MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

 

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n°960
 

       Combien sont-ils, ces déprimés, ces refoulés, ces torturés, ces complexés qui viennent s'étendre sur un divan pour déverser leurs rancoeurs et leurs angoisses dans une oreille plus ou moins attentive? Loin de moi l'idée de met-tre en doute les résultats obtenus par la psychanalyse. Pourtant il me semble qu'il y a mieux à faire et la lumière nous vient des Etats-Unis. Des millions d'Américains ont pris l'habitude de se raconter des histoires dont la caractéristique commune est le mauvais goût.

       Les psychothérapeutes sont les premiers à encourager cette vogue car ils estiment qu'elle concourt à chasser les angoisses, à effacer les problèmes, à balayer les miasmes. Il y a longtemps que nos carabins se défoulent en chantant des chansons dont le mauvais goût fait hurler les bourgeois. Seulement voilà, rien de tel après une journée de labeur, souvent éprouvante, que d'entonner les Stances à Sophie ou le De profondis morpionibus.

       

 

Professeur H. - Histoires de très mauvais goût (1984)

 

n°959
 

       La lutte politique, pour âpre qu'elle soit, laisse aux grands corps administratifs toute leur force dans l'appareil de l'Etat et la plus grande autonomie dans la vie quotidienne. Leur force, ils la doivent en grande partie, comme on l'a vu, à la protection que le Conseil d'Etat assure aux fonctionnaires. La large autonomie est liée à la conception que l'on a, en ce temps, du cabinet ministériel.

       Chaque membre du gouvernement a des collaborateurs directs qui forment son cabinet. Contrairement à l'habitu-de anglaise qui exige que ces collaborateurs soient pris dans l'administration intéressée, le ministre français a une to-tale liberté de choix. En fait, il forme autour de lui une petite équipe, dont la presse écrit qu'elle est son entourage  et dont il serait plus exact de dire qu'elle est à la fois sa clientèle au sens romain du mot et sa cour dans le sens du dix-septième siècle.

 

Roger Priouret - La République des Députés (1959)

 

n°958
 

       "Ecoute, ma fille", un de nos grands poètes donna ce titre à l'un de ses ouvrages. Je le reprndrais volontiers à mon compte comme préambule à la lettre que je t'adresse, mais je ne prétends pas te délivrer moi un message spiri-tuel, quoique le fromage soit une matière délicate, éminemment sensible, évanescente... l'âme de la terre en quelque sorte.

       Tu vas sur tes quinze ans. Un jour tu te marieras, tu deviendras une femme et une maîtresse de maison. Des maîtresses de maison, on en parle beaucoup maintenant, mais en trouve-t-on tellement qui méritent ce titre ? Moi je voudrais que tu sois une maîtresse de maison accomplie.

 

Androuet - Guide du fromage (1971)

 

n°957
 

       Il y a longtemps qu'il ne sort plus, ou presque plus. Très peu de mois pourtant avant sa mort, afin de revoir un Vermeer qu'il a aimé, Marcel proust quitte un matin sa retraite pour visiter, en compagnie de Jean-Louis Vaudoyer, une exposition au musée du Jeu de Paume. Il y est pris d'un malaise qu'il attribuera par la suite à une mauvaise di-gestion, mais qui, dans le moment même, l'initie non certes à la mort, que nul vivant ne peut évidemment connaître, mais à ses approches immédiates, à cette grande banlieue douloureuse qui la précède.

       Dès qu'il se sent mieux, il met à profit cette "expérience de la mort" pour écrire le morceau que voici, - qui, si l'on en juge par l'exceptionnelle absence de ratures et de rejets sur le manuscrit, lui est venu d'un seul élan : Bergotte mourut dans les circonstances suivantes. Une crise d'urémie assez légère était cause qu'on lui avait prescrit le repos.

 

Claude Mauriac - Proust par lui-même (1965)

 

n°956
 

       Supposons que l'élève se reporte d'abord, dans notre guide, à l'article Vérité. Il trouvera, en A, à cet article, une analyse de la notion et une énumération des diverses formes de la vérité.  Il pourra, déjà, étudier les principaux écri-vains du XVIIIè siècle en se demandant quelles sortes de vérités chacun d'eux a voulu établir et en réservant pour une discussion possible les vérités négligées ou combattues.

