TOM REG    "Mini-contes drolatiques et déroutants"     page 12 

 

n° 166             Une vieille dame avec un cartable ( ou   Près de l'Etoile )

                         - "Chaque matin, je prends mon cartable comme une bonne écolière  et je vais écrire dans un café près de l'Etoile..." déclare au cours d'une émission de radio une femme écrivain. Un jeune homme, grand admirateur de cette romancière très âgée et surtout secrète, peu médiatisée, rare également par son style et les sujets abordés, part à la recherche de ce café devenu pour lui un lieu mythique et fabuleux.

                                Il entreprend donc la tournée de tous les bistrots autour de l'Arc de Triomphe. Il a du mal. Le premier matin ne donne rien. Qu'entendait-elle exactement par "près" de l'Etoile ? Jusqu'où faut-il aller ? Les jours vont passer au cours desquels il va  devoir élargir chaque matin un peu plus le rayon de ses marches en rond autour de la célèbre place...

                             Il fera des rencontres variées, même parfois des clientes effectivement en train d'écrire mais soit de la correspondance, soit dans des agendas et en outre beaucoup trop jeunes. Au fait comment est-elle exactement déjà ? Il s'avise qu'il ne connaît pas si bien que cela son physique tant cette romancière est discrète et, fuyant toute célébrité tapageuse, ne laisse pas facilement publier sa photo dans les journaux ou les magazines. Il repense à un portrait de jeunesse qu'il avait vu une fois à l'occasion d'un article qui lui était consacré.

                               Il  entre dans un café où, par la fenêtre, on aperçoit l'Arc de Triomphe, tout près. C'est que s'étant beaucoup trop éloigné, il a dû revenir sur ses pas, recommencer depuis le début ..."Près de l'Etoile"!...Et là, étrangement, il découvre une femme qui ressemble étonnamment au portrait du journal qu'il garde en mémoire, et qui écrit, a un cartable d'écolière... mais qui est toute jeune!

                           Et presque les mêmes vêtements que sur la photo on dirait, un peu vieillots, genre fleurs séchées. En effectuant tous ses tours, aurait-il remonté le temps ?  De quelle étoile s'agissait-il ? Dans ce petit bout de rue qui passe devant, il n'y a plus de voitures, plus de passants et il est seul avec elle,  redevenue jeune fille, dans cette salle de café, établissement très vieillot lui par contre...Ces bruits de caracoles, de charrettes qui grincent alentour...Elle était jeune au début du siècle !...Et il n'y avait pas de voitures ! Mais oui c'est le temps qui a changé. L'Arc de Triomphe s'est ennuagé d'ombres...Il va lui demander l'heure !   

 

n° 167                   Les coups de tampons du jeudi   ( ou  Sérieux et invalidité )

                                   Georges Foutard-Cornillet a un poste dans l'Administration. Mais loin de jouir des délices de la sécurité et de la protection inhérentes à son emploi, il est très mal dans sa peau, irascible, négligé, imprévisible, voué à l'ennui mortifère le plus total, ne trouvant même plus la moindre compensation dans sa vie privée qui est aussi une catastrophe...

                                   Pourtant, à l'époque où il vivait cet emploi en imagination, comme un futur possible et enviable, et qu'il n'était encore qu'à l'école primaire, cela se passait très bien, il était un fonctionnaire exemplaire, modèle ! Le jeudi après-midi, dans le bureau où travaillait sa mère, il fallait le voir tamponner des enveloppes par piles de cinquante et trier des trombones tout en donnant des coups de pied d'excitation dans le pied de la table devant laquelle on l'avait mis sur une vraie chaise et deux gros bottins !

                                    Mais par la suite, à l'âge réputé adulte, la réalité l'a comme attrapé, bien attrapé! Les convocations dans le bureau des chefs n'étaient pas rares ni très gratifiantes malgré une évidente et incompréhensible bienveillance ou patience à son égard :

                                      -" Je me souviens de vous au début, Cornillet, vous étiez en pleine forme, assez prometteur, dynamique, on ne pouvait plus vous arrêter dans vos tâches, dans votre labeur permanent à tout vouloir apprendre par cœur du programme intégral de votre prochain concours ! Vous acceptiez même d'aider à classer, dans les sous-sols, les râteliers poussiéreux ! L'amiante ne vous faisait pas peur ! Sous les flocages mortels qui tombaient du plafond, vous êtes resté, tout seul, une semaine de plus que vos collègues! Quinze jours même ! A trier pour le pilon, à pousser des caisses !

                                      - J'avais commencé à rêver...

                                      - Et maintenant, Foutard, regardez-vous ! Vous n'êtes plus qu'une ombre, vous dépérissez ! Je n'avais jamais vu une carrière conduite à l'envers, à rebours ! Avec vous c'est fait. Au lieu de monter avec vos collègues, vous descendez tout seul chaque jour un peu plus...Et vous ne pourrez plus remonter ! Certains déjà ne vous voient plus du tout ! Moi-même j'ai beaucoup de mal à savoir si vous êtes là ou pas...Votre store est baissé en permanence. Vous restez dans le noir après tout le monde, seul dans votre bureau ! Vous êtes arrivé ici relativement gradé, vous allez finir auxiliaire, aide temporaire, stagiaire de vacances ! Et dans quel état ! Maigre comme un clou, blafard ! Bredouillant !

