MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

Page  25 

 

n°750
 

       Le Zouave venait d'entrer dans la rade, une belle rade aux eaux noires et profondes, mais silencieuse, morne, presque déserte. En face, sur une colline, Alger la blanche avec ses petites maisons d'un blanc mat qui descendent vers la mer, serrées les unes contre les autres. Un étalage de blanchisseuse sur le coteau de Meudon. Par là-dessus un grand ciel de satin bleu, oh ! mais si bleu !...

       L'illustre Tartarin, remis de sa frayeur, regardait le paysage, en écoutant avec respect le prince monténégrin, qui, debout à ses côtés, lui nommait les différents quartiers de la ville, la Casbah, la ville haute, la rue Bab-Azoun. Très bien élevé, ce prince monténégrin ; de plus, connaissant à fond l'Algérie et parlant l'arabe couramment. Aussi Tartarin se proposait-il de cultiver sa connaissance... Tout à coup, le long du bastingage, le Tarasconnais aperçoit une rangée de grosses mains noires qui se cramponnaient par dehors... 

 

Alphonse Daudet - Tartarin de Tarascon (1872) - (roman d'aventures prodigieuses)

 

n°749
 

       La situation que Weygand va exposer tout à l'heure au Conseil des ministres a sensiblement empiré depuis le Conseil de guerre de la veille. Le repli ordonné par le généralissime, pour éviter l'encerclement, a commencé à s'effectuer sur tout le front depuis le début de l'après-midi, mais sans enrayer la pénétration des divisions cuirassées allemandes qui tronçonnent de plus en plus nos lignes et pénètrent toujours plus profond. Tout raisonnement devient donc superflu, et la discussion pourrait tenir en quelques répliques.

       Le généralissime rappelle au Conseil ses notes du 29 mai et du 10 juin, et reprend avec plus de véhémence les arguments qu'il a développés il y a quelques heures devant le Premier anglais ; il conclut que, seule, la cessation immédiate des hostilités pourrait nous permettre  de conserver inviolé un fragment du sol national.

 

François Le Grix - En écoutant Weygand (1949) 

 

n°748
 

       Depuis 1802 déjà, les monnaies reproduisent l'effigie de Bonaparte. En 1804 le Consul à vie, devenu empereur des Français, s'empresse de changer son nom en celui de Napoléon premier. Cependant, afin de ne pas effaroucher ses amis républicains qui se sont battus pour supprimer la monarchie et instaurer l'ère de la République, les pièces datées des ans 12, 13, 14, et 1806, 1807, 1808 quand le calendrier grégorien sera repris, comporteront encore à l'avers la légende "République Française".

       Il faudra attendre cinq ans pour voir apparaître la première pièce avec "Empire français" en 1809. Napoléon sera alors à l'apogée d sa grandeur et sa cour étonnera le monde par sa magnificence. Sans doute est-ce de cette période transitoire de cinq ans que datera la fameuse boutade "Comme la République était belle sous l'Empire."

 

Pierre Magain - Guide marabout des monnaies et médailles (1975)

 

n°747
 

       Sur le flanc du coteau qui s'élève au nord du Vatican s'étageait autrefois une vigne. Au sommet de l'éminence se trouvait un moulin à huile. C'est cet emplacement qu'Innocent VIII, le successeur de Sixte IV, choisit pour édifier une petite villa de plaisance aux murs crénelés comme ceux d'un château féodal.

       Durant les chaleurs de l'été romain, il aimait, par les allées bordées de ceps lourds de grappes mûrissantes, suivi de quelque jeune prélat familier, se retirer dans son Belvédère. Cette fantaisie avait coûté fort cher, 60 000 ducats, mais le pontife, dont la devise " Léauté (loyauté) passe tout " orne toujours les murs, s'en consolait en admirant, dans la fraîcheur du soir, la vue sur Rome, sur la campagne et sur les monts lointains voilés d'une légère vapeur bleutée.

