MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

 

Page  33  

 

n°990
 

       Je suis allé l'autre jour au couvent sécularisé de San Marco, ai payé mon franc au petit portillon profane qui grince à l'entrée - il ne faut pas moins de six gardiens, apparemment, pour le faire tourner, comme s'il pouvait avoir une conscience réfractaire - , ai longé le cloître lumineux et tranquille, et présenté mes respects à la Crucifixion de Fra Angelico, dans cette sombre salle du rez-de-chaussée.

       Je l'ai longtemps regardée ; on ne peut guère faire autrement. La fresque traite le pathétique à grande échelle, et après avoir saisi sa beauté, vous vous sentez aussi peu libre de vous en aller brusquement que de quitter l'église au milieu du sermon. Il se peut que votre christianisme, formellement, soit aussi faible que celui de Fra Angelico était fort ; vous vous sentez pourtant exhorté par une décence spirituelle à laisser une vue aussi ardente de l'histoire chrétienne vous imposer son extrême volonté.

 

Henry James - L'automne à Florence (1909)

 

n°989
 

       On traqua bientôt les Jésuites comme suspects : un an après son arrivée, le P. Campion fut arrêté, torturé et exécuté à Tyburn, en 1581. Son compagnon, le P. Persons, put s'enfuir et il organisa, du continent, la mission. La vie des Jésuites, débarqués le plus souvent en secret sur la côte puis hébergés par des catholiques dévoués qui risquaient la mort, participait du roman d'aventures.

        Déguisés en gentilshommes, les Pères ne pouvaient échapper aux "poursuivants" qu'en changeant souvent de domicile ou en se réfugiant dans des cachettes, généralement des trous obscurs ménagés dans l'épaisseur des murs. On les ravitaillait en secret. Ils restaient des jours et des semaines quasi immobiles.

 

Alain Guillermou - Les Jésuites (QSJ n°936-1961)

 

n°988
 

       Les communistes hurlent chaque fois qu'il est question d'amnistie. Et cependant Thorez ne profita-t-il pas de la première amnistie ? A propos, ce brave Maurice ne nous a jamais expliqué quel itinéraire il avait emprunté pour se rendre de Chauny (Oise) à Moscou (U.R.S.S.) ? Aucun quotidien n'a publié le tract de protestation des ouvriers de la Presse. On y lisait : 

       "Ici se pose la question des journaux qui depuis la libération continuent à se faire imprimer dans les imprimeries nationalisées sans les payer la plupart du temps..." Et à propos des commanditaires de la presse dite de la résistance: "Les ouvriers de la Presse refusent de faire, avec leurs salaires, le jeu de tous les goinfrés qui se sont rués à l'assaut des places et des dividendes."

 

Jean Galtier-Boissière - Mon journal dans la grande pagaïe (1950)

 

n°987
 

       J'ai pris la poste jusqu'à Schaffhouse, et de là je suis allé à Zürich en prenant des chevaux de louage parce qu'en Suisse il n'y pas de poste. Je me suis très bien logé à l'Epée. Seul après souper dans la plus riche ville de la Suisse où je me voyais comme tombé des nues, car j'y étais sans le moindre dessein prémédité, je m'abandonne à des réflexions sur ma situation actuelle et sur ma vie passée. Je rappelle à ma mémoire mes malheurs et mes bonheurs, et j'examine ma conduite.

       Je trouve de m'être attiré tous les maux qui m'ont accablé, et d'avoir abusé de toutes les grâces que la Fortune m'a faites. Frappé par le malheur, que je venais de sauter à pieds joints, je frissonne, je décide de finir d'être le jouet de la Fortune sortant entièrement de ses mains. Etant possesseur de cent mille écus je me détermine à me faire un état permanent exempt de toute vicissitude. Une paix parfaite est le plus grand de tous les biens.

 

Casanova - Mémoires - (Voyage en Suisse -1760)

 

n°986
 

       Deux petits vieux attendent chez eux un orateur et une nombreuse assistance. L'orateur va expliquer la philosophie du petit vieux qui est concierge, ancien Maréchal des logis. Il a une philosophie mais il ne sait pas la transmettre, aussi a-t-il chargé un conférencier de livrer son message à un public aussi nombreux que varié. Les gens arrivent en barque, on entend le clapotis. Il y a même l'Empereur.