                                      - J'aurais envie de m'arrêter un bon moment pour me changer les idées ! Me ressourcer !  Revenir au tout début des bureaux...des miens, du mien de bureau...mon tout premier, celui des enveloppes ! M'y retrouver, le recréer ! Peut-être qu'avec un congé sabbatique, monsieur le Directeur ?

                                      - Et vous vivrez de quoi ? "

                                Finalement le Comité Consultatif Central des Congés et Convenances le met à la retraite d'office pour "Auto-rétrogradation rêveuse avec risque d'engluement" !

                                 Sitôt libéré, il loue un tout petit bureau où, comme au temps de ses culottes courtes, à longueur de journées, il s'invente des administrés, se constitue d'énormes dossiers factices, déclenche avec son pied une sonnerie de téléphone grâce à quoi il tient des conversations imaginaires que ses voisins, d'authentiques travailleurs bureaucrates, perçoivent par bribes...

                                  Et en retrouvant le sérieux des jeux solitaires de son enfance, il recouvre du même coup l'équilibre dans sa vie d'adulte, sa vie privée...Son entourage n'en revient pas ! Il n'a jamais été aussi sérieux, ponctuel, affairé (avec ses faux dossiers sous le bras) et dans le même temps, tiré à quatre épingles, aimable, charmant avec tous les gens, enjoué, épanoui...

                                  Tout le monde pense qu'il travaille "pour de vrai" dans un nouveau poste qui lui convient enfin alors qu'en fait il peut désormais simplement jouer à l'adulte pour de bon, être vraiment lui-même comme au temps des enveloppes et des coups de tampons du jeudi, et cela grâce à une sorte de pension d'invalidité sur mesure, allouée par un comité extraordinaire, "à titre exceptionnel et définitif" !

                                                            

 n° 168          De vagues souvenirs  (  ou   Plein air ) 

                                      -"Encore tes souvenirs de lycée!" se dit-il à lui-même, mi-amusé mi-intrigué par cette persistance en soi, cette lancinante rémanence des choses qui ne peuvent plus servir...

                                    Cyrille Boitendieu, jeune homme d'une trentaine d'années (ou d'une quinzaine si on compte en nouveau temps), se remémore ses programmes du lycée. Mais tout cela est déjà lointain et en cette chaude journée d'août, dans un petit bureau confiné, sans fenêtre, des Affaires Economiques et Sociales, dont il vient de refermer sur lui l'étroite porte semblable à celle d'un placard, ne se présentent à son esprit que des bribes de mythologie classique, de règles de grammaire latines et françaises, d'extraits de littérature du Moyen Age, de formules de chimie et de physique, de séances de gym' en plein air...

                                     -" Cette aprèm' ya pas plein air, y pleut ! "

                                     -" Oueh! J'vais pouvoir m'enfermer dans ma chambre et lire jusqu'au soir!"

                                    Et tout cela se mêle aux éléments de sa vie d'adulte : le bureau, le quotidien à Paris, la politique, les risques de guerre, les manifs, le nouveau métro et le projet, qui ne veut toujours pas le quitter, de revenir encore visiter son ancien lycée...  

 

n° 169               Le miroiteur et le miroité  ( ou  Plus rien )

                                    L'un dit à l'autre :

                                    - "Etonne-moi."

                                     L'autre répond  :

                                    - "On se ressemble sans être ni l'un ni l'autre."

 

                                      L'autre dit à l'un  :

                                     - "Etonne-moi."

                                       L'un répond  :

                                      - "Je suis toi sans être ni l'un ni l'autre."

                             Quand on enlève le miroir, il n'y a plus ni l'un ni l'autre. Il n'y a plus rien.

 

n° 170            Le Pré du Soir  ( ou  Héliogabale )

                     (Composition en triptyque formée de trois courts récits indépendants mais reliés par certains échos ou analogies)

                        -Première partie :

                            Un moniteur dans un home d'enfants à la montagne ("Le Pré du Soir") . Il semble s'occuper assez peu des enfants à part quelques uns qui, en fin d'après-midi, dans une sorte d'appentis où règne une lueur d'église (quelques rayons de soleil passent au travers de croisillons éclairant des objets hétéroclites) lui rendent visite pour un petit compte-rendu de leur journée...Dans un coin ombreux du local, un peu à distance, depuis un grand fauteuil en osier, il les écoute religieusement... 

                             Ce jour-là, l'un d'eux a trouvé une sorte de grosse médaille brun-rouge dans la forêt, en réalité une monnaie romaine en bronze de belle patine à l'effigie de l'empereur Héliogabale ! Et si on lui a curieusement donné ce surnom par la suite, ne serait-ce pas parce qu'il s'arrangeait pour placer les enfants, le soir, à l'endroit précis où le glacier, juste au-dessus, à travers les croisillons de l'appentis, renvoyait du soleil couchant des scintillements rougeâtres qui étoilaient les yeux des petits d'une façon si étrange que cela lui inspirait des poèmes fantastiques, de drôles de contes ?

                             Le reste du temps, il paraît se livrer seul dans sa chambre à une sorte de travail mi-administratif, mi-studieux, classant ou annotant divers documents...Et surtout, accoudé à sa fenêtre, passer des heures à regarder les montagnes, à sembler attendre quelque chose... On l'envoie parfois  faire une course en bas dans la plaine et même jusqu'aux rives du lac d'où il revient de justesse, comme avec peine ou appréhension, au bord des choses, à côté de lui-même...