 

Philippe Lefrançois - La Cité du Vatican (1951)

 

n°746
 

       - Oui. Il est agréable d'écrire. De lire les épreuves, aussi, mais, l'oeuvre à peine parue, je la trouve détestable ; non, ce n'est plus ça du tout, c'est une erreur, j'aurais mieux fait de ne pas l'écrire... et je suis dépité, déprimé. (Il rit) Quant au public, il dit : "...Oui, c'est  gentil, il a du talent... C'est gentil mais cela ne vaut pas Tolstoï "; ou encore : "C'est une oeuvre charmante, mais Pères et Fils de Tourgueniev, c'est autre choses. " Ainsi jusqu'à la fin de mes jours, tout ce que je ferai sera gentil  et plein de talent, mais sans plus. Après ma mort, en passant devant ma tombe, mes amis diront : " Ci-gît Trigorine. C'était un bon écrivain, mais il écrivait moins bien que Tourgueniev. "

      - Excusez-moi, je renonce à vous comprendre. Vous êtes tout simplement gâté par le succès.

 

Anton Tchekov - La Mouette (1896) - (théâtre)

 

n°745
 

       D'Eleusis une route conduit à Mégare. Sur cette route on trouve un puits appelé Anthion ("fleuri"). Pamphos a représenté, dans son poème, Déméter assise sur ce puits après l'enlèvement de sa fille, sous l'aspect d'une vieille femme; c'est là que les filles de Céléos, qui la prenaient pour une femme d'Argos, la conduisirent auprès de leur mère et que Métaneira lui confia son enfant à élever. Un peu plus loin que le puits se trouve le sanctuaire de Métaneira, puis les tombaux des combattants contre Thèbes.

        En effet Créon, qui détenait le pouvoir à Thèbes où il exerçait la régence pour Laodamas fils d'Etéocle, ne laissa pas les parents enlever leurs morts pour les enterrer; Adraste  vint supplier Thésée et les Athéniens livrèrent bataille aux Thébains. Thésée fut vainqueur et emporta les morts à Eleusis où on les enterra. Les Thébains, eux, affirment qu'ils accordèrent volontairement le droit d'emporter les cadavres sans qu'on eût besoin d'en venir à se battre.     

 

Pausanias - Description de l'Attique (c.170 ap)

 

n°744
 

       Rome imposait souvent aux pays conquis une réglementation économique à son profit exclusif. Elle interdit la culture de la vigne et de l'olivier en Gaule Narbonnaise pour protéger la production d'Italie. Elle se réservait partout le monopole de la monnaie d'or, presque toujours celui de la monnaie d'argent (Athènes compta parmi les rares cités privilégiées qui aient conservé leur monnaie), parfois même celui de la monnaie de bronze.

       Sur les provinces occupées par l'armée romaine ne tardait pas à s'abattre toute une nuée d'exploiteurs. C'étaient d'abord des commerçants, negotiatores , mal distincts des usuriers venus offrir leurs services aux cités écrasées par les impôts et les contributions de guerre. Quand ils n'étaient pas remboursés, ils obtenaient le concours de toute la force romaine pour saisir les biens et réduire les débiteurs à l'esclavage.   

 

Jean-Philippe Lévy - L'économie antique (QSJ n°1155-1964)

 

n°743
 

       Ces retouches au système de l'O.S.T. (Organisation Scientifique du Travail) n'avaient pas touché à la base matérielle, au rapport  réel de l'ouvrier et de la machine. Elles étaient comme les pelouses devant les usines modernes : une drogue plus propre que le pinard ou la bière pour faire oublier à l'ouvrier la réalité de sa misère. Depuis quelques années, on commence à avoir des doutes sur l'efficacité de l'O.S.T.

       Les revendications des couches de travailleurs jeunes et fraîchement transplantés de la campagne ou du Tiers-Monde, à l'usine, leurs formes de résistance contre les cadences et l'oppression de la maîtrise, amènent les patrons à réfléchir. Diverses solutions sont essayées. L'une consiste dans l'enrichissement des tâches ("job enrichment"). Pour retrouver les motivations du travail, il faut rendre une certaine unité au travail en miettes, requalifier l'individu.

 

René Lourau - L'analyseur Lip (1974)

 

n°742
 

       De garde à la gare par un froid de loup. Dans la journée, quelques hommes suffisent pour le service mais à partir de vingt-deux heures, tout le monde doit être présent sur les quais et sans interruption jusqu'à trois heures du matin. Cinq heures de garde d'affilée, baïonnette au canon. Ce déploiement de force armée n'est pas du tout du goût des permissionnaires de la région qui, venant de la Ligne Maginot, descendent ou transitent à Laval.

