                         - Vous auriez pu en profiter pour jeter un coup d'oeil au travers, regarder vraiment pour une fois de l'autre côté, par là-bas en bas ou au fond je ne sais plus exactement où se trouve ce qui n'existe pas et n'a jamais existé, la...

                         - Vous n'osez pas la nommer ! Celle qui n'existe pas ou qui n'est pas là mais qui fait pourtant sentir ses effets, non ?

                         - Un peu de nostalgie oui peut-être de temps à autre...A part cela non je ne vois pas, je ne vois vraiment pas ! Mais je vous ferais remarquer que s'il n'y a pas de serrure à mon hublot, j'y ai apposé moi-même un verrou pour remédier à ce manque regrettable voire dangereux, sachant en outre que c'est sûrement le meilleur moyen de le fermer un jour pour de bon, dans la mesure où tout verrou finit toujours par se bloquer définitivement. Regardez vous même...

                         - C'est vrai, je ne l'avais pas remarqué...Mais il est en position ouverte !

                         - Je ne le fermerai que lorsqu'il semblera être sur le point de se bloquer...

                         - En attendant vous pouvez donc sortir la tête aussi souvent que vous le voulez !

                         - Oh m'en parlez pas ! J'y suis pour ainsi dire sans arrêt. Dès que j'ai une minute de libre et puisque mon hublot finalement ne ferme pas, je passe une grande partie de mon temps à reluquer au dehors. 

                         - A reluquer quoi ou qui ? Vous m'avez dit qu'il n'y avait jamais rien, rien du tout ni personne!

                         - Et bien je regarde essentiellement en bas, tout en bas car je me demande si je ne serais pas dans une tour...

                         - C'est une sorte de bureau ici, non ?

                         - Je me le figure de temps en temps oui, ne pouvant pas faire autrement. Ce serait peut-être le mien autrefois, duquel j'aurais oublié de descendre à temps et où j'aurais à la longue comme disparu sur place alors qu'il continuait à cheminer...

                         - Et en y demeurant toujours cependant, les autres ayant fini, le bureau s'en allant,  par tous partir, ne vous voyant plus, ne vous remarquant plus depuis longtemps...

                         - Je crois qu'ils disaient qu'on m'avait finalement descendu aux Archives, cela ne ressemble tout de même pas à un local d'archives !

                        - Si c'est seulement un local ! Encore une fois vous vous croyez chez vous et vous n'êtes nulle part...

                        - Au bas de ma tour, si c'en est bien une, il y aurait comme une petite allée circulaire qui en ferait le tour justement. Je la vois assez nettement si je me penche suffisamment c'est à dire au maximum, soit jusqu'à la taille car après, peut-être est-ce plus sûr ainsi, cela ne passe pas. J'ai beau me tortiller, je ne pourrai jamais pour toute sortie que laisser pendre mon buste le plus lourdement possible dans cet extérieur incertain...

                       - Votre bureau vous manque, c'est évident. Vous le cherchez partout, vous le voyez partout !

                       - Oh si je me pends de temps à autre comme ça la tête en bas au dehors c'est qu'il me semble alors ressentir comme une sorte de tangage de toute la structure...Oui un lent mouvement vertical, d'abord ascendant puis descendant et remontant à nouveau...

                      - Vous n'êtes tout de même pas sur un bateau !

                      - Non mais je suis peut-être quand même embarqué quelque part ! Et sans être pour autant un passager !

                      - Le hublot ne fait pas le bateau ! Et votre cabine serait bien grande, on dirait la salle à manger du Titanic ! Si sa blancheur était moins vive j'en verrais peut-être le fond...

                      - La lumière n'est forte que parce que vous êtes-là...Dès que vous serez parti, ce sera presque le noir à nouveau...L'obscurité n'est pas totale grâce à la faible lueur du dehors, heureusement permanente mais qui fluctue un peu cependant comme si cela palpitait quelque part. Vous voyez, je ne suis pas seul...

                      - Vous vous croyez au bord de la mer mais vous ne l'êtes pas !

                      - Alors pourquoi y a-t-il dans la cave une de ces bouées flottantes qui mesurent la hauteur de la houle et le creux des vagues ?

                       - Dans quel état est-elle ?

                       - Toute rouillée et couchée sur le côté...

                       - Vous voyez, il y a sans doute eu la mer ici il y a très longtemps mais c'est le cas en bien des endroits et cela ne vous autorise pas à vous croire ou vous prétendre hauturier ni un quelconque habitant des îles...