                             Mais le plus souvent, là-haut, il donnerait plutôt l'impression d'avoir réussi à ne plus rien faire du tout si, de temps à autre, il ne semblait remarquer quelque chose dans le lointain et alors sortir pour se mettre à cheminer en direction d'autres montagnes au loin ou vers le fin fond bleuté de la plaine. Mais son apparent intérêt pour cette action soudaine n'est peut-être qu'illusoire. En route, il s'arrête parfois à une pierre plate brûlante où il pose un petit papier sur lequel il écrit un moment au crayon, puis s'en va, froissant vigoureusement le papier en une minuscule boule qu'il fourre au fond de sa poche ! Arrivera-t-il un jour à écrire ses espèces de mini-contes assez bizarres, peut-être plutôt pour enfants, et que d'ailleurs il aimerait, pour toute édition (le summum de l'édition?), voir imprimés  sur des petits billets glissés dans des friandises ou même carrément au dos du papier protégeant les bonbons ou les chocolats ? Et cela sans s'attirer les foudres ou la censure des antipoétiques barbifiants, des bougonnants ennemis de l'étrange étrangeté drôle, de sa drôle d'étrange étrangeté !

                              Quand il est persuadé une fois de plus que là où il va ne mène nulle part, il s'arrête, fait demi-tour et rentre se remettre à sa fenêtre jusqu'à l'heure héliogabalienne de l'appentis...              

 

                        -Deuxième partie :

                              Un jeune homme (le même que dans la première partie) vit dans un petit chalet à côté du home (là aussi le même), un peu en contrebas, dans le tournant du chemin qui mène au village. Il passe son temps entre des randonnées solitaires dans la montagne et un petit emploi de placier l'après-midi au cinéma de la station. Un jour, la directrice du home (qu'il semble ne pas connaître) lui rend visite...

                              Elle est hésitante, un peu embarrassée, se tortille les mains puis se lance franchement :

                                   -" Voilà, monsieur Valdelouart, il nous serait agréable de savoir si vous ne pourriez pas, pour nous dépanner, nous sommes surbookés ce week-end, accueillir un enfant pour une nuit, samedi,  ici même, dans votre chambre d'ami du rez-de-chaussée. Vous savez que nous l'avions déjà louée une fois ou deux du temps de mon père...Cela vous serait payé une couronne et directement par l'enfant à son départ... Ah oui, le soir en arrivant, pour des raisons de sécurité, l'enfant sonnera trois fois !

                                   - Une de plus que le facteur alors !

                                   - Monsieur Valdelouart, avec tout ce qui passe dans la montagne, on n'est jamais trop prudent ! Tenez, quatre fois, pour vous ce sera même quatre fois, pour être encore plus sûr ! "

                               Se sentant un peu obligé il accepte de bonne grâce en souhaitant que cela ne se reproduise pas trop souvent car se laisser envahir par les mioches il n'en était pas question ! Qu'a-t-elle voulu dire par couronne ? Ce n'est pas la devise qui a cours par ici !

                                Le dimanche matin, sur le pas de porte ensoleillé, l'enfant avant de repartir, son petit  sac à l'épaule, dépose quelque chose dans la main de Valdelouart en disant :

                                    -" Merci monsieur, comme convenu, c'est pour le prix de la nuit !

                                 Il observe un peu éberlué ce que le gosse lui a donné, une sorte de médaille très ancienne, d'une patine brun-rouge et grumeleuse, avec effectivement sur une face une tête couronnée et au revers le dieu Soleil radié !

                                     -" Excusez-moi monsieur, je n'ai rien d'autre ! Je l'ai trouvée dans la montagne !

                                     -  Merci petit, ce n'est pas tous les jours que..."

                                   Mais déjà l'enfant a disparu !

                              

                               -Troisième partie :

                                   Dans un appartement, à Genève, le même écoute de la musique d'orchestre (des standards américains des années cinquante dont "La pendule syncopée" de Leroy Anderson), en regardant le Mont-Blanc qu'on aperçoit, parfaitement cadré, entre une rangée de peupliers et l'extrémité d'un immeuble un peu plus loin...Depuis combien de temps est-il là ? Combien d'années ont passé, auraient pu passer ? Que fait-il au juste ? Pourquoi n'est-il pas sorti depuis plusieurs jours ? Craint-il vaguement quelque chose ? Autour de lui, un désordre de disques et de petites boules de papier froissé...

                                    Dans le lointain les glaces de la montagne, en ce début de soirée, prennent une extraordinaire et inhabituelle teinte brun-rouge, scintillante, qui le laisse tout à fait perplexe...Cela semble lui rappeler quelque chose, mais quoi ? Il donne l'impression de faire effort pour se concentrer, fermant un peu les yeux...comme le souvenir d'une autre vie, d'un autre monde...

                                     C'est alors qu'on sonne à sa porte...quatre fois !

                                

n° 171        La grande houppe ( ou  Les inaccessibles )

                                    -" Je m'aperçois, sacrée vieille branche, que nous n'avons pas du tout la même mentalité, en rien une identique ou approchante façon de voir les choses en quoi que ce soit...

