MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

 

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n°1020
 

       Le compositeur Augusto Gorgia, homme envié, au sommet de la gloire et dans la plénitude de son âge, se promenant un soir, seul, dans son quartier, entendit jouer du piano dans un grand immeuble voisin. Augusto Gorgia s'arrêta. C'était une musique moderne , mais différente de la sienne et de celle que composaient ses confrères. Il n'en avait jamais entendu de semblable.

       On ne pouvait même pas discerner sur le moment s'il s'agissait de musique sérieuse ou bien légère; elle rappelait quelques airs populaires, par une certaine trivialité, mais contenait aussi comme un mépris amer, et semblait plutôt s'amuser, bien que dans le fond on devinât qu'elle avait été écrite avec une conviction passionnée.  Toutefois ce qui frappa surtout Gorgia, c'était le langage de cette musique, un langage libéré des antiques conventions.

 

Dino Buzzati - Le musicien envieux (1958) - (nouvelle)

 

n°1019
 

       A cette époque, la Réforme n'avait pas encore ébranlé la papauté et les mercenaires et soudards impériaux du connétable de Bourbon ne s'étaient pas encore livrés à l'épouvantable Sacco di Roma. Quoique brillante, c'était néanmoins pour Rome une époque troublée. Le dynamique Jules II occupait le trône de saint Pierre. Il employa toute son énergie à défendre et à étendre les possessions de la Papauté et à orner Rome des oeuvres d'artistes aussi incomparables que Michel-Ange, Raphaël et Bramante.

       Jules II n'était pas seulement un homme de guerre ni un adversaire implacable de son prédécesseur, le sinistre Alexandre VI Borgia ni un ennemi inflexible de tout ce qui menaçait les Etats de l'Eglise. Il entreprit aussi une oeuvre phénoménale : il voulut réunir en une seule et même main le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, érigeant des palais impériaux pour les papes et forgeant des empereurs sur le moule papal.

 

Joachim Rehork - L'archéologie moderne (1971)

 

n°1018
 

       Il est un homme toujours "à la recherche d'une vexation". Ceux qui l'approchent régulièrement, qu'ils soient Français ou étrangers, partenaires ou subordonnés, finissent par parler de lui comme d'une sorte de cas clinique et échangent fraternellement leurs observations à ce sujet. "Il a été odieux" dit Pierre Vienot, ambassadeur à Londres, au lendemain du débarquement d'Arromanches.

      Plus discret, Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères, se borne à indiquer l'importance prise par un facteur personnel dans les relations diplomatiques de la France. Interrogé par Duff Cooper, à l'automne de 1945, sur les véritables dispositions de son chef à l'égard d'un pacte franco-britannique, il répond qu'il y a en de Gaulle deux hommes qui ont des vues différentes sur la question : "L'homme d'esprit le veut, l'homme d'humeur ne le veut pas."

 

Alfred Fabre-Luce - Le plus illustre des Français (1960)

 

n°1017
 

       Un jour Saint Dunstan, Irlandais de nation et saint de profession, partit d'Irlande sur une petite montagne qui vogua vers les côtes de France, et arriva par cette voiture à la baie de Saint-Malo. Quand il fut à bord, il donna la bénédiction à sa montagne, qui lui fit de profondes révérences et s'en retourna en Irlande par le même chemin qu'elle était venue. Dunstan fonda un petit prieuré dans ces quartiers-là, et lui donna le nom de Prieuré de la Montagne, qu'il porte encore comme un chacun sait.

       En l'année 1689, le 15 juillet au soir, l'abbé de Kerkabon, prieur de Notre-Dame de la Montagne, se promenait sur le bord de la mer avec mademoiselle de Kerkabon, sa soeur, pour prendre le frais. Le prieur, déjà un peu sur l'âge, était un très bon ecclésiastique, aimé de ses voisins, après l'avoir été autrefois de ses voisines. Ce qui lui avait surtout donné grande considération, c'est qu'il était le seul du pays qu'on ne fût pas obligé de porter dans son lit quand il avait soupé avec ses confrères.