       Les petits vieux reçoivent, disent les mots d'usage et font asseoir les gens.  Peu à peu c'est un déferlement de visiteurs et de chaises. Le petit vieux et sa femme ne sont occupés qu'à apporter des chaises et ils ne disent même plus un mot. Le vieux annonce que la vie n'a plus rien à lui apporter ni à lui, ni à Sémiramis sa femme et qu'ils peuvent mourir en paix puisque leur message sera transmis par l'orateur.

 

Eugène Ionesco - Les chaises (1954) - (théâtre)

 

n°985
 

       Voilà donc ce document secret, qui, à la lueur des évènements d'aujourd'hui, à l'heure où certains Belges paraissent vouloir se jeter dans les bras de l'Allemagne, à la minute où la Belgique est au carrefour, constitue un si émouvant avertissement. Suivant les ordres qu'il a reçus, le gouverneur général von Bissing entend préparer l'annexion économique, morale et politique de la Belgique.

       Il veut procéder, avec une méthode que nous ne pouvons qu'admirer. Son plan d'enquête est parfaitement établi. Le Reich saura exactement ce que "vaut" la Belgique et, vainqueur, pourra la faire payer et connaître la valeur précise de son butin. Tout est prévu. L'inventaire sera complet au moment de négocier le traité de paix. Rien n'aura échappé.

 

André Fribourg - La victoire des vaincus (1938)

 

n°984
 

       Nous n'avons plus que deux visites à faire. La famille est tout ébranchée. Un oncle très riche et une vieille cousine, dans un logement d'ouvrier, assise entre le courant d'air d'une porte et d'une fenêtre. Elle est pourtant la petite-fille d'une femme qui avait trois millions, le grand et le petit hôtel Charolais, le château de Clichy-Bondy, des plats d'argent pour le rôti de gibier que deux domestiques avaient peine à porter.

       Tout cela c'est devenu des assignats et cette Elisabeth Lenoir, cette fille d'argent comme alors on disait, que M. de Courmont avait épousée pour sa fortune, est morte dans un grenier avec un vieux chien, enterrée dans la fosse commune. Ma cousine : plus qu'une petite rente viagère et une place au cimetière Montmartre, payée d'avance et bien à elle.

 

Edmond et Jules de Goncourt - Journal (1er janv 1857)

 

n°983
 

       L'échec de la croisade, d'ailleurs, ne pouvait manquer de poser devant la conscience du roi des questions redoutables. Les hommes des XIIè et XIIIè siècles avaient déjà, plus d'une fois, été confrontés à ce problème : comment une croisade, expédition entreprise pour le service de Dieu, et bénie par l'Eglise, pouvait-elle s'achever sur la défaite des Chrétiens, sur la "honte de Dieu" ?

       Certains ont été jusqu'à mettre en doute que la croisade ait pu être voulue par Dieu : ils sont peu nombreux. Même les troubadours qui invectivaient la Papauté à propos de la guerre déchaînée contre le comte de Toulouse ou Frédéric II ou ceux qui dénonçaient avec violence "Rome" à l'occasion de l'échec de la cinquième croisade, ne contestent pas la croisade en tant que telle. 

 

Jean Richard - Saint-Louis (1983) - (histoire)

 

n°982
 

       De tous les écrivains qui règnent présentement sur l'opinion, et dont aucun n'est d'interprétation commode, André Gide est le plus difficile à ne point trahir. Proust, Claudel, Valéry, Barrès lui-même ont conquis leurs galons par des voies peu régulières : tous, plus ou moins, ce sont des francs-tireurs. Mais ces francs-tireurs, dès que la gloire les touche, régularisent volontiers leur situation, se font inscrire, sans broncher, dans l'état-major des lettres où ils remplacent les aînés qu'ils ont combattus; et finalement y gagner, ou y perdre, de leur ressembler.

       Que dire alors de Gide, qui fait de cet état de franc-tireur sa permanente raison d'être, qui, poussé par l'opinion au premiar rang de l'armée littéraire, en refuse la servitude et s'arrache les galons dont on le décore ? Un écrivain illustre qui ne veut point d'une grande carrière : situation rare en France, et toujours, chez nous, paradoxale. La royauté littéraire nous paraît le couronnement si naturel du mérite  et du succès littéraire que celui qui s'y dérobe, nous inclinons à le rejeter hors de la nature.