       Beaucoup s'en prennent à nous : " Planqués ! Embusqués ! " Nous en entendons de toutes les couleurs (comme si nous étions pour quelque chose d'être mobilisés à Laval! ). C'est d'autant plus injuste que "ceux du front", où il ne se passe strictement rien, n'ont pas une vie plus dangereuse que la nôtre.  Mais peut-être s'ennuie-t-on encore plus dans les casemates de la Ligne Maginot que dans les villes-garnisons !    (13 décembre 1939) 

 

Fernand Grenier - Journal de la Drôle de Guerre (sep 1939- juil 1940) (1969)

 

n°741
 

       Bernard a son arbre. Un saule encore jeune qui a poussé tout droit, au bord du fossé, au coin de la cour entre les maisons. Sortir de la cuisine, quelques pas, et venir appuyer son épaule et sa joue contre l'écorce fraîche... Il le fait souvent quand il est seul. On croit à une attitude commode, paresseuse, une habitude que de là il regarde simplement, vaguement, la petite vie du "coron", la rue pavée, les passants.

       Comme d'autres s'adossent à un mur, s'accoudent à un pont, s'accroupissent sur un seuil. Il regarde, en effet, mais son regard n'est que de surface. Profondément, il fait corps avec l'arbre, avec le tronc. Grand vent ou non, il sait qu'un arbre n'est jamais immobile, pas plus immobile qu'un homme. Les yeux seuls peuvent s'y tromper.

 

André Stil - Dieu est un enfant (1979) - (roman)

 

n°740
 

       Depuis que je suis petit, je vole. Je ne me rappelle pas la première fois qu'il m'est arrivé de voler : cela doit être plus ancien que mon plus ancien souvenir. J'ai certainement voler avant de savoir marcher. avant de savoir parler, avant même de savoir que je rêvais. Le moindre prodige n'est pas que le vol soit déjà tout ça, moyen de déplacement, langage, rêve. Il y a bien des choses à dire sur le vol, et davantage encore qu'on ne peut l'expliquer.

       J'ai d'abord trouvé naturel ce don congénital . Malgré tout, je ne sais quelle méfiance me poussait à ne m'y abandonner que lorsque je me trouvais seul dans ma chambre. Avec le temps, cette habitude du secret se transforma en nécessité. J'avais tort de me méfier, comme on le verra, mais je ne pouvais pas le deviner, et moins encore pour quelle incroyable raison je n'aurais rien risqué à voler en public. 

 

Didier Martin - Un garçon en l'air (1977) - (roman)

 

n°739
 

       On a vu comment notre chef et fondateur Pierre Gaxotte, dans la semaine où l'offensive judéo-communiste redoublait contre nous, avait bouclé ses malles pour un voyage aux Indes. Toutefois, sa première étape ne l'avait mené qu'en Suisse où la déclaration de la guerre devait le trouver. Sa situation de réformé définitif,  ses revenus d'homme de lettres heureux lui donnaient toute liberté. Trois jours plus tard, il était parmi nous. Il m'avait raconté son débat intime, sur le quai d'une gare de je ne sais plus quel canton helvétique, se sentant sur le point de dire adieu à la paix pour aller se jeter dans la plus épouvantable et stupide bagarre.

     "Quelle envie de tourner le dos à cette Europe, à ces idioties! On annonçait une heure de retard pour mon train. S'il en avait eu deux, je crois bien que je ne rentrais pas. Si je suis revenu, c'est bien uniquement par amitié pour vous autres, pour remplacer au journal tous ceux qui sont partis à la guerre". Il ne pouvait effacer d'une manière plus touchante les doutes mélancoliques qu'il nous avait inspirés.

 

Lucien Rebatet - Les Décombres (1942)

 

n°738
 

       Ce merveilleux quotidien avait conservé à son esprit une fraîcheur enfantine, pendant que son coeur et son corps s'épanouissaient. Le savant s'était peu préoccupé de lui enseigner des règles de vie. Parvenue à son printemps, elle ne cherchait pas à combattre les élans que la nature suscitaient en elle. La nuit de Tremplin-le-Haut avait vu entrer, dans cet univers étonnant qu'elle partageait avec son père, un troisième personnage, maladroit, crotté dans son déguisement de soldat.

       Elle le devina, avec un sûr instinct, plein de gentillesse et de douceur. Pendant deux ans, longuement étirés par la noëlite, qu'elle fut séparée de lui, elle ne cessa de penser à ce garçon interminable, au visage blême, qui partageait ses mystères. Elle attendit avec impatience le moment de le revoir. Son père ne sétait pas aperçu qu'elle avait grandi.