 

Voltaire - L'ingénu (1767) - (conte)

 

n°1016
 

       C'en fut trop. Quoi ? Voilà qu'elle était capable de se figurer qu'il se dérobait, s'excusait et se retranchait derrière un prétexte fallacieux, faute d'avoir l'esprit, la virtuosité nécessaires pour trousser les quelques pages agréables quelle lui demandait et que n'importe quel Français, maître du "métier", lui aurait si volontiers et si galamment promises ?

       Mais si elle allait se compromettre ainsi , lui - par les dieux immortels! - prendrait les devants de la façon la plus admirablement effective, la mettant ainsi dans l'impossibilité de déroger à nouveau. Leurs visages étaient si proches qu'il pouvait se permettre les plus grandes libertés, fût-ce un instant.

 

Henry James - Le gant de velours (1909) - (nouvelle)

 

n°1015
 

       Le domaine est entièrement entouré d'une enceinte. Sur les quatre côtés s'étend un petit mur ininterrompu sur lequel, tous les trois mètres, s'élèvent des colonnettes de ciment, hautes et solides : entre ces colonnettes, un réseau de fil de fer barbelé masqué par des chaumes drus. La maison elle-même est prolongée à droite et à gauche par deux murs élevés, hérissés de pointes de fer.

       Le mur de droite s'achève par la porte d'entrée de tôle, à deux battants : le mur de gauche comporte un petit huis également en tôle à un seul battant. Près du portrait, un garage, qui ne renferme pas, comme on pourrait le présumer, une voiture, mais une embarcation pontée à la poupe, à la proue et sur les côtés, et faite pour les courses en mer. 

 

Henry James - Le petit coin (1926) - (nouvelle)

 

n°1014
 

       Cet ouvrage de conception nouvelle et pratique est le complément naturel du Précis chronologique d'Histoire de France de Dujarric. Ce dernier, en effet, conçu il y a longtemps déjà, s'en tenait à l'histoire événementielle ; notre mise à jour avait tenté (à partir des années vingt) d'introduire des notions de civilisation et de culture. Ces données sont, en général,  dispersées dans les chronologies mondiales ou ne se trouvent que dans les ouvrages spécialisés.

       C'est pourquoi nous avons pensé répondre aux voeux de nombreux lecteurs en mettant à leur disposition, sous un format commode, la succession, année par année, des richesses essentielles du patrimoine culturel de la France. Le découpage des chapitres tient compte exclusivement des courants culturels en se démarquant radicalement de l'histoire traditionnelle par siècles ou par régions.

 

Yves D.Papin - Précis chronologique de civilisation française (1981)

 

n°1013
 

       Rappelons-nous cet osselet colossal trouvé dans le temple d'Apollon Didyméen décrit dans les Mémoires de la délégation en Perse. Les échantillons de monnaie étaient conservés également dans les temples, comme le prouve la célèbre phrase de Cicéron : "Plut à Dieu que les monnaies demeurent au temple de la Déesse". La mention de la vérification des poids est, parfois mais rarement, attestée  par l'apposition d'une estampille de vérification.

       Le plus souvent, les poids étalons portent le nom de l'édile qui en est responsable, et ils sont souvent datés comme le sont certaines monnaies par les années de règne ou de consulat de l'empereur du moment. Mais un poids de X livres, trouvé en Mésie inférieure porte le nom de la Légion et de son commandant, légat impérial. On trouve aussi des poids portant le nom du Préfet.

 

Jean Forien de Rochesnard - Album des poids antiques (s.d.) -(métrologie)

 

n°1012
 

       Ces doctrines répondaient à des besoins nouveaux auxquels ne pouvaient suffire ni les explications rationalistes des physiciens ioniens ni la religion traditionnelle. A mesure que la constitution des cités s'améliorait, les hommes pouvaient constater que celle du monde était loin de répondre à cet idéal de justice que poursuivaient les législateurs, que le mal y était souvent triomphant, et qu'on n'y assistait pas toujours à la punition du crime et de la démesure.