 

Ramon Fernandez - Gide ou le courage de s'engager (1931)

 

n°981
 

       Mon avocat me pressa de partager son lit. Je redoutais la soiété intime du chancelier de Henri IV; je préférai passer la nuit sur un banc placé autour du poêle, entre un officier de marine marchande qui n'avait fait qu'un saut des Grandes Indes à la Conciergerie, et un tailleur de Paris qui était descendu de la rue Mouffetard. Ainsi cette tyrannie, la plus puissante et la plus hideuse qui ait jamais désolé l'espèce humaine, frappait au même instant dans des climats opposés, en même temps qu'elle dévorait autour d'elle.

       Elle franchissait ces espaces et s'élançait aux quatre coins du monde pour y saisir ses victimes. Fléau prodigieux ! Sa naissance, ses progrès, sa chute lasseront longtemps la réflexion humaine. L'officier de marine, plus habitué que d'autres à des lits mal faits, reposa fort bien sur son banc.

 

Hector Fleischmann - Les Prisons de la Révolution (1908)

 

n°980
 

       Une matrone des plus respectées, nommée Philomène, qui, grâce aux complaisances de sa jeunesse, avait escro-qué plus d'un testament, après que l'âge eut flétri ses charmes prodiguait son fils et sa fille aux vieillards sans postérité, et soutenait par ces successeurs l'honneur de son premier métier. Cette femme donc s'en vint chez Eumolpe; et la voilà qui invoque pour ses enfants sa sage tutelle, qui s'abandonne à sa bienveillance, elle et ses espérances les plus chères.

       Il était le seul homme au monde qui pût par des préceptes journaliers inculquer à cet âge avant toute chose une saine morale ; enfin elle laissait ses enfants dans la maison d'Eumolpe, pour qu'ils écoutassent ses leçons, seul héri-tage qu'elle pût léguer à cette jeunesse. Elle le fit comme elle le disait : la fille très jolie, et le fils, bel adolescent, res-tèrent dans la chambre du vieillard. La mère alla soi-disant au temple demander au ciel d'exaucer ses voeux.  

 

Pétrone - Le Satyricon (c.50ap.) - (roman érotique satirique)

 

n°979
 

       J'avais pensé pouvoir t'envoyer aujourd'hui la seconde épreuve : elle n'est pas prête encore et ne le sera que dans deux jours. Pour occuper ton impatience, je te transmets ci-dessous les quelques remarques - d'ordre divers - que la lecture de la première moitié de ton livre m'a fait noter, non sans quelque honte de ne parler de l'animal que pour d'abord signaler que j'y ai cru voir des puces, afin de te permettre de situer mes observations.

       Je t'envoie en même temps que ma lettre un paquet d'épreuves inutilisées. Je commence donc... Page 7. "Voici la porte, on la franchit."  Franchit-on une porte ? Je ne crois pas. Le seuil, tout au plus.  Page 11. "De tous les cafés maures, café choisi le plus retrait et le plus sale." Et d'abord, la tournure ne me paraît pas très claire : j'ai dû relire la phrase avant de la comprendre.

 

André Ruyters - lettre à André Gide (oct. 1905) - (correspondance)

 

n°978
 

       Le chef de gare vient de donner le signal du départ. Un geste bref, une ferme poignée de main. Mon brave Benno un magnifique chien berger allemand, qui avait partagé avec nous joie et douleur, aboie plaintivement une dernière fois pour prendre congé, et puis le train s'éloigne de la gare ave de longues secousses. Nous traversons rapidement le pays sur lequel l'aube se lève. Partout, dans ces lieux de fièvre industrieuse, des hautes cheminées d'usines, et des hauts-fourneaux fumant.

       Que de fois nous avons effectué ce parcours, hier, lorsque nous faisions le soir des incursions dans la Ruhr, pour ouvrir la première brèche dans quelque centre communiste ! Que de fois nous sommes partis à l'attaque ici, nous avons été repoussés avec des pertes sanglantes, nous sommes revenus, nous avons de nouveau été renvoyés chez nous avec des plaies et des bosses, pour conquérir dans une troisième tentative, au cours d'une percée acharnée, une position solide.