                                    - Et bien figurez-vous, vieux tuyau d'aise, que rien ne pouvait nous rapprocher davantage ! C'est l'accord intime plus ultra !

                                     - C'est cela et il suffirait donc tout simplement de nous laisser aller chacun de notre côté, de nous perdre complètement de vue une bonne fois pour toutes, nous finirions par nous rejoindre car nos routes, telles les parallèles des livres de classe,  se recouperaient alors, et instantanément, à l'infini !

                                     - Parfaitement et bien que, comme vous le savez, je n'entende pratiquement pas ce que vous dites n'étant jamais vraiment là,  je suis d'accord avec vous sur le fait que notre parallélisme caché nous unira tout au bout du bout de tout et au-delà...

                                     - Et oui, cette étonnante propriété de notre espace finira par nous faire fricoter de concert  comme réunis dans une grande houppe qui après s'être, au moment où le singe se redressait, déjà scindée en deux, se réunirait à nouveau afin de recoller ces deux moitiés inaccessibles et répulsives de l'univers....

                                     - Moitiés auxquelles nous appartenons chacun de notre côté et appartiendrons à jamais sans plus pouvoir non seulement nous entendre, bien sûr, mais même nous voir, pour toujours, en l'ignorant ou l'ayant oublié et donc sans  jamais rien pouvoir y changer  ! "

 

n° 172         Picard  ( ou  Le ballon expiatoire  )

                                   Un drôle d'autobus aménagé en salle de réunion ou de classe ambulante. A l'arrière est arrimé un ballon captif avec une petite nacelle pour une personne. Sur les côtés en grosses lettres "Institut-Cours-Privé Bouillon". A l'intérieur, des jeunes gens (certains si figés qu'il y a peut-être des mannequins parmi eux) réunis pour une sorte de stage permettant  d'acquérir les bons principes et règles d'usage pour l'utilisation optimale d'un caméscope et la création de toute image.

                                      - "Il ne faut jamais balayer de droite à gauche mais toujours de gauche à droite...et si l'on suit un personnage, ne jamais aller plus vite que lui, ou moins vite, mais au contraire veiller à le suivre avec une grande précision...Et toujours bien centrer le sujet principal, ne pas par exemple, faute considérée ici comme suprême, équivalente au péché capital, à la sournoiserie absolue, s'envoler d'un seul coup vers le ciel et tout entier le cadrer, faute du reste passible, par conséquence d'analogie, d'un véritable envol libre et vous savez par grand vent ce que cela signifie !"

                                       - "Cela, m'sieur, vos punitions sont dures parce que pour revenir avec votre ballon bonjour! Et même si la nacelle a des roulettes, il faut quand même la tirer derrière soi puisqu'il ne se regonfle pas votre satané ballon et quand il a atterri en Ecosse, au revoir, ça en fait de la route et avec des roulettes qui n'ont pas été prévues pour rouler à gauche !

                                       - "Des roulettes tu parles, bloquées, jamais huilées, pas une seule fois en...

                                       - "En revenant, on raye toutes les routes d'Europe!

                                       - "Messieurs je vous en prie! Reprenons le cours du cours...Alors il ne faut jamais non plus faire des plans trop longs ni tourner autour d'un personnage à 360° ou alors qu'avec parcimonie et une extrême lenteur...et même à mon avis, ne le faites pas du tout, ne tournez pas autour de qui que ce soit, c'est plus sûr pour tout le monde !

                                       - "M'sieur, que fait-on cet après-midi ?

                                       - "Ah, alors tantôt, après avoir poussé l'autobus de quelques mètres pour rester dans l'ombre babélisante de la Tour notre voisine qui est toujours la plus haute du monde puisque nous avons, souvenez-vous, juste pour être au moins une seule fois utile à la société, aidé à son rehaussement in extremis, certains ayant voulu un moment la transformer en armatures pour autoroute, il y aura "Technique de visualisation camescopée d'un bateau". Vous êtes tous conviés à faire valoir vos talents car je crois en vos bonnes natures, des natures pleines de vie et d'énergie, pleines de dons ! Tous, sauf bien entendu monsieur Picard qui semble s'ingénier à faire en sorte d'être toujours l'unique usager du ballon expiatoire! On ne voit que lui dans cette nacelle ! Accro à l'envol libre ! Attendez un peu qu'on arrive en bord de mer et que je remplace le ballon par un sous-marin mono-place, captif lui aussi, donc libérable, jetable, c'est à dire en gros une cloche à plongeur pédalisée ! "

                                        - "J'aime bien ce  ballon, monsieur, je n'y peux rien et surtout le vent du sud qui curieusement emporte vers le nord et que donc j'appelle moi vent du nord !"

                                        - "C'est effectivement à croire que vous le faites exprès, Picard, tant vos exercices semblent bâclés et je dirais même provocateurs ! Sur vos films jamais un personnage en entier, on ne voit que des têtes qui défilent tout en bas de l'image, des sommets de crânes qui sautillent, cirés et roses de calvitie...Et puis surtout cette incapacité où vous êtes de rester fixé sur quelque chose, de toujours et d'un seul coup vous envoler ver le ciel, et quelquefois en redescendre et y remonter aussitôt, plusieurs fois de suite, transformant vos pauvres spectateurs en ludions verdâtres... Mon pauvre Picard, votre style camescopique tient du hoquet, du panier à salade, de la centrifugeuse..."