       Et la notion de plus en plus claire de la responsabilité personnelle s'opposait aux vieilles conceptions qui tournaient la difficulté en faisant retomber sur les enfants le poids de la faute des pères. De là l'idée des peines qu'après leur mort devaient subir les méchants et de l'existence obscure et diminuée du principe vital après la destruction du corps.

 

Jean Hatzfeld - Histoire de la Grèce ancienne (1967)

 

n°1011
 

       Cet ouvrage s'adresse au mélomane comme à l'étudiant ou au professionnel de la musique. Il vise non pas à remplacer une histoire de la musique, mais à mettre en valeur certains évènements, certaines oeuvres clefs qui constituent les jalons, les carrefours essentiels de notre art. En effet à côté de maints travaux d'ordre musicographique, il nous a semblé opportun d'offrir au lecteur un guide pratique de références chronologiques.

       Notons dès l'abord que sur le plan de la chronologie, il n'est point de commune mesure entre l'histoire tout court, même entre l'histoire de la musique et celle des autres arts. Que le lecteur ne s'attende donc pas à trouver dans ce manuel des subdivisions semblables à celles des volumes que l'éditeur a fait paraître en parallèle notamment pour l'histoire générale.

 

N.Dufourcq / M.Benoît / B.Gagnepain - Les grandes dates de l'Histoire de la Musique  (QSJ n°1333-1969)

 

n°1010
 

       Le lendemain, Alexandre se met en marche vers Milet, avec le reste de l'infanterie, les archers, les Agrianes, la cavalerie thrace, l'escadron royal, et en outre trois autres. La ville extérieure n'est pas défendue; Alexandre s'en empare, y installe son camp et se prépare à cerner la ville intérieure par une ligne de circonvallation. Hégésistrate, le commandant de la garnison, envoie d'abord son offre de reddition.

       Prévenu qu'une armée de secours approche, il se ravise  et se prépare à la résistance. Mais Nicanor, à la tête de la flotte grecque, forte de cent soixante-dix navires, devance les Perses, et trois jours avant eux, se saisit de l'île de Ladé. Arrivés trop tard, ils trouvent la position occupée et malgré la grosse supériorité numérique que leur assurent les quatre cents voiles dont ils disposent, se retirent sous le promontoire de Mycale.

 

Léon Homo - Alexandre le Grand (1965) - (histoire)

 

n°1009
 

       Quand l'enfant s'amuse à reconstituer une image en assemblant les pièces d'un jeu de patience, il y réussit de plus en plus vite à mesure qu'il s'exerce davantage. La reconstitution était d'ailleurs instantanée, l'enfant la trouvait toute faite, quand il ouvrait la boîte au sortir du magasin. L'opération n'exige donc pas un temps déterminé, et même, théoriquement, elle n'exige aucun temps.

       C'est que le résultat en est donné. C'est que limage est créée déjà et que, pour l'obtenir, il suffit d'un travail de recomposition et de réarrangement. Mais pour l'artiste qui crée une image en la tirant du fond de son âme, le temps n'est plus un accessoire. Ce n'est pas un intervalle qu'on puisse rallonger ou raccourcir sans en modifier le contenu. La durée de son travail fait partie intégrante de son travail.

 

Henri Bergson - L'Evolution créatrice (1907)

 

n°1008
 

       Une impression visuelle est un ensemble très complexe. A côté de la simple sensation visuelle purement physiologique, elle comprend un facteur psychologique d'interprétation, à base de mémoire et d'imagination, que nous ne discernons guère d'habitude.

       Voir un paysage ?  C'est sentir des impressions lumineuses diverses sur les deux rétines : du vert, du bleu, du rouge. C'est éprouver les sensations musculaires de faire tourner les yeux dans leurs orbites et d'accommoder successivement aux différentes distances. C'est en même temps une synthèse mentale. Voici un arbre, une cheminée en briques. 

 

M.Hesse / C. Amédée-Mannheim - La photographie (193200)

 

n°1007
 

       On a la haine de l'intelligence. La valeur humaine s'exprime en dollars. Un tel vaut tant, il a tant de dollars. Leur mépris de l'intelligence est prodigieux. Dans les établissements de haut enseignement en Europe, parmi les étudiants, quelques-uns rêvent de se consacrer à la science pure, d'autres à l'enseignement, une certaine partie enfin à tirer de leurs études un avantage pratique dans l'industrie, le commerce, les professions libérales, mais tous indistinctement ont le respect de la science.