 

Joseph Goebbels - Combat pour Berlin (1966) - (souvenirs)

 

n°977
 

       Il était parti pour la Scandinavie. Ce fut dans ces climats que des spectacles nouveaux frappèrent encore ses yeux. Ici la royauté et la liberté subsistaient ensemble par un accord qui paraît impossible dans d'autres Etats ; les agriculteurs avaient part à la législation, aussi bien que les grands du royaume ; et un jeune prince donnait les plus grandes espérances d'être digne de commander à une nation libre. Là c'était quelque chose de plus étrange : le seul roi qui fût despotique de droit sur la terre par un contrat formel avec son peuple était en même temps le plus jeune et le plus juste des rois.

       Chez les Sarmates, Amazan vit un philosophe sur le trône : on pouvait l'appeler le roi de l'anarchie, car il était le chef de cent mille petits rois dont un seul pouvait d'un mot annéantir les résolutions de tous les autres. Eole n'avait pas plus de peine à contenir tous les vents qui se combattent sans cesse, que ce monarque n'en avait à concilier les esprits.

 

Voltaire - La Princesse de Babylone (1768) - (conte)

 

n°976
 

       Ainsi, au fil des jours tristes, le rôle de Vichy va s'amenuisant et le côté "provisoire" de la capitale apparaît da-vantage dans sa cruelle nudité. Les visiteurs qui viennent encore rendre hommage au vieux soldat  - dont la presse de Paris attaque sans cesse violemment les collaborateurs directs - espèrent qu'il pourra s'opposer un jour à Laval, qu'il n'aime pas, on le sait, mais auquel, par lassitude, il finit par céder, qu'il pourra atténuer les exigences allemandes, im-pressionner ses interlocuteurs, qu'il pourra user, gagner du temps, finasser, dire "oui" en pensant "non".

       Mais à partir du 17 novembre 1942, lorsque Laval reçoit le pouvoir de promulguer les lois et décrets, le Maréchal n'est plus qu'un figurant de grande envergure et de belle prestance.

 

Henri Amouroux - La vie des Français sous l'Occupation (t2) (1961)

 

n°975
 

       L'accident de Zélaïs et l'indiscrétion de son médecin discréditèrent beaucoup les muselières. Orcotome, sans égard pour les intérêts d'Eolipile, se proposa d'élever sa fortune sur les débris de la sienne ; se fit annoncer pour médecin attitré des bijoux enrhumés; et l'on voit encore son affiche dans les rues détournées. Il commença par ga-gner de l'argent et finit par être méprisé.

       Le sultan s'était fait un plaisir de rabattre la présomption de l'empirique. Orcotome se vantait-il d'avoir réduit au silence quelque bijou qui n'avait jamais soufflé le mot ? Mangogul avait la cruauté de le faire parler. On en vint jus-qu'à remarquer que tout bijou qui s'ennuyait  de se taire n'avait qu'à recevoir deux ou trois visites d'Orcotome. Bien-tôt on le mit, avec Eolipile, dans la classe des charlatans.

 

Diderot - Les bijoux indiscrets (1748) - (roman)

 

n°974
 

       Il se figurait, le pauvre John Berridge, avoir déjà savouré à satiété les douceurs du succès ; mais rien encore ne l'avait charmé plus que la requête du jeune Lord - ainsi le dénommait-il en pensée, malgré lui, et d'ailleurs très légiti-mement ; de fait, à Paris, le jeune Lord s'était mis en quête de ce nouvel astre qui venait de poindre dans tout l'éclat de sa lueur vermeille à l'horizon des lettres britanniques, vaste encore que confus.

       Il avait abordé cet homme célèbre pour lui présenter une requête timide et ingénue en invoquant la haute estime en laquelle on tenait le jugement littéraire de l'écrivain. Et Berridge avait vu dans son comportement l'une des plus bizarres petites manoeuvres que son oeil amusé eût jamais enregistré sur la scène mondaine européenne. Pourtant cet oeil avait la conscience de laisser échapper le moins possible de spectacles de la comédie humaine en général.

 

Henry James - Le gant de velours (1909) - (nouvelle)

 

n°973
 

       Un jour, Vendredi revint d'une promenade en portant un petit tonneau sur son épaule. Il l'avait trouvé à proximité de l'ancienne forteresse, en creusant le sable pour attraper un lézard. Robinson réfléchit longtemps, puis il se souvint qu'il avait enterré deux tonneaux de poudre reliés à la forteresse par un cordon d'étoupe qui permettait de les faire exploser à distance. Seul l'un des deux avait explosé peu après la grande catastrophe.