      

René Barjavel - Le voyageur imprudent (1958) - (roman)

 

n°737
 

       Le temps vint qu'il fallut mettre notre talent aux affaires publiques. Guillaume recouvrit ses chaussures de guêtres café au lait. Avec son pantalon rayé et son chapeau melon je le voyais monter chaque matin, à heure fixe, l'escalier monumental de la gare. Il arrivait avec une heure d'avance sur son train pour être seul à franchir les degrés ce qui lui donnait le sentiment de sa puissance.

      Il tenait un bouquet de fleurs de la main gauche et de la droite un paquet de pâtissier, conique, suspendu à un ruban bleu. Conservateur dans l'âme, il avait choisi une fois pour toutes les marguerites et la religieuse. Je fus à son service entre les deux guerres, pendant le conflit et après la victoire. C'est une victoire rabâchait-il, c'en est une et une belle !

 

Daniel Boulanger - Les Portes (1966) - (roman)

 

n°736
 

       "Oui, beaucoup plus, ajouta-t-il en sortant un vieux portefeuille, j'ai tout inscrit ici ; si vous le désirez, je puis vous dire la date exacte ; on n'arrive pas à tout retenir. Mon procès doit durer depuis bien plus longtemps, il a commencé peu après la mort de ma femme qui est survenue il y a plus de cinq ans et demi." K... se rapprocha encore de lui. Il s'occupe donc aussi des questions de droit courantes ?

         Cette combinaison des affaires et du droit lui paraissait extrêmement rassurante.  -Bien sûr, dit le négociant. Puis il souffla à K... : -On dit même qu'il est plus capable dans ce genre d'affaires que dans les autres. Mais il sembla se repentir d'en avoir trop dit, car, posant une main sur l'épaule de K..., il ajouta : -Je vous en supplie, ne me trahissez pas.  K... lui frappa sur la cuisse pour le rassurer et lui dit : -Non, je ne suis pas un traître.

 

Franz Kafka - Le Procès (1926) - (roman)

 

n°735
 

       On lui prête des turpitudes encore plus infâmes et telles qu'on ose à peine les décrire ou les entendre exposer, ni à plus forte raison y croire ; il aurait habitué des enfants de l'âge le plus tendre, qu'il appelait ses "petits poissons", à se tenir et à jouer entre ses cuisses pendant qu'il nageait pour l'exciter peu à peu de leur langue et de leurs morsures; on dit même qu'en guise de sein il donnait à téter ses parties naturelles à des enfants déjà passablement vigoureux, mais non encore sevrés : c'était assurément à ce genre de jouissance que son goût et son âge le portaient le plus.

       Aussi, un tableau de Parrasius où l'on voyait Atalante ayant pour Méléagre une honteuse complaisance lui ayant été légué sous réserve qu'il recevrait en échange un million de sesterces si le sujet lui paraissait choquant, non seulement il préféra le tableau, mais il le plaça dans sa chambre à coucher.

 

Vie des Douze Césars (Tibère) - Suétone (121 ap) - (histoire)

 

n°734
 

       Ce qu'a écrit Homère est convention aux trois quarts, et il en est ainsi de presque tous les artistes grecs, qui n'avaient aucune raison de s'adonner à la rage d'originalité qui est le propre des modernes. Ils n'avaient nulle crainte du conventionnel, c'était un moyen pour entrer en communion avec leur public. Car les conventions sont des procédés pour l'entendement de l'auditeur, une langue commune péniblement apprise, par quoi l'artiste peut véritablement se communiquer.

       Surtout lorsque, comme les poètes et les musiciens grecs, il veut être immédiatement victorieux avec son oeuvre d'art - étant habitué à lutter publiquement avec un ou deux rivaux- c'est aussi la première condition pour être compris immédiatement : ce qui n'est possible que par la convention.  

 

Nietzche - Le voyageur et son ombre (1902)

 

n°733
 

       Des armes sortent de terre, sortent des greniers, sortent des caches; des chevaux hennissent; des étoiles durcissent leurs positions; à bicyclette, dans les chemins creux bordés de fougères, de jeunes hommes, de jeunes femmes, s'avancent vers la mort. Marée de sang dans les ténèbres. La mer se réveille, des vagues se dressent et giflent les falaises. Ombres. Milliers d'ombres. Signaux.