       Il n'en est pas de même en Amérique : ils ont le mépris de la science qu'on leur distribue et ils sont possédés par la hâte fébrile d'en finir pour l'appliquer, pour gagner de l'argent, pour pouvoir s'agenouiller devant le dollar. 

 

Kadmi-Cohen - L'abomination américaine (1930)

 

n°1006
 

       En 1907 un journal royaliste se fonde. Il côtoie d'abord d'autres organes de même nuance ; bientôt il les absorbe ou les contrôle tous. Deux chefs : Léon Daudet, le fils du grand romancier, dont Victor Basch a écrit que, " après s'être essayé successivement dans tous les genres, après avoir lancé le venin dont sa poche était pleine sur les médecins ses maîtres, sur les écrivains et les journalistes ses confrères, sur les amis de son père, il avait pris conscience dans ces multiples tentatives de sa véritable vocation, il était devenu un bas pamphlétaire : Père Duchêne du Trône et de l'Autel ".

       Charles Maurras, dont chacun s'accorde à louer la haute valeur littéraire, mais dont les uns prétendent qu' "une fatalité physiologique le détourne de la vie présente", que, "sourd à l'appel de la réalité, il fait le rêve insensé de communiquer sa surdité à la France entière", lui faire rebrousser chemin jusqu'à la royauté.

 

Joseph Caillaux - Mes prisons (1920)

 

n°1005
 

       A son retour, Caïus commença par déménager du Palatin pour aller loger au-dessus du Forum, jugeant plus démocratique d'habiter un quartier où résident un très grand nombre de gens de basse condition et les pauvres. Ensuite il exposa le reste de ses projets de lois, dans l'intention de les faire voter. Mais, comme la foule l'entourait de tous les côtés, le Sénat décida le consul Fannius à chasser absolument tous autres que les Romains.

       Après la publication de cette décision extraordinaire et étrange, qui interdisait à tout allié et à tout ami de Rome de se trouver dans la Ville au cours de ces journées de discussion, Caïus fit, à son tour, afficher un manifeste pour protester contre l'ordonnance du consul et promettre son appui aux alliés, s'ils tenaient bon. Cependant il ne les soutint pas, au contraire.

 

Plutarque (46-125 ap.) - Les vies de Caïus et Tiberius Gracchus 

 

n°1004
 

       Lorsque la guerre éclate, le Scharnhorst est à l'entraînement entre Heligoland et le golfe de la Jade, après un long séjour à l'arsenal. Avec le Gneisenau, il est le premier croiseur de bataille construit après l'abolition des clauses limitatives du traité de Versailles. Commencé en 1935 à Wilhelmshafen, sorti des chantiers le 3 octobre 1936, il fut mis en service le 7 janvier 1939 sous le commandement du capitaine de vaisseau Ciliax.

       Mais en septembre 1939, le Scharnhorst n'est pas encore prêt pour le combat. Alors que d'autres bâtiments récents ont des équipages homogènes, le sien se compose de matelots qui viennent de diverses unités. Il est équipé de machines modernes, avec des chaudières à surchauffe à petits tubes. Il aurait fallu plus de temps pour faire leurs essais ainsi que ceux d'un certain nombre d'appareils nouveaux.

 

Fritz Otto Busch - Le drame du Scharnhorst (1953) - (histoire)

 

n°1003
 

       Il est bien évident que le "fascisme" mendésien était voué à l'échec, du simple fait qu'il se heurtait à la structure du régime, et aussi parce que la volonté de libéralisme de la nouvelle gauche le condamnait à promettre l'autorité au lieu de l'exercer vraiment. Et nous touchons là à la plus grave contradiction de la nouvelle gauche : le libéralisme qu'elle oppose au totalitarisme communiste la paralyse doublement.