                       - Un îlot m'aurait suffi...

                       - S'il y a une cave ici, au lieu de grimper par la fenêtre, pourquoi n'y descendez-vous pas plus souvent ? Cela vous changerait mieux les idées !

                       - J'ai peur dans la cave car en raison de l'immensité du lieu je ne sais pas si c'est la mienne ou s'il s'agit seulement des parties communes...

                        - Je croyais que vous étiez seul ici, c'est la vôtre tout simplement.

                        - A quoi me servirait une cave dans laquelle je ne peux pas descendre ?

                        - Vous vet enez de me la décrire !

                        - J'y suis allé une fois au début oui mais depuis impossible de la retrouver...C'est à croire qu'elle se trouve ailleurs en réalité...Ou bien il n'y en a peut-être pas du tout et j'ai dû rêver celle dont je crois me souvenir...

                        - Effectivement votre local est de plain-pied avec le sol et cette impression de tour que vous avez en vous penchant provient d'un effet purement subjectif...Par contre effectivement il semble qu'il n'y ait absolument rien autour et aussi loin que le regard porte ou puisse porter car en outre sans aucun repère on a un peu l'impression d'être devant une toile de théâtre...

                        - Si c'est une toile, comment des gens peuvent-ils parfois évoluer dans ce décor, paraissant bien cheminer droit devant eux vers quelque tâche leur incombant ?

                        - Il leur incombe peut-être seulement de passer devant vous et plus près que vous le croyez. Car s'il vous semble les surplomber de haut et de loin ils passent à votre hauteur et sans doute à quelques mètres seulement car je vous l'ai dit vous habitez au rez-de-chaussée et l'espace tout autour me paraît assez confiné...

                        - J'habite au rez-de-chaussée parce que vous n'avez pas pris l'escalier. Ici les étages changent selon que le visiteur prend ou non l'escalier...Ils changent pour lui car pour le visité c'est à dire moi ils ne changent pas. Je ne sais donc jamais exactement à quel niveau je suis. Car pour le savoir il faudrait que je puisse me rendre visite à moi-même et vous conviendrez que c'est une perspective peu engageante !

                         - Et sans doute impossible je présume...

                         - Oh non, nullement, pas dans ce Sous-Empire de la Lune oû il me semble résider ! D'ailleurs à part moi je ne rencontre jamais personne ! Et en conséquence je me rencontre tout le temps...Donc ayant dédaigné l'escalier, l'étage où vous vous rendiez ne pouvait qu'être de plain-pied ! Vous voyez bien que je suis tout seul ici, dans cette grande bâtisse à l'unique étage de niveau indéterminé !

                         - Si vous y êtes seul, pourquoi toutes ces boîtes aux lettres en bas dans le hall d'entrée ?

                         - Je ne les avais pas remarquées mais puisque vous le dites. Seulement je crois bien que ce sont celles des agents du ménage qui y déposent leurs affaires. La mienne est au milieu probablement si elle existe... De toute façon le courrier est rare par ici.

                         - Il n'y a pas de facteurs ?

                         - Si bien sûr, il y en a un qui passe de temps en temps...Jamais il ne s'arrête chez moi. Je le vois par l'oeil de ma porte poursuivre sa montée dans l'escalier. Où va-t-il ? Cela reste un mystère. Jamais je ne le vois redescendre ! Et alors très vite c'est à nouveau comme s'il n'y avait jamais eu personne ! C'est tout de même un drôle d'endroit. Mais je préfère ne pas savoir à quel niveau je me trouve exactement...

                        - Vous avez en réalité la phobie des lettres et du courrier, c'est très commun de nos jours...

                        - Celle des cartes postales surtout qui vous arrivent d'on ne sait où avec au dos le temps qu'il a fait la veille et l'avenir des enfants ! Je préfère celles qui ne m'ont pas été adressées, ces mexichromes chatoyantes d'autrefois achetées en vrac chez les brocanteurs, que l'on fait un peu siennes et range chez soi comme on peut...

                        - D'autant que je ne vois aucun meuble chez vous...

                        - Il y a quelques tiroirs par là-bas...Vous croyez que j'habite au rez-de-chaussée ?

                        - Vous êtes peut-être installé au sous-sol dans ce qui devait devenir un parking à deux roues!

                        - En somme je l'ai échappé belle, mais finalement je me demande si tout le monde est parti ou  s'il n'y a jamais eu personne...car c'est bien une sorte de résidence tout de même ici non ?