       Mais, de plus, dans ce même paragraphe A un renvoi à expérience offre tout un point de vue sur le XVIIIè siècle. Celui du rôle de l'expérience dans l'établissement de la vérité; un renvoi à science permet d'établir des rapports entre vérité et bonheur. Toujours à Vérité un autre renvoi à histoire fait penser à une autre espèce de vérité.

 

Henri Bénac - Guide des idées littéraires (1974)

 

n°955
 

       La technique de la mesure des températures embrasse tous les domaines de la Physique ; elle se rattache aussi bien à l'Optique qu'à l'Electricité et à la Thermodynamique ; elle met en oeuvre des instruments et des méthodes de mesure extrêmement variés et, à ce titre, elle compte parmi les plus instructives que l'on puisse donner en exemple aux jeunes chercheurs et praticiens.

       Nous ajouterons qu'elle prend chaque jour une place plus importante, non seulement au laboratoire, mais dans la pratique industrielle courante où les qualités toujours plus grandes demandées aux produits fabriqués nécessitent un contrôle de plus en plus minutieux des températures.

 

G.Ribaud - Mesure des Températures (1936)

 

n°954
 

       La cuisine exotique est à la mode. On rêve de ces plats aux saveurs inhabituelles que l'on découverts au cours de voyages qui nous portent de plus en plus loin, ou tout simplement dans les restaurants des divers continents qui s'ou-vrent un peu partout. On nous a toujours dit que la cuisine française est l'une des premières du monde : on s'aperçoit que d'autres l'égalent; on goûte, on compare, mais souvent encore, on ne discerne pas, à travers un mode de cuisson ou à travers un aromate différent, qu'il s'agit en réalité d'une autre version d'un même plat.

       Ce que nous avons voulu dans cet ouvrage, ce n'est pas réunir une somme de recettes exotiques, mais démontrer que, sur les cinq continents, on se nourrit de la même façon, avec les mêmes ressources des eaux ou de la terre, avec les mêmes méthodes pour transformer ou présenter les produits avec les mêmes inventions créatrices. Partout où il y a des pêcheurs, on sert des soupes de poissons...

 

Céline Vence / Blandine Vié - Les cuisines du monde (1980)

 

n°953
 

       La moiteur de l'air enveloppait les rues d'un halo de tristesse nébuleuse. Déjà sinistre à l'accoutumée, la rue de la Glacière était, en ce dimanche d'août à quatre heures de l'après-midi, semblable aux avenues mortes d'un cauchemar. On respirait mal. Le 21 roulait rapidement, et qu'il fût presque le seul véhicule en marche dans le quartier assoupi, ac-centuait cette impression de vitesse et de songe : l'autobus donnait moins le sentiment d'avancer que de dévaler, ca-hotiquement. Ce chauffeur, il a trouvé son permis de conduire dans une pochette surprise ! maugréa Nil.

      Les trottoirs étaient déserts, les magasins fermés. Devant la vitrine brisée d'une pharmacie, un agent de police montait la garde. Laure et Nil descendirent du bus à l'arrêt situé en face du couvent des Dominicains. Jadis, ce cou-vent était, entre autres, le siège d'un centre nommé Istina, qui en russe signifie vérité, et qui se réputait spécialiste de l'Orient chrétien.

 

Gabriel Matzneff - Ivre du vin perdu (1965) - (roman)

 

n°952
 

       La Quatrième République, elle aussi, prend son départ dans la grande légende historique. Le général de Gaulle, ce colonel récemment promu général de brigade qui, pendant des années, avait prêché dans le désert, combattu la routine de l'état-major général en faveur de l'armée blindée et qui avait été appelé le 5 juin 1940, à l'aube même de la débâcle, aux conseils du gouvernement, l' "Homme au nom prédestiné", avait, le 18 juin, à Londres, levé le drapeau de la résistance :

       "Devant la confusion des âmes françaises, devant la liquéfaction d'un gouvernement tombé sous la servitude en-nemie... moi, général de Gaulle, soldat et chef français, j'ai conscience de parler au nom de la France ." Et le peuple tout entier lui avait répondu, à l'exclusion d'une poignée de traîtres de Vichy, secrètement d'abord, puis dans la cons-piration et, enfin, en combat ouvert. Cette légende n'était pas un conte de fées.