       Ce libéralisme l'oblige à respecter les règles d'un jeu politique dont elle dénonce la malfaisance ; ensuite et surtout, se voulant de gauche, elle se doit d'exercer principalement ce libéralisme envers l'extrême gauche. La nouvelle gauche est ainsi condamnée à l'inefficacité : comment donc pourrait-elle promouvoir les réformes qu'elle proclame nécessaires si le régime existant rend leur application impossible ?

 

Paul Sérant - Grdez-vous à gauche (1956)

 

n°1002
 

       Je le revois encore à ses débuts, en 1900, quand il créa le rôle du Jockey d'Epsom dans la revue de Paul Gavault aux Variétés. Il avait le don inné du "théâtre", le sens de la vie, et surtout cette inimitable fantaisie, cette verve et cet humour qui devaient le rendre célèbre. Max Dearly ne fut pas de ces acteurs qui jouent le même rôle toute leur vie.

       Il pouvait être tour à tour un grand valet (un Figaro ou un Scapin), un amoureux sceptique, un Parisien ironique, un viveur blasé, un Anglais, un Russe ou un Italien, un prince ou un clochard. Comme on dit dans l'argot des coulisses, il se déplaçait avec une étonnante facilité. Pourtant il imposait sa marque à chacun des personnages qu'il interprétait.

 

Curnonsky - Souvenirs littéraires et gastronomiques (1958)

 

n°1001
 

       A chacun ses souvenirs, ses rêves, ses mirages et ses fantasmes. Le mot château peut faire naître des images de tournoi où des chevaliers bardés de fer échangent des horions sous le regard brillant des dames, ou bien d'égrillardes prouesses de gentilshommes à fraise et à bilboquet, ou de menuets sautillants sur les parquets dangereusement cirés de la Galerie des Glaces...

       Pour moi il évoque moins le minéral que le végétal. L'échauguette et la barbacane s'effacent derrière le merlot et le cabernet. Les châteaux du Bordelais associent dans l'accomplissement d'une oeuvre commune l'homme et la nature La pierre dont ils sont construits, contrairement à celle de tous les autres palais  de par le monde, compte moins au-dessus qu'au-dessous du sol. La cave a plus d'importance que la tour.

 

Jean Ferniot - L'appellation aux mille et un châteaux (1965) - (guide du vin)

 

n°1000
 

       Il est intéressant de consulter les notes concernant la situation en Angleterre à ce moment-là. Les dispositions prises par la marine britannique ne prévoyaient pas une intervention immédiate dans la Manche, car les amiraux britanniques craignaient presque autant l'aviation allemande que les amiraux allemands craignaient la marine de sa Majesté. Le jour où Hitler décida la préparation de l'invasion en Angleterre, j'appris de source sûre que les avions de chasse britanniques, décimés lors de l'évacuation de Dunkerque, se trouvaient à nouveau aussi nombreux qu'avant.

       Durant les six semaines qui suivirent Dunkerque, les armées de terre disponibles pour faire face à une invasion étaient si réduites qu'une poignée de divisions ennemies les aurait bousculées. On sentait que l'aviation, en ayant reconstitué sa puissance de guerre, constituait une garantie essentielle contre une invasion dont les chances de succès diminuaient d'autant.

 

B.H. Liddel Hart - Les Généraux allemands parlent (1948)

 

n°999
 

       Comme dans l'ordre économique, de profondes différences dans l'organisation politique et sociale séparent, au Vè s. av. , les Etats grecs. Dans les pays à régime arriéré, une minorité de propriétaires continue à posséder le sol ; ses membres sont seuls à exercer dans leur plénitude les droits du citoyen. En Thessalie, dans les villes crétoises, quelques centaines de hobereaux désignent les chefs du pouvoir exécutif, et, réunis en assemblées peu fréquentes, règlent les rares questions de politique  qui se posent dans des Etats aussi rudimentaires.

       Les choses ne vont pas très différemment à Sparte ; le grand rôle que joue cette ville à la tête de la confédération péloponnésienne met parfois plus d'animation dans les séances mensuelles de l'Assemblée qui décide par acclamation des questions soumises à sa compétence par le Conseil des Anciens et impose une grande activité aux éphores, chefs du pouvoir exécutif. 