       Secouées par des mains invisibles, des lampes tempêtes se répondent, lumières rapides échangées d'une lande à un fourré, d'une maison isolée à une meule de foin; les vieilles pierres gonflent leurs veines. Prélude à l'Apocalypse, les "vers choisis"  de monsieur Paul franchissent les frontières. Les lignes téléphoniques grésillent. Innombrables appels, rappels. Voix rauques et teutonnes, voix blanches, voix exténuées, voix coupées, voix avinées, voix qui, bientôt, n'auront plus de voix...

 

René de Obaldia - Exobiographie (1993)

 

n°732
 

       Il y a un mois la télévision nous a permis de revoir un classique dont nous nous souvenions avec admiration, attachement et respect ; je parle de 2001 : l'odyssée de l'espace, de Kubrick. J'ai interrogé plusieurs amis après cette redécouverte et ils ont été unanimes : ils étaient déçus. Ce film qui, il n'y a pas si longtemps, nous avait étonnés par ses extraordinaires nouveautés techniques et figuratives, par son souffle métaphysique, nous a donné l'impression de rabâcher des choses que nous avions déjà vues des milliers de fois.

       Le drame de l'ordinateur paranoïaque tient encore bien, même s'il ne nous étonne plus. La séquence des singes du début est toujours un beau moment de cinéma, mais ces navettes spatiales non aérodynamiques ont déà leur place dans la boîte à jouets de nos enfants entre-temps devenus adultes, en plastique (les navettes, je crois, pas les enfants) Les visions finales sont kitsch (toute une série de généralités pseudo-philosophiques dans lesquelles chacun peut mettre à son gré les allégories qu'il veut).

 

Umbert Eco - La Guerre du faux (1965) - (essais)

 

n°731
 

       "Oui", m'assure Camusat, de plus en plus affolé, qui va et vient, courant d'une voiture à l'autre, où sans cesse on découvre une lacune ou une imperfection nouvelles. Il a demandé des pièces pour mettre hâtivement  les véhicules en état. Elles lui arrivent au compte-gouttes et ce ne sont généralement pas celles qui conviennent. Il s'indigne, transpire et le bruit courant qu'on peut partir demain soir, il entrevoit la situation comme désespérée.

        Je laisse le malheureux se débattre et je me promène dans le champ où on a rassemblé les camions. Il y en a de tous les genres, depuis la voiture de déménagement capitonnée, le camion de livraison, les voitures de boucher, les Dodge et les Saurer monstrueux jusqu'aux camionnettes fourragères, à claire-voie, en passant par toute la gamme des plates-formes et des remorques.  

 

Edmond Lefort - Un mois de guerre d'un médecin de réserve (1942)

 

n°730
 

       L'étymologie du mot énigme est des plus simples : il dérive directement du latin aenigma emprunté au grec ainigma qui signifie : obscur ; il n'y a place ici pour nulle controverse ou aucun commentaire. Il convient pourtant d'observer que les Grecs donnaient au mot ainigma un sens plus général que celui que nous avons eu l'habitude d'attribuer à notre énigme ; ils entendaient par là tout jeu d'esprit dans lequel le sujet était désigné par un discours obscur de quelque genre que ce soit, et réservaient le mot griphos à notre énigme prise dans le sens restreint, ou énigme proprement dite.

       C'est ainsi que Visconti a pu dire à propos de cette énigme latine dont le sujet est le ver à soie : "Je construis mon tombeau, mon art finit ma vie; je travaille sans cesse et je file ma mort." Ces vers appartiennent évidemment à ce genre d'énigmes ou devinettes que les Grecs appelaient griphes et qui furent très en vogue durant les premières périodes de leur culture, comme elles l'étaient déjà depuis des siècles chez les sages Orientaux. 

 

Marcel Bernasconi - Histoire des énigmes (QSJ n°1087-1964)

 

n°729
 

       Ce sera nous rapprocher un peu plus de la vie sociale que d'essayer de situer les moments des fêtes. Virgile nous montrait ses paysans faisant ripaille durant la saison d'hiver avec les réserves qu'ils avaient pu amasser: et il emploie une expression d'une belle richesse, genialis hiems. Dans un lambeau de poème, Alcman parle du printemps comme de la saison "où tout pousse, mais où il n'y a pas grand-chose à manger".