 

Herbert Luthy - A l'heure de son clocher (1955)

 

n°951
 

       Le président s'est levé, il a brisé le sommet de sa coquille avec son couteau pour avoir moins chaud, un tout petit peu moins chaud. Il parle et le silence est tel qu'on entend les mouches voler et qu'on les entend si distinctement voler qu'on n'entend plus du tout le président parler, et c'est bien regrettable parce qu'il parle des mouches, précisément, et de leur incontestable utilité dans tous les domaines et dans le domaine colonial en particulier.

      Car sans les mouches, pas de chasse-mouches, sans chasse-mouches pas de Dey d'Alger, pas de consul, pas d'af-front à venger, pas d'oliviers, pas d'Algérie, pas de grandes chaleurs, messieurs et les grandes chaleurs c'est la santé des voyageurs, d'ailleurs, mais quand les mouches s'ennuient elles meurent, et toutes ces histoires d'autrefois, toutes ces statistiques, les emplissent d'une profonde tristesse, elles commencent par lâcher une patte du plafond, puis une autre et tombent comme des mouches.

 

Jacques Prévert - Paroles (1947)

 

n°950
      

       Plus tard il perdit conscience. D'après sa montre, il était trois heures et demie lorsqu'une conversation derrière la paroi de verre, à sa gauche, l'éveilla. Le docteur Krokovski, qui, à cette heure-là, faisait sa ronde sans le médecin en chef, parlait russe avec le couple mal élevé, s'informait, semblait-il, de l'état du mari, et se faisait montrer la feuille de température; mais ensuite il poursuivit sa tournée, non pas le long du balcon, mais évitant la loge de Hans Castorp, fit un détour par le corridor, et entra chez Joachim par la porte de la chambre.

       Hans Castorp trouva pourtant un peu vexant que l'on pût de la sorte l'éviter et le négliger bien qu'il ne souhaitât nullement un tête-à-tête avec le docteur Krokovski. Sans doute il était bien portant et donc n'entrait pas en ligne de compte, car chez ces gens ici, il était convenu que celui qui avait l'honneur d'être bien portant n'offrait point d'intérêt.  

 

Thomas Mann - La montagne magique (1931) - (roman)

 

n°949
 

       - A votre chambre, enfant! cria-t-il d'une voix rauque, en s'arrêtant entre nous et indiquant la maison d'un geste autoritaire. Il attendit que Gabrielle, après m'avoir adressé un dernier regard effrayé, eût repassé la brèche. Alors, il se retourna vers moi avec une expression si féroce que je reculai d'un pas ou deux et serrai mon bâton de chêne dans mon poing.

       -Vous, vous... bredouilla-t-il en se serrant la gorge de la main, comme si la fureur l'étouffait. Vous avez osé péné-trer chez moi! Est-ce que vous supposez que j'ai construit cette barrière pour que toute la vermine du pays s'assemble autour ? Oh! vous avez été bien près de la mort, mon beau garçon! Vous n'en serez jamais plus près, jusqu'à ce que votre temps vienne. Regardez cela!... Il tira de son sein un pistolet gros et court.

 

Le mystère de Cloomber - Conan Doyle (1889) - (roman)

 

n°948
 

       - Quel théâtre est-ce ? - Un théâtre nouveau, un directeur scientifique, une troupe de jeunes acteurs scientifiques, ils veulent inaugurer avec vous. Vous serez traité scientifiquement. La salle n'est pas trop grande, il y a vingt-cinq places assises, quatre de bout... C'est pour un public populaire d'élite.  - Ce n'est pas mal, si on pouvait le remplir tous les soirs !  - Au moins avoir des demi-salles, je m'en contenterais... Bref, ils veulent commencer tout de suite. - Je suis d'accord. Ah, si la pièce était tout à fait au point...