 

Jean Hatzfeld - Histoire de la Grèce ancienne (1962)

 

n°998
 

       Quelles sont, en 1937, les véritables intentions d'Hitler ? Où veut-il en venir ? Le 5 novembre 1937, il réunit à la chancellerie quelques-uns de ses principaux collaborateurs. Il commence par souligner l'importance de cette conférence au cours de laquelle il a l'intention d'exposer à ses interlocuteurs le fruit de ses réflexions et de son expérience après quatre ans de gouvernement. Il demande que, s'il venait à mourir, ses déclarations soient considérées comme ses dernières volontés et son testament.

       Hitler estime que l'Allemagne se trouve devant la nécessité urgente de conquérir son espace vital en Europe. Notre but, dit-il, est de chercher, plutôt en Europe qu'au-delà des mers, des territoires riches en matières premières. Cet objectif doit être atteint rapidement en une ou deux générations. L'exemple de l'Empire romain ou de l'Empire britannique démontre que toute expansion territoriale ne peut être effectuée qu'en brisant les résistances qu'elle rencontre et en acceptant d'en courir le risque.

 

Jacques de Launay - Les grandes controverses du temps présent.  t.1- 1914-45 (1964)

 

n°997
 

       Au retour d'un long voyage, le prince Caramasan traversait le désert avec son escorte, attendant d'un instant à l'autre que les tours de la ville vinssent enfin se présenter à l'horizon, quand il aperçut un vieil ermite, nu, assis sur une pierre. Ce personnage était si maigre qu'on pouvait distinguer sous la peau son squelette dans les moindres détails. Tout autour de lui, certains agenouillés, d'autres debout, se trouvaient plusieurs pèlerins, cachant la plupart leur tête sous un capuchon sans doute parce qu'ils étaient venus là pour se libérer de remords trop pesants et qu'ils craignaient d'être reconnus.

       Caramasan, homme d'une grande piété, ne manqua pas d'offrir ses services au vieillard. -Saint ermite, lui dit-il, c'est Dieu peut-être qui m'a guidé jusqu'à toi pour te venir en aide. Veux-tu boire de l'eau, veux-tu manger, que veux-tu? -Je te remercie, prince Caramasan, répliqua l'ermite. Mais la bienveillance de l'Eternel m'a épargné jusqu'ici les affres de la faim et de la soif.

 

Dino Buzzati - Les cinq frères (1958) - (nouvelle)

 

n°996
 

       Sur la plage m'attendaient les compagnons de pèlerinage ; je les reconnus tous, bien que ne sachant pas si je les avais vus quelque part ; mais nos vertus étaient pareilles. Le soleil planait déjà haut sur la mer. Ils étaient arrivés dès l'aube et regardaient monter les vagues. Je m'excusai de m'être fait attendre ; eux me pardonnèrent, pensant qu'en chemin m'avaient arrêté encore quelques subtilités.

       Ils me reprochèrent pourtant de ne m'être pas plus simplement laissé venir. Comme j'étais le dernier et qu'ils n'en attendaient plus d'autres, nous nous acheminâmes vers la ville au grand port où appareillent les navires. Des clameurs en venaient vers nous sur la plage. La ville où nous devions nous embarquer au soir éclatait de soleil, de clameurs et de fêtes sous la blanche ferveur de midi.

 

André Gide - Le voyage d'Urien (1893) - (récit)

 

n°995
 

       Le calcul des probabilités est une des branches les plus attrayantes et les moins ardues de la Mathématique. C'est simplement pour des raisons de tradition, l'on n'ose écrire de routine, que les éléments de ce calcul ne figurent pas aux programmes de l'enseignement secondaire où ils remplaceraient avantageusement bien des matières qui y subsistent pour le seul motif que personne ne se donne la peine de les supprimer.

       Les origines du calcul des probabilités, comme celles de beaucoup de branches du savoir humain, sont modestes et ses fondateurs ne soupçonnaient probablement pas l'importance que prendrait la science nouvelle. C'est à propos de problèmes posés par les jeux de hasard, notamment par le jeu de dés, que Pascal et Fermat ont éclairci les principes du calcul des probabilités. 