                                     Et bien sûr, une fois encore, après le sermon faussement pédagogique de ce drôle de maître d'on ne sait quoi, Picard doit sortir et  monter dans la nacelle du ballon dont le directeur de l'autobus  vient lui-même (il n'y a personne d'autre) rompre l'amarre en ajoutant cette fois-ci à l'intention du bienheureux stagiaire qui s'élève tout doucement mais qui, déjà, est aux anges :

                                        - "Quand vous reviendrez, Picard, il est probable que je ne serai plus ici, mais quelque part sur une route allant vers la mer ou au bord d'un petit chemin y menant. Essayez de me retrouver quand même ! "

                                       En réalité ces deux là se sont tout bonnement caché la vérité quant à leurs projets réciproques. Picard, entendant cette fois éviter  les tourbillons de la peur et de la culpabilité et jouer plutôt de là-haut les dieux vengeurs ou les anges récalcitrants mais surtout rester en l'air le plus longtemps possible, emporté par un vent violent (donc immobile et silencieux pour lui) et une fois touché terre ne plus jamais quitter l'endroit où il sera tombé, ne plus jamais revenir!

                                       Quant au maître de stage, ce chef de bus, ce bon monsieur Bouillon, après donc avoir lancé le dernier élève en chair et en os qui lui restait et quitté cette espèce de costume de pasteur à col vert (qu'il affectionnait tout particulièrement car il le faisait ressembler à un canard) compte bien  se débarrasser également et au plus tôt de cet institut-véhicule grotesque et prétentieux dont les roues comme celles de la nacelle du ballon commençaient aussi à se bloquer et qu'on ne pouvait pratiquement plus manœuvrer.

                                        Comment avait-il pu se lancer dans une entreprise aussi vaine, apprendre et inciter à produire des images qui dégoulinaient déjà de partout et dont on avait soupé depuis longtemps ? Mais il lui reste un recours et une façon magnifique et très exaltante de se rattraper, de refaire sa vie dans le bon sens :  rejoindre au plus vite, pour y faire carrière,  le tout nouveau mouvement planétaire  et quasi-révolutionnaire  du  "Grand Iconoclasme" qui lutte ni plus moins pour l'interdiction absolue, sur quelque support que ce soit, fixe ou animée, et sur l'ensemble de la planète, de toute image  !

                                         Bien des années après, et la vie ayant suivi son cours, Bouillon est dans les hautes sphères de son mouvement qui est parvenu à faire disparaître toute image de la surface du globe. Toutefois, depuis quelque temps, certains soirs, on voit réapparaître des photos...des photos projetées sur les  nuages!  Et comme elles ne sont pas sur Terre à proprement parler, on s'est avisé qu'on n'y pouvait rien !  Et curieusement, des images de la campagne ou des villes, prises du ciel !

                                           Un beau jour, pourtant jamais pris de court, Bouillon, assis dans son jardin,  lève la tête vers le bleu de la voûte céleste où il aperçoit, muni d'une petite nacelle à une personne sous laquelle on voit pointer l'œilleton bleuté d'une sorte de caméra, un  ballon  marqué "Images de la Terre au Ciel" ! Cela lui rappelle quelque chose...Picard! 

                                                                      

n° 173              Rotors  ( ou   Des pardessus dans la montagne )

                                            Un jeune homme (du genre éternel) arrive dans un petit village de montagne pour, dit-il, y effectuer des mesures météorologiques concernant la circulation du vent, très particulière à ces hauteurs et plus précisément observer les rotors, ces nuages qui, sous le sommet de certaines montagnes, matérialisent des retours du vent sur lui-même en des panaches blancs et tourbillonnants sur un ciel tout bleu, caractéristiques des situations de fœhn.

                                             Or les habitants se demandent ce qu'il vient faire exactement car on ne le voit jamais cheminer alentour mais plutôt passer ses journées à sa fenêtre, avec des jumelles, dans un petit chalet où il a pris pension et, certains d'ajouter, peut-être racine...On suggère aussi que sa présence ne serait pas sans rapport avec un futur centre des Bureaux Alpestres dont on s'attend à voir surgir le chantier dans les environs. (Cette administration, en réalité souterraine et labyrinthique, a tendance à construire certains de ses locaux en hauteur, sur des pics ou des glaciers,  pour donner le change ou faire bonne mesure).

                                              Il faut dire qu'on a vu dans la montagne des messieurs en pardessus et chapeau mou, eux aussi avec des jumelles, scrutant longuement le village et la région, paraissant procéder à de minutieux repérages et évaluations...

                                               Mais la convivialité cancanière continue à se porter essentiellement sur notre drôle d'arpenteur des nuages :

                                  - "Quand même, il passe tout son temps à regarder exactement et toujours en direction du Plateau de la Barbeleuze,  là où sont tous les homes d'enfants et les colonies de vacances!"

                                   - "Oui et ses jumelles font appareil photo, je l'ai remarqué une fois au début quand il est venu acheter des journaux..."

                                   - "Vous ne trouvez pas cela curieux?"

                                   - "Mais non, ce ne sont pas les gamins qu'il scrute, qu'il épie!...Regardez bien. Le Plateau pour lui est juste  dans l'axe de la Barre des Chamossaires au sommet de laquelle, par grand fœhn de plein sud, se produisent les plus beaux rotors de vent de la vallée !