       - Vous dites qu'elle est en grande partie écrite !  - Oui... Oui... en effet, elle est en grande partie écrite !  - Quel est le sujet de la pièce ? Le titre ?  - Euh... le sujet?... Vous me demandez le sujet ?... Le titre ?... Euh... vous savez, je ne sais jamais raconter mes pièces... Tout est dans les répliques, dans le jeu, dans les images scéniques...   

 

Eugène Ionesco - L'Impromptu de l'Alma (1965) - (théâtre)

 

n°947
 

       La pensée qu'il n'était plus le même l'arrêta au seuil de sa chambre. Un homme avait quitté cette mièce quatre ou cinq heures plus tôt et cet homme y rentrait maintenant. Ne s'agissait-il pas de deux personnes différentes ?  " Ce n'est pas possible, se dit-il, ce sont de ces idées qui vous viennent à l'aube."  Sa main chercha le bouton sur le mur et le tourna. La chambre surgit de l'ombre.

       Il la regarda un instant, plus calme à mesure que sa vue se portait d'un point en un autre, tout était à sa place et le rassurait. Depuis douze ans, il dormait là chaque nuit, dans ce lit d'acajou qu'on avait dû allonger pour qu'il pût s'y étendre. Devant ce miroir il lissait jadis sa chevelure rebelle de collégien. Un irrésistible besoin de se voir le porta près de la cheminée. Où allait-il chercher qu'il n'était plus le même ?

 

Julien Green - Epaves (1932) - (roman)

 

n°946
 

       Quand je vais prendre le train, j'entends toujours des gens qui disent : " Vous n'arrivez qu'à telle heure. Comme ce voyage est long et ennuyeux !" Le mal est qu'ils le croient et c'est là que notre stoïcien aurait dix fois raison quand il dit : "Supprime le jugement, tu supprimes le mal." Si l'on regardait les choses autrement, on serait conduit à consi-dérer un voyage en chemin de fer comme un des plaisirs les plus vifs.

        Si l'on ouvrait quelque panorama où l'on verrait les couleurs du ciel et de la terre et la fuite des choses comme sur une grande roue dont le centre serait au fond de l'horizon, si l'on donnait un tel spectacle, tout le monde voudrait l'avoir vu. Et si l'inventeur réalisait aussi la trépidation du train et tous les bruits du voyage, cela paraîtrait encore plus beau. Or toutes ces merveilles, dès que vous montez en chemin de fer, vous les avez gratis.

 

Alain - Propos sur le bonheur (1928)

 

n°945
 

       A l'atelier, avec Robert, on s'en faisait pas une seconde... Antoine, il bossait presque plus. Quand il s'était bien amusé avec la rombière, il revenait blaguer avec nous. On chambardait tout l'atelier. Entre temps, ils en écrasaient l'après-midi  pendant des heures... C'était la famille "tuyau de poêle!"... Seulement un soir le drame advint ! On avait pas mis nos verrous... C'était le moment du dîner... Y avait sur tous les paliers beaucoup de va-et-vient...

       Voilà un de nos furieux bistrots, le plus méchant de tous c'est à dire, qui grimpe là-haut, quatre à quatre!... On se rend compte beaucoup trop tard! Il pousse la porte, il entre... Il les trouve tous les deux pieutés! Antoine et la grosse! Alors, il râlait pire qu'un phoque!... Il en avait le sang dans les yeux... Il voulait dérouiller Antoine et séance tenante! Il brandissait son gros marteau... Je croyais qu'il allait l'emboutir...

 

Louis-Ferdinand Céline - Mort à crédit (1936) - (roman)

 

n°944
 

       -Enfin, cest inadmissible : qu'est-ce que vous fabriquez ici à cette heure ? Ah ! C'est cela ! Ainsi donc, pendant qu'on vous conviait à une sorte de direction de ce gamin, voilà ce que vous faisiez ! Petit voyou que vous êtes ! Et vous vous prétendiez son ami ! 

        -Qu'est-ce que je faisais ? Je n'ai rien fait qui soit contraire à ce que j'ai promis.

       -Non! C'est pour attraper des mouches que vous vous enfermiez à clef avec lui ! Voilà le résultat de la confiance qu'on a eue en vous! En étude, il avait sa tête des jours où il va faire une bêtise. Avachi sur son pupitre, les doigts dans ses mèches, le regard ailleurs, et respirant par tous les pores le désordre de son âme et l'avidité de se défendre de nous à tout prix. Je m'échinais à lui faire son devoir d'allemand, pauvre niais que j'étais. Mais, lui, il ne vivait que pour venir vous retrouver !