       Nous le croyons bien : c'est qu'on a trop mangé avant. Dans la vie du paysan, les avarices nécessaires et les prodigalités obligatoires alternent et se commandent. De fait, l'hiver nous apparaît tout de suite comme la saison des fêtes. En dépit des adjonctions, des systématisations et des décalages inévitables, le système des fêtes de la cité a retenu beaucoup d'archaïque.

 

Louis Gernet - Anthropologie de la Grèce antique (1965)

 

n°728
 

       Edith l'aime. Nous y reviendrons. Peut-être, s'agissant d'un bon à rien qui n'a pas un sou, n'aurait-elle jamais dû ouvrir de relations avec lui. Il semble qu'elle lui envoie des déléguées, ou comment dire des chargées de mission. Il a des amies, comme ça, un peu partout, mais il n'y a rien de sérieux là-dedans, et encore moins avec la fameuse histoire des cent francs. Jadis il lui est arrivé par pure générosité, par philanthropie, de laisser en d'autres mains cent mille marks.

      Quand on rit de lui, il rit aussi. Rien que ce trait pourrait déjà paraître inquiétant chez lui. Il n'a pas même un ami. "Depuis le temps" qu'il est ici parmi nous, il n'a pu réussir, et il en est très content, à obtenir du monde masculin une quelconque marque d'estime. N'est-ce pas la preuve d'une absence de talent, et des plus criantes que l'on puisse imaginer?

 

Robert Walser - Le brigand (1986)

 

n°727
 

       J'habitais dans la Lozère, avec mon oncle. C'était une vieille maison solidement accrochée au sommet d'une montagne noir et nue, hérissée de rochers, semée de cailloux et d'éclats. Des bois couvraient les pentes au-dessous de notre maison jusqu'aux deux tiers de la hauteur, puis, étiolés, mouraient en broussaille ; je crois que le vent les tuait. Où nous étions, il ne poussait absolument rien qu'une sorte de moisissure de la pierre, et plus semblable à des restes écaillés d'enduit qu'à la belle mousse vivante qui boucle ici le tronc des sapins.

       Mon oncle regardait avec orgueil un petit jardin lapidaire (ainsi le nommait-il), qu'il avait fait construire sous le balcon de ma chambre, et dans lequel il se promenait pendant un quart d'heure, à partir de midi, tous les jours qu'il ne pleuvait pas. De ma fenêtre, je le voyais aller et venir, suivre toujours le même parcours où des morceaux de granit gris et rouge simulaient des plates-bandes et des bordures à la française.

 

André Pieyre de Mandiargues - Soleil des loups  (1951) - (nouvelles)

 

n°726
 

       Il m'est arrivé aujourd'hui une aventure étrange. Je me suis levé assez tard, et quand Mavra m'a apporté mes bottes cirées, je lui ai demandé l'heure. Quand elle m'a dit qu'il était dix heures bien sonnées, je me suis dépêché de m'habiller. J'avoue que je ne serais jamais allé au ministère, si j'avais su d'avance quelle mine revêche ferait notre chef de section. Voilà déjà longtemps qu'il me dit : "Comment se fait-il que tu aies toujours un pareil brouillamini dans la cervelle, frère? Certains jours, tu te démènes comme un possédé, tu fais un tel gâchis que le diable lui-même n'y retrouverait pas son bien, tu écris un titre en petites lettres, tu n'indiques ni la date ni le numéro."

       Le vilain oiseau! Il est sûrement jaloux de moi, parce que je travaille dans le cabinet du directeur et que je taille les plumes de son Excellence...

 

Gogol - Le Journal d'un fou (1843) - (nouvelle)

 

n°725
 

       Platon est le plus important des élèves de Socrate et celui qui a transmis à la postérité la meilleure image de son maître. Ses contemporains l'appelaient "le prince de la philosophie". Platon naquit en 427 av. J.C. ; la grande Guerre du Péloponèse était dans sa cinquième année. Il appartenait à l'une des familles les plus en vue et les plus riches d'Athènes. Son père pouvait se targuer de descendre du dernier roi athénien.

       Sa haute naissance donna au jeune ambitieux toutes facilités pour jouer un rôle de premier plan sur la scène politique. Mais, lorsqu'il fit son entrée dans le grand monde, il se passa un évènement qui allait donner un tout autre cours à sa vie : il fit la connaissance de Socrate. Et qu'était une carrière politique alors qu'il pouvait suivre le grand philosophe et participer à son oeuvre bienfaisante ?