                                    - "Le fœhn, ce vent diabolique, qui électrise tout le canton !"

                                    - "Sa chambre se trouve à l'endroit précis où on les voit le mieux rouler sur eux-mêmes, se tortiller ! Comme les enfants qui font des roulades ! C'est pour ça qu'il reste chez lui, c'est l'endroit le plus favorable pour les observer tous !

                                    - "Mais oui, et puis c'est un spécialiste, il a le matériel adéquat ! Je l'ai aidé à le déballer quand il est arrivé. Il a un néphoscope ! Une sorte de grand râteau à nuages qui le renseigne, par simple visée, sur leur maintenance ou leur évolution...Et une espèce de compte-tourbillons aussi..."

                                    - "N'empêche qu'il y a des inspecteurs qui arpentent les environs et nous reluquent, nous tournent autour comme en se rapprochant. On va bien finir par les avoir sur le dos !"

                                    - "Oui, il est fort possible qu'on ait les Bureaux Alpestres dans le coin un jour ou l'autre. Une annexe ou quelque chose...Peut-être..."

                                    - "Tiens, le vent tourne au Sud..."         

 

n° 174             Une oreille dans la ville ( ou Place Chevelu )

                                   Un auteur, Pierre Libellut, adore arpenter les rues de sa ville pour en affronter le brouhaha sympathique et très sonore. Toutefois, par périodes, et peut-être de plus en plus, il éprouve comme une sorte de paresse à sortir, liée à une certaine appréhension de l'extérieur, qui le cloue dans ses pantoufles à la maison. Et dans ces cas-là, comme il aimerait pouvoir continuer à entendre l'ambiance des places et autres agoras ou lieux d'animation, laisser traîner une oreille parmi les passants, les bonimenteurs et Pères Noël en tout genre! Car finalement n'est-ce pas là essentiellement qu'il trouve son inspiration ? Comment faire ?

                                   Qu'à cela ne tienne ! Il ne se passa pas longtemps avant qu'à son annonce "Cherche oreille ambulante et magnétisable sous peu" des jeunes gens répondissent en nombre. Il en sélectionna un seul pour être donc son oreille. C'est à dire, bien entendu, qu'il  lui remit un petit magnétophone à cassettes muni d'un micro panoramique des plus sensibles avec pour mission simplement, l'appareil en marche continue, de flâner comme il le faisait lui-même dans les mêmes endroits et aux mêmes heures : trottoirs animés, rues piétonnes, arrêts d'autobus, salles d'attente, marchés, supermarchés, bureaux de poste...

                                    Il écoute chaque soir les cassettes avec la plus grande attention et ne peut saisir le plus souvent que des bribes de conversations, ou encore mieux des mots, parfois un seul, bien détaché, isolé de son contexte : "...abat-jour...crème liquide...chef...de son bureau on voyait tout...du brouillard ma vieille...une vraie chiffe...arrimé au truc...le bazar...autrefois ou ailleurs...écoute, je ne dis plus rien..."

                                    Ces propos sibyllins en apparence insignifiants ou sans intérêt, comme ils lui suffisent pour stimuler son imaginaire et surtout lui permettent de sortir de moins en moins et presque plus du tout. Comment a-t-il pu aussi longtemps se confronter physiquement à ces flots grouillants qui vers cinq heures, soudain débureaucratisés, se ruent dans des passages carrelés et autres boyaux d'évacuation, comme vidés, abrutis mais encore pincés de quant-à-soi ?  Et il se prend de compassion pour tous ceux qui, dans le cinéma du quotidien, ne pourraient pas comme lui se contenter de la "bande-son"...

                                    Mais un soir il entend sur l'enregistrement du jour, ou croit reconnaître, la voix exacte d'une femme qu'il a connue par le passé...Certes il y a bien longtemps mais pourquoi aurait-elle changé de voix cette ancienne institutrice ? Il demande à l'étudiant s'il ne se souviendrait pas du lieu où ces paroles ont été enregistrées, de l'endroit où il se trouvait à ce moment-là ... En plus, une phrase qui paraît curieuse, prononcée avec force comme pour quelqu'un d'un peu éloigné... "Qui a ouvert le piano sans en jouer ?" et aussi autorité, ou même un certain reproche... 

                           Le jeune homme ne se souvient de rien de précis. Bien sûr, il n'accorde pas beaucoup d'attention à ce qui déjà lui paraît de bien peu d'intérêt comme boulot et qui se fait presque sans lui qui n'a qu'à déambuler et seulement vérifier que le petit micro agrafé au revers de sa veste reste bien dégagé...Un piano ? Non...Peut-être une femme assez âgée qui, sortant d'un tea-room, se mit à s'adresser à quelqu'un qu'on ne voyait pas ou qu'il ne revoyait pas...

                            Seulement plus cela va, plus il croit reconnaître des voix d'autrefois ! Des témoignages indubitables de son passé...La voix de ses parents dans la foule du métro, d'un de ses professeurs dans un hall de gare, d'un camarade de classe dans un autobus ! Et même celle de sa première petite amie (la seule à vrai dire) et à laquelle il avait réussi, pour finir et en tout et pour tout, à tenir la main dans une espèce de passage ou de souterrain aux lueurs blafardes et clignotantes durant quelques instants alors que sa voix rieuse et fraîche de gamine résonnait !