                        - Peut-être un ancien domaine oui, un ancien couvent...

                        - Mais oui, on entend des bruits de porte la nuit, c'est sûrement habité dans les étages ! Quelqu'un est revenu ou n'est jamais parti !

                        - Montez y faire un tour vous verrez bien...

                        - A condition de trouver l'escalier...En général je ne le trouve pas et si par hasard je le trouve il est occupé !

                        - Vous croyez certainement chercher l'escalier alors que c'est l'ascenseur que vous cherchez!

                        - Mais il n'y en pas !

                        - Dites il n'y en a pas non plus, aussi ne trouvant ni l'un ni l'autre, et pour cause, vous vous mettez à tourner en rond dans un hall qui vous paraît tragiquement vide en espérant des jours meilleurs ! Et comme vous n'avez en réalité besoin ni d'un escalier ni d'un ascenseur puisque vous êtes installé au rez-de-chaussée et que c'est le seul niveau existant, vous ne tardez pas, comme il est entièrement ouvert et contigu à tout le reste, à vous retrouver dans votre local, cette immensité sans nom...

                       - Je n'arrive pas à savoir si j'en suis le locataire ou le propriétaire !

                       - Seule l'Inspection Fiscale est en droit de se poser la question et vous envoie, après moultes réflexions et recherches appropriées, soit une, soit deux feuilles de taxes afférentes à ce qui vous tient lieu de gîte ! Et à moins que vous ne soyez votre propre Contrôleur des Contributions, ne souriez pas cela n'est pas si rare, vous pouvez c'est sûr chasser ce souci !

                       - Et bien  je souriais parce ce que je me demandais si justement il ne m'incombait pas de...

                       - ...de changer de pénates pour une installation plus souriante ou au moins plus animée ?

                       - Qu'y a-t-il dans mes tiroirs ? On dirait ceux d'un bureau ! Vous les avez vus ?

                       - Comment aurais-je pu ? Il fait si sombre chez vous que déjà on peine à avancer, ce n'est pas pour regarder dans les coins !

                       - Si vous aviez allumé en entrant derrière moi ! Il y a un oeilleton lumineux...

                       - Une sorte de lueur s'est installée peu à peu...

                       - C'est le privilège des visiteurs d'éclairer les choses d'un jour nouveau !

                       - Vous mettriez juste une petite lampe sur le rebord de votre fenêtre ou de ce qui en tient lieu, vous ne gagneriez probablement rien en clarté intérieure mais le grand inconnu au-dehors, le décor de nuit qui vous inquiète, s'agrémenterait peut-être de cette lueur blafarde et ténue qui annonçait l'aube au temps des cavernes ...Et puis surtout l'immense façade entièrement obscure qui est sans doute au-dessus de vous en permanence se réchaufferait du seul fait de votre lumière jaune, certes minuscule mais  qu'on apercevrait sûrement de loin ! Et d'où l'on ne tarderait pas à venir un jour ou l'autre...Ou à vous écrire, votre adresse étant peut-être connu de quelqu'un et enregistré quelque part puisque vous avez un facteur ! 

                       - Il me semble apercevoir un cheval blanc dans une clarté lunaire assez loin dirait-on mais c'est peut-être à nouveau un effet de mon hublot...

                       - Restez ici, je vais voir ce que c'est...

                       - Je ne risque pas de m'en aller je n'ai pas la bonne clé. J'ai la clé qui permet de rentrer mais pas de sortir !

                       - J'en ai pour une minute... 

                       - Comment allez-vous rentrer ? Il n'y a pas de serrure !

                       - Votre porte ne ferme pas de toute façon...

                       - Vous serez plus vite arrivé ou rendu. Je vous regarde par mon hublot ! Sans l'ouvrir pour ne pas vous envahir de lumière mais je monte tout de même la garde en vous enviant très fort d'être dehors à la poursuite d'on ne sait quoi...Et nul besoin de vous voir, je vous imagine déjà très loin...dans une sorte de néant vaporeux et verdâtre mais dont vous saurez très bien revenir j'en suis certain !...Vous êtes déjà là !

                         - Impossible de faire un pas là derrière, on ne voit rien. Et impossible de poser le pied sur quoi que ce soit. Ce n'est ni dur ni mou, c'est inexistant ! Vous aurez du mal à aller y faire un tour par là en dessous, ou à côté je ne sais plus au juste, je vous conseille vivement de rester chez vous...ah oui, d'autant plus qu'au retour j'ai aperçu votre facteur avec des calendriers sous le bras ! Il va venir chez vous c'est sûr !