 

Henry de Montherlant - La ville dont le prince est un enfant (1951) - (théâtre)

 

n°943
 

       Tel un immense soc de feu, la guerre laboure l'Europe en long et en large. Dans le petit salon de sa demeure sise, à Rome, dans le voisinage de Santa Croce in Gerusalemme, Hyacinthe Sifflety est assis dans un fauteuil à bras, forte-ment matelassé et entouré comme une jupe d'un large falbala : à son aspect, à son contact, à son odeur surtout, Hya-cinthe Siffletty a le sentiment qu'il s'y tient encore tout contre sa pauvre maman morte voilà quarante ans.

       Sur le mur vis à vis une magnifique reproduction de la Déposition de Raphaël : mais, entre ce tableau et le regard de Hyacinthe Siffllety, s'interpose un écran blanchâtre semblable à un rideau de lait coupé d'eau. Le chevalier Hya-cinthe Sifflety a exercé au ministère des Communications, les fonctions d'inspecteur de deuxième classe, mais il a pris depuis sa retraite.  

 

Alberto Savinio - Enfants au gaz (1943) - (nouvelle)

 

n°942
 

       Il y a un peu plus de 6000 ans, les riverains du Nil commencèrent de prêter attention à une sorte de sable scin-tillant qui se trouvait mêlé aux alluvions déposées par le fleuve. Il s'agissait d'infimes parcelles d'un métal jaune dont l'éclat ne semblait nullement avoir été altéré par ce séjour dans l'eau. Les Egyptiens prirent, dit-on, l'habitude de les ramasser pendant la nuit car le reflet qu'elles gardaient dans l'ombre les rendait plus visibles qu'en plein jour.

       Cela se passait à une époque où l'homme, placé dans un monde encore sans mémoire, pouvait craindre chaque soir que le soleil ne reparût pas. Avec l'or, cétait un peu comme si l'astre qui venait de descendre derrière l'horizon pour regagner, et peut-être à jamais, ses inaccessibles demeures lui avait laissé des gages.

 

Pierre Gascar - L'Or (1967)

 

n°941
 

       C'est alors que la Maçonnerie intervint, faisant répéter par tous ses agents que la paix était impossible alors qu'elle n'était impossible que parce que la Maçonnerie allait la contrarier en apportant tout son poids d'influence in-ternationale dans le plateau de la guerre.

       Un document accablant, que nous avons été le premier à reproduire dans notre ouvrage Le Temps de la Colère , paru en 1932, a révélé la responsabilité de la Maçonnerie dans le prolongement de la guerre. C'est le compte rendu du Congrès des Maçonneries alliées et neutres, qui se tint à Paris, rue Cadet les 28-30 juin 1917.

 

Robert Vallery-Radot - La Franc-Maçonnerie vous parle (1941)

 

n°940
 

       La Révolution, depuis ses origines, avait puisé sa force dans le soutien populaire. Le Comité de salut public sou-haitait associer les sans-culottes à son oeuvre, mais les difficultés économiques l'en dissuadèrent ; il se borna à solli-citer la collaboration de tous les bons citoyens qui se groupèrent autour du club de la rue Saint-Honoré et de ses filia-les de province. Une sorte de parti unique se constitua : le parti jacobin.

       Plus qu'un corps de doctrine, le jacobinisme est un état d'esprit, une conscience. A Paris ses adhérents se recru-tent, non dans le prolétariat mais parmi la petite bourgeoisie. Politiquement, leur idéal s'inscrit dans la déclaration des droits : une démocratie capable de préserver les droits de l'individu, sa liberté et ses biens, de permettre à la Nation tout entière d'exercer sa souveraineté. Ils souhaitaient une répartition équitable de la propriété et de la richesse.