 

Emile Borel / Robert Deltheil - Probabilités-Erreurs (1934)

 

n°994
 

       Il n'y a plus de déserts. Il n'y a plus d'îles. Le besoin pourtant s'en fait sentir. Pour comprendre le monde, il faut parfois se détourner; pour mieux servir les hommes, les tenir un moment à distance. Mais où trouver la solitude nécessaire à la force, la longue respiration où l'esprit se rassemble et le courage se mesure ? Il reste les grandes villes. Simplement, il y faut encore des conditions.

        Les villes que l'Europe nous offre sont trop pleines des rumeurs du passé. Une oreille exercée peut y percevoir des bruits d'ailes, une palpitation d'âmes. On y sent le vertige des siècles, des révolutions, de la gloire. On s'y souvient que l'Occident s'est forgé dans les clameurs. Cela ne fait pas assez de silence.

 

Albert Camus - Le Minotaure (L'été) (1939) - (essai)

 

n°993
 

       Vous savez à quel point je raffole de ces histoires extraordinaires, et vous pouvez penser combien j'estimais indispensable de faire la connaissance d'Antonie. Ces propos du public sur le chant d'Antonie, je les ai souvent entendus, mais je ne soupçonnais pas jusqu'alors qu'elle habitait la ville même et vivait dans les chaînes de ce maniaque de Krespel comme dans celles d'un magicien tyrannique.

       Naturellement, dès la nuit suivante, je rêvais que j'entendais le chant merveilleux d'Antonie, et comme, dans un magnifique adagio que j'eus le ridicule de prendre pour ma propre composition, elle me suppliait de la façon la plus touchante de la délivrer, je fus vite résolu à pénétrer, nouvel Adolphe, dans la maison de Krespel comme dans le château magique d'Alcine, pour libérer de ses liens infamants la reine du chant.

 

E.T.A. Hoffmann - Le conseiller Krespel (1817) - (conte)

 

n°992
 

       Le père était un des plus habiles essimpleurs de Paris ; aussi, au moment où doit se faire cette opération, toutes ses journées étaient-elles prises. C'était alors pour nous, et particulièrement pour Etiennette, notre mauvais temps, car entre confrères on ne se visite pas sans boire un litre, quelquefois deux, quelquefois trois, et, quand il avait ainsi visité deux ou trois jardiniers, il rentrait àa la maison la figure rouge, la parole embarrassée et les mains tremblantes.

       Jamais Etiennette ne se couchait sans qu'il fût rentré, même quand il rentrait tard, très tard. Alors quand j'étais éveillé, ou quand le bruit qu'il faisait me réveillait, j'entendais de ma chambre leur conversation. -Pourquoi n'es-tu pas couchée ? disait le père. -Parce que j'ai voulu voir si tu n'avais besoin de rien. -Ainsi Melle Gendarme me surveille !    -Si je ne veillais pas, à qui parlerais-tu ?

 

Hector Malot - Sans famille (1878) - (roman)

 

n°991
 

       Une certaine nation étrangère faisait peser depuis plusieurs années sur Athènes, voire sur la Grêce entière, une menace sans cesse accrue. J'ai nommé la Macédoine. C'est un peuple réputé barbare, quoiqu'il occupe un territoire fort proche de celui des Grecs et que sa civilisation fût à peu de choses près la même, ses origines probablement semblables. Il se vantait de descendre de héros brutaux et guerriers.

       Il n'avait pas beaucoup de villes bien bâties, de temples ornés, de rhéteurs et de scribes. En revanche il se targuait de donner naissance à de rudes soldats, que commandait une noblesse exercée à la chasse, à la beuverie, à la bataille. On le disait grossier et militaire, mais il aimait beaucoup se mettre à l'école de ses voisins plus raffinés, tout en observant leur faiblesse et en méditant de les supplanter ou conquérir.

 

Candidus d'Isaurie - Vie de Phocion (1948) - (roman historique)

 

 

 

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