       Vendredi venait donc de retrouver l'autre. Robinson fut surpris de le voir si heureux de sa trouvaille. Qu'allons-nous faire de cette poudre, tu sais bien que nous n'avons plus de fusil ?  Pour toute réponse Vendredi introduisit la pointe de son couteau dans la fente du couvercle et ouvrit le tonnelet. Puis il y plongea la main et en retira une poi-gnée de poudre qu'il jeta dans le feu.

 

Michel Tournier - Vendredi ou la vie sauvage (1971) - (roman)

 

n°972
 

       Le christianisme avait semé le trouble à Rome. Il a fallu quelque temps pour qu'on arrive à comprendre ce qu'é-tait cette foi nouvelle que l'on avait méjugée. Comme on l'avait méjugée, le gouvernement avait exigé des Chrétiens un sacrifice impossible et auquel ils s'étaient refusés. Les persécutions n'avaient fait que les stimuler davantage, la première grande persécution collective avait eu lieu trop tard et il n'y avait plus d'autre solution que la neutralité et cette politique de la neutralité a duré soixante ans.

       Quelle qu'ait été l'attitude des empereurs, qu'ils aient été païens, ou même, comme Julien l'Apostat (361), amou-reux fervent du paganisme, ou comme Constantin, enclin à soutenir la religion chrétienne, le gouvernement ne s'est pas départi de cette attitude de neutralité jusqu'à ce que Théodose en 381 proclame l'abolition du paganisme. On na-tionalisa les temples et on en fit des musées.

 

R.H. Barrow - Les Romains (1962)

 

n°971
 

       M. Durand manque-t-il de colle ? On lui conseille d'éplucher une gousse d'ail et d'en frotter soigneusement les parties à recoller, puis de les ajuster et de les maintenir en place à l'aide d'une ficelle. L'ail en séchant, soude, paraît-il, aussi fortement que la colle forte. Le savon fait défaut. On ne le distribue qu'avec parcimonie. Et encore est-il ru-gueux, terreux, incapable de fournir la moindre mousse !

       Les "inventeurs du dimanche" ne se découragent pas pour autant. Ils proposent vingt formules de savon de rem-placement. On peut essayer le mélange de lichen et de chaux éteinte, la farine de marrons d'Inde, les racines de luzer-ne coupées ou concassées dans l'eau pure, le charbon de bois intimement mêlé à 125g de savon râpé, 150g de lessive une bougie et un quart de cuillerée à café d'alcali.

 

Henri Amouroux - La vie des Français sous l'Occupation- (t.1)  (1961)

 

n°970
 

       En 1756, venant de Dresde, Johann Joachim Winckelmann arriva à Naples. Agé de trente neuf ans, il était le fils d'un modeste cordonnier. Son père avait voulu qu'il apprît son métier, mais Johann Winckelmann entendait devenir un homme de science. Etudiant à ses heures de loisir, il s'instruisit  et réussit à obtenir un poste de bibliothécaire. Déjà dans sa jeunesse, il s'intéressait vivement à la préhistoire et entraînait ses camarades d'école dans les collines pour explorer les tumuli huniques, à la recherche de vases ou de vestiges antiques.

       Titulaire d'une bourse royale, Winckelmann vint à Rome en 1755; là, de même qu'à Florence et à Naples, il se trouvait dans son élément. En treize ans il acquit une profonde connaissance des oeuvres antiques, en particulier de l'art grec dont il appréciait : " la noblesse, la grandeur, et la sobriété." Winckelmann méprisait les "savants" contem-porains et critiquaient violemment la manière dont les fouilles étaient conduites.

 

E.C. Comte Corti - Vie, mort et résurrection d'Herculanum et de Pompéi (1963)

 

n°969
 

       Le lendemain, il y eut quelques escarmouches et les deux partis envoyèrent des émissaires à travers les campa-gnes pour s'assurer le concours des esclaves en leur promettant la liberté. Ceux-ci, pour la plupart, se rangèrent du côté des démocrates, tandis que huit cents mercenaires arrivaient du continent pour renforcer les oligarques.