                          - J'y compte bien car je saurais au moins en quelle année nous sommes, je ne le sais jamais ou je l'oublie toujours... Il venait par ici ?

                          - Non, il a pris l'escalier !

                          - Il ne viendra pas ! Il ne m'a toujours pas vu...En voyant cette porte toujours ouverte, il ne pense pas que ce soit un logis habité...

                          - Il se méfie peut-être des trop grands espaces mais qui sait, il peut très bien vous voir au retour quand même, vous apercevoir...Et comme ils ne sont jamais avares de leurs calendriers, s'il lui en reste un il sera pour vous c'est sûr !

                          - Non, il ne redescend jamais ! C'est à croire qu'il n'y a plus d'escalier...

                          - Il y des escaliers qui montent et d'autres qui descendent mais cela bien sûr il faut le savoir et ce n'est pas donné à tout le monde...

                          - Je crois entendre des discussions sans fin dans les hauteurs alors je me dis que mon tour viendra car moi aussi j'aime bien parler de temps en temps...

                          - C'est à cela que servent ou finiront par servir les facteurs...

                          - Dommage qu'ils ignorent tout du tri des portes. La mienne doit tout de même bien se voir non ? Je l'attendrai jusqu'au coucher du soleil...

                           - Quoi, ce soleil de carton ? Ce serait plutôt une lune vous ne trouvez pas ? Elle était par terre, tout au fond, au bout de la cave...

                           - Elle passe dans le ciel quelquefois, très lentement, s'arrête, repart et semble lui conférer une vraie profondeur, une sorte d'authenticité...

                           - On dirait plutôt un gros fromage...

                           - Vous n'avez pas vu mon cheval ? Même sur le sol, tombé lui aussi, cela prouverait qu'il a bien existé ou qu'il existe de temps à autre. Même en carton cela montrerait que je n'ai pas la berlue et qu' on le manipule bien à des fins mystérieuses ou simplement futiles mais toujours à mon intention !

                            - Seuls des théâtreux ambulants pourraient faire cela mais où pourraient-ils installer leurs tréteaux ? Ce n'est même pas lugubre, au fond du local des vélos il y a bien une porte mais elle ne débouche sur rien, rien du tout ! Il n'y a même pas d'espace on dirait, le bras avancé prudemment revient aussitôt, il est inutile ! On a juste l'impression d'avoir peut-être effleuré un fil !

                             - C'est l'ancienne buanderie...On m'avait signalé ce local comme un des points forts du domaine, utilisable nuit et jour et à volonté ! La fille de l'agence m'avait emmené le voir mais effectivement comme c'était tout noir nous n'avions pas pu le parcourir. Cela sentait le linge humide et la vapeur, elle avait chaud. Nous sommes remontés presque tout de suite, les mains moites...

                              - On les aurait eues à moins...Elle vous faisait visiter alors tout de même ?

                              - Elle donnait l'impression de vouloir s'enfuir à chaque instant mais semblait bien décidée à me montrer à tout prix l'appartement modèle !

                              - Pour vous y laisser tout simplement !

                              - Comment le savez-vous ?

                              - Parce que vous y êtes toujours ! C'est plus clair que votre buanderie qui au demeurant n'a jamais existé ! Elle cherchait un abruti auquel refiler le lot dont  personne en général ne veut jamais vu les dégradations des visiteurs et les mains poisseuses de leurs gosses...L'abruti modèle c'est vous !

                               - Ce qui expliquerait les évitements du facteur à mon encontre. L'appartement modèle est ignoré, il le croit toujours vide ou seulement plein de traces de doigts et réserve ses calendriers pour les étages !

                               - A supposer qu'il y ait effectivement des étages...

                               - Et qu'il y ait bien un facteur, ce dont finalement je finis par douter, ne l'ayant jamais vu !

                               - Mais si ! Vous l'avez vu par le judas de votre porte mais bien sûr ce n'est pas la même chose car on y voit un peu ce qu'on veut. Surtout quand on n'ose pas aller regarder ce qui se passe pour de bon de l'autre côté...Votre palier est une scène, un théâtre ! On vous aura joué quelque chose et vous aurez tout gobé de votre oeil rond de poisson...