                             Comment cela se fait-il ? C'est fort impressionné et presque un peu inquiet qu'il interroge une fois de plus le jeune gars sur ses tribulations magnétophonées. Vous ne vous souvenez pas d'une toute jeune fille qui riait ? Avez-vous emprunté un souterrain ? Autour de vous, y avait-il des arbres ou du béton ? Les arbres, c'est sonore quand il y a du vent ! Du reste, désormais vous irez Place Chevelu enregistrer les grands peupliers qui s'y trouvent, ce bruit de ressac aérien si prenant et majestueux, et que j'allais écouter autrefois  pendant des heures, le soir, comme on va au concert ou à l'Orphéon...

                              Il avait trouvé la solution. Cela ne pouvait plus continuer. Toutes ces voix anonymes finissaient par enfiévrer son imaginaire qui plaquait par-dessus ces bruits anodins des voix d'autrefois comme pour conjurer cet artifice un peu grotesque auquel il s'était astreint...Il envisage  même d'aller peut-être entendre tout cela à nouveau de vive voix et avec  les images cette fois-ci, le film complet ! Ressortir "pour de vrai" ! Mais pas tout de suite...

                              Il enjoint toutefois à son jeune employé, son indifférente oreille baladeuse, d'éviter désormais à tout prix "les endroits qui parlent". Et de leur préférer tout bruit qui ne fût pas directement signifiant mais installant une ambiance plutôt neutre. Seulement il s'aperçoit que les bruits ont souvent eux aussi pour effet de stimuler  fortement l'imagination, qu'ils sont un peu  comme des images sonores, qu'ils infèrent une véritable vision intérieure...

                              Il aime beaucoup les bruits de pas sur des pavés ou des trottoirs en planches,  les bruits de portes, de fauteuils ou de parquets qui craquent, de fontaines, de mains remuant l'eau d'un bassin devant un petit bateau en panne, mais surtout le bruit du vent... dans des tentures, des bâches, des drapeaux, des oriflammes, des flammes...et  pardessus tout dans les arbres, dans les peupliers de la Place Chevelu d'où bientôt le jeune preneur de son, sur ordre formel,  ne devra plus s'éloigner...

                              Enfin disons, en tout cas, le temps que son drôle d'employeur retrouve peut-être, au fil des années, la force de sortir de chez lui pour écouter cela à nouveau par lui-même, comme un grand, comme un petit, tout simplement, de vive oreille, du plus vif quant-à-soi. Et qui sait peut-être, dans le même temps, se sera-t-il mis vraiment à écrire, objet initial, rappelons-le, de sa bien curieuse entreprise ! (Et pourquoi, grands dieux, ne pas imaginer qu'il puisse même un jour, vers la fin de sa vie,  inverser sa funeste tendance à l'auto-isolement qui va se renforçant et qui l'a vu tout récemment, ayant lui-même donné le coup de lime nécessaire pour cela, exiger que sa cassette quotidienne lui soit désormais, tous les soirs , exclusivement glissée sous la porte ! )  

      

n° 175           La soupe  ( ou  Les cannes à pêche )

                                        Une sorte d'enquêteur indépendant (mais sans cesse épié par  sa concierge qui se demande ce qu'il peut bien fabriquer en réalité avec ses éternels pantalons de golf, ses interminables cannes à pêche à l'épaule ou ses chantonnements intempestifs simulant la bamboche)  recrute un aide pour le seconder dans ses tâches difficiles d'observateur-guigneur-surveillant-conseiller.

                                         Il lui montre d'abord sa collection d'instruments d'optique d'approche pour bien guigner et ses appareils de photo nichés dans des accessoires et structures divers...Et puis il lui explique grosso modo et tant bien que mal en quoi consiste l'activité...

                                - "Vois-tu, les gens ne vivent pas tous exactement sur le même rythme, ou plutôt la même périodicité...Certains ont une horloge, qu'elle leur soit purement interne ou juste posée à côté de leur lit, plus lente, d'autres, au mur ou sur un coin du buffet, plus rapide...Ils peuvent dans chaque cas avoir le même but, le même parcours ou itinéraire quotidien, et leur vies paraitre de loin très similaires, comme synchronisées, et pourtant, si on y regarde d'un peu plus près..."

                                          Il continua avec superbe et nonchalance, on aurait dit que tout cela le laissait de glace, cet extraordinaire des choses qu'il faisait surgir en disant simplement ce qui lui passait par la tête (mais évidemment ce n'était pas celle de tout le monde !)

                                - "Tiens, celui-ci par exemple, attablé à midi et demi, donc pour son déjeuner, dans ce self-service près de St-Lazare...

                                - Pourquoi a-t-il pris de la soupe ?

                                - Très bien vu mais laisse-moi continuer...En réalité je le suis et l'observe depuis suffisamment longtemps pour savoir à présent que la fréquence de son emploi du temps n'est pas basée sur les vingt-quatre heures traditionnelles mais allongée par rapport à cela...

                                 - Comment cela allongée ?

                                 - De jour en jour, il mange un peu plus tard, mais aussi se couche et se réveille de même...Il paraît ainsi, petit à petit,  se mettre à faire la grasse matinée et se prélasser une bonne partie de la journée... Tiens regarde sa courbe, c'est un surcircadien 25 ! Sa journée comptant vingt-cinq heures, il prend chaque jour une heure de retard et bientôt, il mangera au milieu de l'après-midi pour finir par  déjeuner le soir à  l'heure du dîner !