       Cette journée s'écoula, puis il y eut un nouvel engagement, dont les démocrates, avantagés à la fois par leur po-sition et par leur nombre, sortirent victorieux. Les femmes les secondèrent avec intrépidité en jetant des tuiles sur l'ennemi du haut des toits. Elles soutinrent le fracas des armes avec un courage au-dessus de leur sexe. Les oligar-ques lâchèrent pied à la tombée de la nuit.

 

Thucydide - La guerre du Péloponnèse (c.400 av.)

 

n°968
 

       Depuis 1927, il suit la tactique "classe contre classe" , lancée par l'Internationale communiste. Celle-ci annonce la "troisième période du capitalisme" dans laquelle les contradictions de classe s'aggravant, le risque de guerre contre l'URSS provoquée par les pays capitalistes s'accroît. Dans cette conjoncture, les partis communistes doivent être les seules organisations prolétariennes et entamer une lutte sans merci contre les socialistes, alliés de la bour-geoisie, qui deviennent les "sociaux-traîtres".

       Dans ces conditions, les communistes refusent tout désistement en faveur des socialistes. Mais leurs électeurs se détournent d'eux et le parti communiste qui conduit des actions très violentes, en particulier contre la présence fran-çaise aux colonies, subit un très vif échec et se retrouve au ban de la société politique française. Auréolé d'un prestige considérable, Poincaré demeure au pouvoir jusqu'en 1929.

 

S. Bernstein / P.Milza - 1900-1939 : un monde déstabilisé (1986)

 

n°967
 

       Le titre de cet ouvrage, La Perse antique, peut sembler aux iranisants une hérésie, tout au moins un contresens. Il n'en est rien, car ce que l'on nomme communément de nos jours encore "Iran" correspond à la "Perside" mention-née dans les plus anciens tectes grecs et latins. L' "Iran" est une plate-forme immense située entre le Tigre et l'Indus baignée à la fois par la mer Caspienne et celle des Indes.

       Elle doit son nom à l' Ayryana Vaejô (traduction littérale : origine des Aryas ou Aryens). Historiquement parlant, l'Iran est ainsi nommé dans l'Avesta, ou du moins dans la partie de ce texte qui nous est seulement parvenue. Il est placé dans le Vendidâd en tête de la liste des pays où se propage l'influence mazdéenne. C'est assez dire que le nom d'Iran est de source populaire.

 

Christiane et Jean Palou - La Perse antique (QSJ n°979-1967)

 

n°966
 

       Ce fut sans doute pendant cette nuit si pure d'août 1950, alors que, de retour d'une promenade en mer, je parcou-rais seul cette plage de la côte normande, qu'a débuté pour moi cette longue randonnée sur les chemins qui mènent à la connaissance de notre immense Univers. Dix ans déjà, et pourtant je me souviens de cette nuit-là comme si elle ne datait que d'hier ! Il pouvait être un peu plus de minuit et l'endroit était assez écarté des zones de villégiature pour qu'on eût l'impression d'une grande solitude.

       La longue plage de sable fin s'étalait devant moi ; c'était une nuit preque sans lune : la mer en paraissait encore plus imposante ; son chuchotement intermittent avait quelque chose d'étrange qui ressemblait à une complainte venue du plus profond des temps. La traînée pâle et continue de la Voie Lactée était merveilleusement visible et faisait penser à un chemin bordé de tous côtés par un immense champ d'étoiles.

 

Jean E. Charon - La connaissance de l'Univers (1961)

 

n°965
 

       Comme toutes les comparaisons, celle qui identifie la Suisse au paradis terrestre a fini par devenir banale. Elle demeure pourtant exacte. On a parfois le tort d'y adjoindre cette restriction : " Quel dommage que les Suisses y habitent ! "  Cette remarque aigre-douce  est inspirée le plus souvent, on s'en doute, soit par la jalousie, soit par un orgueilleux aveuglement.

       Le plus illustre ancêtre des Suisses d'aujourd'hui n'a jamais existé. C'est un personnage légendaire, ce fameux Guillaume Telle, héros du tir à l'arbalète, qu'il fallut inventer de toutes pièces pour atiser l'ardeur du sentiment patri-otique. Les Suisses actuels sont de rudes travailleurs; ils ne fabriquent que des produits de bonne qualité, qu'il s'agis-se de fromage ou de dentelles, de chronomètres ou de turbines. 