 

Marc Bouloiseau - Le Comité de salut public (QSJ n°1014-1968)

 

n°939
 

       Il m'apprend alors que c'est entre Mykonos et Santorin, les nuits d'été, qu'on peut voir le plus grand nombre d'astres à la fois. Puis, ceci : "Seule, la millionième partie de l'univers vraisemblable a pu être explorée jusqu'à présent. A l'oeil nu, environ 7000 étoiles, les plus scintillantes, sont visibles. Les astronomes classent les étoiles suivant leur degré de clarté. Jusqu'à la sixième grandeur, on peut les apercevoir. Mais les meilleurs télescopes ne permettent pas de distinguer au-delà de la cinquantième grandeur.

       En tout cas, on a enregistré à peu près trois milliards d'étoiles. Si l'on inscrit, en petits caractères, dans les livres, à raison de cinquante étoiles par page (avec les coordonnées indiquant leur position), les noms de toutes celles que les astronomes connaissent, il faudrait 120 000 volumes de 300 pages chacun pour les inscrire toutes.

 

Jean-Pierre Dorian - Coups de griffes (1965)

 

n°938
 

       Il est bien entendu que l'homme, être foncièrement libertin, pousse à l'excès le goût du changement et apporte dans la pratique de l'amour une brutalité dont s'effarouche la femme, créature d'essence délicate, ô combien !... Ça n'empêche pas que le nombre des femmes trompées soit inférieur d'un bon tiers à celui des hommes cocus. Il n'y a pas que les instincts, en effet ; il y a aussi ce facteur : la possibilité de les satisfaire.

       On oublie que par centaines et par centaines de milliers, les employés de ministères, de commerce, de chemins de fer, de banque, n'ont ni le moyen d'entretenir des maîtresses, ni le temps qui leur serait nécessaire pour déchaîner des passions. Et la réciproque n'est pas vraie. J'ai le regret d'être forcé de dire que, dans nombre de jeunes ménages choisis parmi le monde des petits fonctionnaires, le mari, qui gagne 6.000 francs, vit sur le pied de 15 000 sans s'en apercevoir.

 

G.Courteline - La philosophie de Georges Courteline (1942)

 

n°937
 

       En se dégageant toujours à temps des rouages toujours guindés d'un régime naissant, M. Pompidou venait de sauver le rôle le plus important dont il put rêver à l'époque : celui d'Emminence grise. Rôle qui n'est pas inscrit dans la hiérarchie, mais qui n'est pas clandestin, ni secret. Il fut même officialisé : le nouveau président de la République désigna M. Pompidou parmi les trois "sages" du Conseil constitutionnel qu'il lui appartenait de nommer.

       Satisfait de son traitement à la Banque, le nouveau dignitaire reversa au Trésor public l'indemnité qu'il percevait au Palais-Royal. Mais il assuma la dignité. Dans le même temps, à rythme assez régulier et fréquent, pouvaient se poursuivre ses tête-à-tête ave le président de la République. Ce n'étaient pas des entretiens organiquement prévus. Mais ce n'étaient pas des conversations privées. On y parlait des affaires de l'Etat, non pas de toutes, de celles que de Gaulle choisissait d'aborder.

 

Pierre Rouanet - Pompidou (1969)

 

n°936
 

       Après avoir cité certains de ces faits dans sa Chute de l'Ancien Régime , M. Edmond Soreau conclut : "L'irré-ligion progresse en province. Le mal ronge peut-être plus gravement le clergé régulier. Le régime appelé Commende a démoralisé les couvents; sauf parmi les femmes, les règles se relâchent, l'austérité mollit, les scènes morales s'ac-cumulent. Les bouteculs méprisent la règle...

       Les appels à la vertu ne manquent cependant pas.  Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, de Montillet, archevêque d'Auch, signalant le mal, remontent à sa source, aux philosophes, aux quiétistes, aux encyclopédistes. Mais dans cette atmosphère où pâlissent les étoiles, aucun saint ne se lève pour exorciser Voltaire." 

 

J.Berteloot - La Franc-Maçonnerie et l'Eglise catholique (1947)

 

n°935
 

       Le départ du navire fut un véritable évènement national. Depuis plusieurs jours, les trains se succédaient ame-nant des foules, non seulement de la région parisienne mais des points les plus reculés du territoire. Les hôtels étaient pris d'assaut au Havre et dans sa banlieue. Des Belges, des Hollandais, des Allemands, des Italiens n'ayant pu trou-ver de place, même chez les habitants qui louaient des chambres, furent obligés de camper dans leurs voitures.