                                 - Et du coup, il  ne sera plus franchement décalé !

                                 - En apparence, et très provisoirement, il sera même redevenu synchrone avec le tout venant car il mangera à nouveau en même temps que les autres qui eux toutefois en seront déjà à licher leur soupe alors qu'il devra lui attendre deux heures du matin pour vider à son tour une assiette creuse fumante avec une cuillère ! Et d'ailleurs là, tel que tu le vois en ce moment avec son plateau à l'heure de la pause de midi, en réalité il soupe ! Tu avais d'ailleurs parfaitement remarqué le détail du potage, effectivement assez rare au déjeuner...

                                  - Mais la vie doit être terrible pour eux !

                                  - Absolument ! Ils ne peuvent pas exercer une fonction à l'extérieur,  en atelier ou en bureaux bien longtemps, quelques jours tout au plus avant que leur dérèglement chronique ne  devienne patent et pour eux rédhibitoire. Ils ne peuvent avoir une activité que strictement individuelle, solitaire et qui les isole à domicile la plupart du temps.

                                  - Toujours seuls même chez eux ?

                                  - Oui car la particularité de leur rythme les voue le plus généralement au célibat. A moins de rencontrer l'alter ego...Et justement celui-là avait tenté de mettre au point une sorte de club de rencontres ''Trouvez l'Horloge-Sœur!" (le fameux THS) qui leur aurait permis de dénicher un conjoint partageant en quelque sorte la même oscillation, le même tic-tac...

                                  - C'était chercher midi à quatorze heures !

                                  - Bravo ! De l'humour et une excellente collaboration, cela me plaît...A présent nous allons changer de dyschronique pour rejoindre cette fois-ci un subciracdien 23 et qui prend donc, lui, chaque jour, une heure d'avance ! Mais repassons d'abord par le square où j'ai laissé mes cannes à pêche...

                                  - Ah justement, monsieur Privet-Lornieur, je me demandais...Pourquoi circulez-vous toujours avec ces immenses cannes à pêche sur l'épaule comme si vous alliez taquiner le poisson ? Et surtout, pourquoi ne les démontez-vous pas ?

                                  - Parce que si je le faisais, je ne pourrais plus, tout en passant tranquillement sur le trottoir, racler les vitres des fenêtres jusqu'au deuxième, voire troisième étage si je trouve à me hisser sur un banc, or c'est le moyen à la fois le plus sûr et le plus discret pour savoir si les péquins dont je m'occupe sont chez eux ou non. Car s'ils y sont, et alors qu'ils ne répondraient pas à un appel téléphonique ou de l'interphone, se méfiant énormément, tu peux être certain qu'ils ne tarderont pas à ouvrir leur fenêtre pour savoir d'où vient ce gratouillis sur les carreaux...

                                   - Génial, génial !

                                   - Parfois aussi je chante à tue-tête et horriblement faux pour faire croire à un noceur en vadrouille car là aussi, il est  rare qu'au bout d'un moment une fenêtre ne s'ouvre pas et qu'un baquet d'eau n'y prenne pas appui pour mieux verser son contenu d'eau fraîche censée éloigner le pochetron...

                                    - Bravo , comme ça vous êtes sûr de ne pas rester dans le coin !

                                    - Je suis sûr effectivement de partir au plus vite et de ne pas revenir...En réalité c'est un truc que j'utilise surtout pour m'éloigner moi-même quand j'en ai par-dessus la tête de ce drôle de boulot d'observateur-guigneur patenté...de repéreur de déphasés !

                                    - Mais peu de gens connaissent l'existence de cette profession. Quand on vous demande ce que vous faites dans la vie, que répondez-vous exactement ?

                                    - Ce que je réponds ? Et bien...qu'il faut d'abord distinguer chez moi entre la vie et l'existence. Et que dans l'une comme dans l'autre, je fais  semblant soit de travailler dans un bureau soit d'être astronome...En réalité tu sais j'ai surtout beaucoup travaillé pour moi...Je vais te montrer des photos que j'ai faites au cours de ma carrière...oui comme un besoin de m'activer tout le temps, d'avancer...Tu vois, j'ai longé beaucoup de terrains vagues... mais aussi des terrains d'aviation...d'expositions...d'alluvions...de rétentions... d'accumulations...de dispersions...de discriminations...d'aspersions...de révélations...et des terrains morts, de morts, jouxtant ceux de vie... Longé seulement, car finalement je n'aurai presque rien connu de tout cela...

                                     - Et vos pantalons de golf ?

                                     - Alors là par contre, désolé... je ne sais pas ! Je ne suis jamais arrivé à savoir au juste à quoi ils me servent ! C'est comme si je ne pouvais plus les enlever, c'est tout ! Comme si je les avais toujours portés et c'est vrai... je ne peux pas les enlever !

                                     - Cela se voit, vous êtes malheureux, tout contrit !

                                     - Et puis alors, avec cette houppe blondasse que je n'arrive pas à relever tout à fait, je dois passer pour une espèce de...non ? "

 

n° 176            Un producteur indépendant  ( ou  Cinéma "Happy Few"  )

                                 

              Voir page 13 

 

 TOM REG   "Mini-contes drolatiques et déroutants"  

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