 

H;J.A. Schintz - Voici la Suisse (1962)

 

n°964
 

       La nuit, Rome dormait tous phares éteints, et les murettes de ses jardins, dégarnies de leurs grilles de fer à des fins guerrières, ressemblaient à de longues rangées de gencives édentées. Obligés d'endurer une condition de guerre que notre âme exécrait, nous étions pareils à des êtres rassemblés dans un édifice qui, de notoriété générale, est des-tiné à s'écrouler, et conservent pourtant le maintien détaché à l'égard des choses matérielles qui est la marque suprê-me du style.

       Cette année-là aussi, il se réfugia, l'été venu, dans ses terres fertiles de l'Ombrie, dans cette villa Sidecore qui fait partie de cette noble famille de demeures ancestrales entourées d'arbres vénérables, dont les propriétaires jadis étaient exemptés d'impôts car les eucalyptus de leurs jardins réputés pour l'efficacité de leurs vertus prophylactiques à l'endroit de certain parasite relevant de l'espèce psalmodium, constituaient une barrière salutaire aux portes de la ville.

 

Alberto Savinio - Concert privé (1943) - (nouvelle)

 

n°963
 

       Un beau jour d'été, Giuseppe Gaspari, commerçant en céréales, quarante quatre ans, vint au village de montagne où sa femme et leurs enfants passaient les vacances. A peine arrivé, après le repas, alors que tout le monde était allé faire la sieste, il sortit pour faire une promenade. Il prit un sentier muletier et regarda tout autour de lui pour observer le paysage. Cependant, malgré le soleil, il se sentait déçu. Il avait espéré que cette villégiature se trouverait dans une vallée romantique, boisée de pins et de sapins, encerclée de parois abruptes.

       En fait c'était une vallée de préalpes, fermée par des cimes trapues, arrondies, qui semblaient farouches et déso-lées. Un endroit pour des chasseurs, pensait Gaspari, qui regrettait de n'avoir jamais pu vivre, pas même pour quel-ques jours, dans une de ces vallées, images même de la félicité humaine, surplombées de fantastiques falaises, où de suaves auberges en forme de château gardent l'entrée d'antiques forêts tout emplies de légendes.  

 

Dino Buzzati - Le bourgeois ensorcelé (1966) - (nouvelle)

 

n°962
 

       La scène se passe de nos jours aux abords de Tabelbala, une petite oasis isolée dans le nord-ouest du Sahara. Idriss, un jeune Berbère, mène son troupeau de chèvres et de moutons. Surgit une Landrover conduite par deux euro-péens, un homme et une femme. La voiture s'arrête au niveau d'Idriss et de son troupeau. La femme saute à terre. C'est la créature occidentale telle que la rêvent les jeunes Africains.

        Un flot de cheveux blonds se répand sur ses épaules, elle est vêtue d'une chemisette très décolletée et d'un short outrageusement court. A la main, elle a un appareil de photo. Eh petit ! crie-t-elle. Ne bouge pas trop. Je vais te pho-tographier... En effet, elle photographie le jeune garçon sans mesurer le trouble qu'elle apporte ainsi dans son esprit. C'est qu'il n'y a qu'une seule photo à Tabelbala ! 

 

Michel Tournier - Le peintre et son modèle (1986) - (conte)

 

n°961
 

       Le sujet que j'aborde présente une série d'évènements importants et des combats terribles et sanglants, c'est une période cruelle de luttes intestines où même les moments de trêve sont remplis d'horreurs et de crimes : dans l'en-semble, c'est un bilan tragique où l'on voit, successivement, quatre princes assassinés, trois guerres civiles, un grand nombre de guerres qui mettent les Romains aux prises avec un ennemi étranger.

       Dans certaines conjonctures, la guerre civile et la guerre étrangère éclatent simultanément; prospérité en Orient, désastres dans l'Occident; l'Illyrie plongée dans les convulsions, les deux Gaules au bord de la révolte, la Bretagne conquise et perdue aussitôt; les Sarmates et les Suèves ligués contre les Romains; le nom de Dacien rendu célèbre par des victoires et des défaites alternées, et finalement l'entrée en campagne des Parthes sous l'étendard d'un pré-tendu Néron.

 

Tacite - Histoires (69-96ap.)

 

 

 

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