       Lorsque Normandie passa devant le sémaphore, les quais, la plage, les rues avoisinantes étaient noirs de monde. Les gens se disputaient les fenêtres et les balcons des maisons ayant vue sur le port et sur le large. Lorsque la voix grave des sirènes du navire se fit entendre, ce fut une clameur impressionnante sortant des milliers de bouches, accla-mant le majestueux navire qui semblait tout écraser de sa masse impressionnante.

 

Commandant Thoreux - J'ai commandé Normandie (1963)

 

n°934
 

       La hantise du lait maternel, la terreur des envoûtements qui peuvent tarir les seins m'ont ramené au grand aigle des Pouilles et à son oeil fascinateur. Les mères surveillent les gonflements de leur poitrine et la protègent de l'envie qui flotte dans l'air et menace de la dessécher. Le lait maternel est l'unique source de vie pour l'enfant.

       Il y a plusieurs manières de le voler, depuis le complot magique délibérément ourdi jusqu'au simple coup d'oeil glissé par inadvertance sur le sein. Le regard de convoitise vient le plus souvent d'une autre mère jalouse, mais l'en-vie érotique peut charger un regard d'homme du même pouvoir fatal.

 

Dominique Fernandez - Mère Méditerranée (1965)

 

n°933
 

       Les Goncourt ont écrit : " On ne conçoit que dans le repos et comme dans le sommeil de l'activité morale. Les émotions sont contraires à la gestation des livres. Ceux qui imaginent ne doivent pas vivre. Il faut des jours réguliers, calmes, apaisés, un état bourgeois de tout l'être, un recueillement bonnet de coton, pour mettre au jour du grand, du tourmenté, du dramatique.

        " Les gens qui se dépensent trop dans la passion ou dans le tressautement d'une existence nerveuse, ne feront pas d'oeuvre et auront épuisé leur vie à vivre.. "  Ils ont raison, je l'ai senti vingt fois. Bourget, Flaubert le savaient. Je crains, quant à moi, d'épuiser ma vie à vivre et de ne jamais avoir le temps d'apprendre à vraiment bien écrire, volupté que je considère à toutes supérieure.

 

Maurice Sachs - La chasse à courre (1949) - (souvenirs)

 

n°932
 

       Rommel savait que dans la guerre moderne, dans le secteur africain, il ne s'agissait pas de la possession d'un arpent de désert, pas plus de la Marmorique que de la Cyrénaïque. La guerre du désert ne pouvait être gagnée que par l'anéantissement de l'adversaire. La conquête d'un territoire n'était pas une victoire, une perte de terrain n'était pas non plus une catastrophe.

       Rommel l'avait expérimenté  de la façon la plus probante. Les Anglais également, mais cependant le commandant suprême britannique fit la même faute que son prédécesseur, Wavell. Il confondit la conquête du territoire avec la victoire.

 

Paul Carell - Afrika Korps (1965) - (histoire)

 

n°931
 

       J'ai résolu d'entreprendre une expédition de l'autre côté du mur pour essayer d'amadouer Kamicha. Et aussi un peu par curiosité. Je crois qu'il y a là derrière quelque chose d'autre, un autre jardin, une autre maison peut-être, le jardin et la maison de Kamicha. Je crois que si je connaissais son petit paradis, je saurais mieux gagner son amitié.

       Cet après-midi, j'ai fait le tour de la propriété d'à côté. Ce n'est pas très grand. Il ne faut que dix minutes pour revenir sans se presser à son point de départ. C'est simple : c'est un jardin qui a exactement la taille du jardin de papa. Mais alors, ce qui est extraordinaire : pas de porte, pas de grille, rien ! Un mur sans aucune ouverture. Ou bien les ouvertures ont été bouchées. La seule façon d'entrer, c'est de faire comme Kamicha, sauter le mur. Mais moi, je ne suis pas un chat. Alors comment faire ?

 

Michel Tournier - Amandine ou les deux jardins (1978) - (conte initiatique)

 

 

 

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