                               - J'aurais choisi les glaciers du Mont-Blanc ou l'Eglise du Puy sur son piton rocheux! Si seulement il avait réalisé que l'appartement modèle avait enfin trouvé preneur ou que son occupant s'était manifesté... Mais non, il a continué à danser devant ma porte en faisant voler sa casquette ou en jouant de sa pile d'almanachs comme d'un accordéon !

                               - Pures visions d'abruti modèle !

                               - C'est celui qui le dit qui l'est ! Et si je vous rappelle cette réplique enfantine c'est qu'elle est encore croyez-moi la meilleure parade contre tous ceux qui oseraient vous traiter de noms d'oiseaux !

                               - Les noms d'oiseaux sont parfois utiles pour qualifier les énergumènes qui ne savent pas regarder la réalité en face, voir le nez au milieu de la figure ou encore mieux, trouver l'escalier dans son propre hall d'entrée ! Ce dernier est certes très mal éclairé et on distingue à peine les premières marches tant elles restent ombreuses malgré une minuterie pourtant suffisante...

                               - En puissance mais pas en durée, je me retrouve toujours tout seul dans le noir !

                                - Vous êtes peut-être alors chez vous où la clarté m'avez-vous dit n'est pas flatteuse ni très durable non plus puisqu'il finit par faire le temps qu'il fait dehors sinon en bonnes rafales d'air pur du moins en luminosité !

                                - Il n'y a plus de vent dehors, jamais, pourquoi cela ?  Mais j'aperçois vaguement au bout de votre bras une serviette de cuir, pourquoi étiez-vous venu exactement ?

                                 -   ...                                          

                                  (Reprise après Tom Reg-27sup2)

                                   -  Que me chantait-il ? Il y avait bien deux portes pour sortir de chez lui ! Certes de même taille mais tout de même la prochaine fois, je ferai un peu plus attention à son installation si toutefois c'en est une au moins au sens de l'art contemporain et surtout s'il est bien toujours là ce qui normalement ne devrait pas se produire ou se reproduire. Car il est bien capable d'en revenir et d'y retourner encore une fois mais tout du long à tâtons cette fois et peut-être en marche arrière comme les damnés de leur propre enfer !...Et puis son histoire de fenêtres ne tenait pas debout ! Quant à son hublot je ne l'ai même pas entraperçu !Il est vrai qu'il m'a sans doute reçu dans son entrée, ce que les Américains appellent hall, d'où l'immensité du lieu par simple homophonie avec hall de gare pour nous...De toute manière dans une entrée quelles qu'en soient les dimensions il n'y a généralement pas de fenêtres ! C'était donc juste son vestibule probablement, où la lumière au reste était plutôt chiche et oscillante, où l'on on n'y voyait goutte, d'où la nécessité de prendre pour argent comptant son discours d'un douteux aloi et  d'une logique absurde de cauchemar auxquels on se raccroche quand même, espérant ainsi faire bonne figure malgré tout ! Et si quand même il avait raison d'envisager de rester là-bas au lieu de revenir dans ce cadre qu'on lui décrit familier et sinon tout à fait bienveillant au moins d'une indulgence providentielle à son égard ? Mais peut-il sensément demeurer encore là-bas bien longtemps ? A ne jamais sortir et à ne rien manger, car de toute évidence il ne mange pas !  Et ne fait rien, rien d'autre qu'attendre les vagues images colorées d'une petite valise de cinéma qu'il s'imagine voir se poser et s'ouvrir toute seule au milieu d'une place qui n'existe peut-être pas et alors que la seule valise qu'on ait jamais vu cheminer depuis longtemps dans les parages c'est, aux dires de son unique voisine, lui-même qui la transporte, paraissant vouloir  toujours s'en aller mais revenant sans arrêt comme s'il tournait en rond ! De plus cette valise semble vide tant elle paraît légère à son bras ! Une valise vide, une place qui n'existe pas, cela ne vous dit rien ? Si ! L'hiberné dans son glaçon ! ....reprise n°257                         

 

    

        

                      

                         

                      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  retour à  la page 27 (en cours)

 

      

                                  

 

 

Calepins   p.1 ( "Le Palais ou Les quinconces" )

 

 TOM REG  "Mini-contes lunaires et suburbains"

 

pages  1   2   3  4   5  6  7  8  9  10  11  12  13  14  15  16  17  18  19  20  21  22  23  24  25  26  27(en cours)

 

 Maldor-photographies   

 

      SOMMAIRE              TABLEAU GENERAL             IMAGES(Sat' et Webcams)          FERRIES      

EOLIUM

    OBSERVATOIRE