 

Carl Grimberg - La Grèce et les origines de la puissance romaine (1963)

 

n°724
 

       Cependant, cette vigueur hivernale, probable et plausible du second XVIè siècle, ne suffit pas, loin de là, pour expliquer l'histoire longue des glaciers de ce temps, et leur violente et durable offensive. L'hiver, après tout, ne représente qu'un quart de l'année. Les livraisons neigeuses qu'il implique intéressent évidemment l'accumulation, et par là même les budgets glaciaires. Mais les fluctuations thermiques, en revanche, demeurent assez indifférentes aux glaciers. L'hiver de haute montagne, même quand il est relativement doux, demeure de toute façon trop froid : tant qu'il dure, l'ablation est suspendue, sauf en quelques journées spécialement tièdes.

        Le refroidissement hivernal de la seconde moitié du XVIè siècle n'a donc pas suffi , à lui seul, à faire avancer les glaciers, comme ils ont avancé, en fait, jusuqu'à leurs maxima historiques. Une telle avance ne peut s'expliquer, entre autres facteurs primordiaux, que par un défaut d'ablation.

 

Emmanuel Leroy Ladurie - Histoire du climat depuis l'an Mil (1965)

 

gne,
 

       Au mois d'Avril 1972 Ermano Ismani, 43 ans, professeur en chaire d'électronique à l'Université de X, homme de petite taille, assez gras, d'humeur joviale mais pusillanime, reçut une lettre du ministère de la Défense le priant de venir conférer avec le colonel Giaquinto, chef du Département de la Recherche. Cette invitation avait un caractère d'urgence.

      Sans rien savoir de ce dont il pouvait s'agir, Ismani, qui avait toujours ressenti une sorte de complexe d'infériorité envers les Autorités établies, se rendit au ministère le jour même, en toute hâte. Il n'y était jamais allé. Quand, timide et embarrassé comme toujours, il parvint au vestibule, un planton en uniforme lui barra le passage, lui demandant ce qu'il désirait. Ismani tendit sa convocation.

 

Dino Buzzati - L'image de pierre (1965) - (nouvelle)

 

n°722
 

       En préparant ce petit recueil, nous nous sommes efforcé de grouper les pages que nos meilleurs auteurs semblent avoir écrites pour les enfants. pour mettre les textes bien à la portée des élèves du cours élémentaire (1er degré) nous avons dû parfois remplacer certains mots par des mots plus simples, mais la pensée de l'auteur a toujours été respectée : elle reste avec toute sa force ou son charme.

      Les grandes voix de Victor Hugo, de Lamartine, de Michelet.... se font ingénieuses et paternelles pour enseigner le devoir aux petits ; pour les instruire, en les amusant, les voix amies des conteurs Perrault, Dickens, Andersen, Grimm.... se parent de toute leur grâce. L'enfant les entendra toutes, les unes après les autres, en tournant les feuillets de ce petit livre.

 

A.Mironneau - Choix de lectures - cours élémentaire  (1929) - (manuel scolaire)

 

n°721
 

       Quel âge faites-vous? L'âge inscrit sur votre carte d'identité ? Beaucoup plus ? Beaucoup moins ? Il n'existe malheureusement pas encore d'équation qui permette d'attribuer à une personne, et à coup sûr, son véritable âge mental et physique. des affirmations du type "tu parais être encore un vrai gamin et pourtant tu as déjà dépassé les "tant", "je suis encore jeune mais je me sens déjà une épave", "Marc a la mentalité de vingt ans", sont tout à fait arbitraires et ne se fondent pas sur des paramètres quantifiables, mais sur des impressions, des sensations et des états d'âme.

       Et pourtant, même s'il n'existe pas d'unité pour mesurer les années, les mois, les jours exacts, l'âge que nous paraissons avoir, il existe toutefois des signes, des indices qui peuvent nous aider à déterminer notre âge véritable : l'habillement, l'aménagement de notre maison, nos comportements envers la nouveauté, notre ouverture ou notre étroitesse d'esprit, notre vivacité, notre manière de parler, notre forme physique...

 

L.Franceschini Lampazzo - Les tests pour mieux se connaître et découvrir les autres (1986)

 

 

 

 

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