qu'

MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

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n°720
 

       Le français ici en cause est celui qu'on écrivait entre les Serments de Strasbourg (843), le plus ancien document en langue française, et les débuts de la guerre de Cent ans (1300-1350), date à partir de laquelle l'ancien français a perdu les principaux caractères qui le distinguent de la langue moderne. Dès le début du XIVè siècle, en effet, la réduction des diphtongues et des consonnes complexes, la déchéance des déclinaisons, la chute des désinences verbales et nominales et le transfert de leur fonction sur le pronom personnel  ou sur l'article, etc , permettent de définir un nouvel état de la langue, le Moyen Français.

       Dans ces limites (843-1350), notre description de l'ancien français constitue une étude historique et diachronique; c'est à dire l'étude de la formation de la langue et des causes qui ont déterminé son évolution.

 

Pierre Guiraud - L'ancien français (QSJ n°1056-1968)

 

n°719
 

       Donc, là où nous nous trouvons présentement allongés, sur ce lit qui dégage comme une fleur éclose, le parfum de Sexie, Hannelore avoua sa virginité à son amie. Celle-ci lui fit alors comprendre combien elle venait de passer près du doux dommage irréparable, regrettant toutefois qu'elle n'ait pas subi, tant qu'elle y était, l'aigu et nécessaire moment de la révélation.

      Mais Hannelore pensait différemment. Ayant trouvé un extrême assouvissement dans les caresses de l'homme, elle avait la certitude qu'un geste de plus aurait tout détruit : "Le plaisir, lui affirma-t-elle avec beaucoup de superbe, ne se prend pas nécessairement dedans... Tenez, à Münich, entre filles, nous..." Malgré l'insistance de Sexie, elle ne voulut pas continuer, comme si elle désirait exciter sa curiosité par un mystère.

 

Starcante - Eloge de la nymphomanie (1970)

 

n°718
 

       -Voici sans doute un peu plus loin le bois, ici le chêne d'Arpinum, je les reconnais tels que souvent j'ai cru les voir en lisant le Marius . S'il vit encore, ce chêne, assurément c'est celui-ci, car il est bien vieux.

      -Oui mon cher Atticus, il vit encore et toujours il vivra; car c'est le génie qui l'a planté et il n'est point d'agriculteur dont les soins puissent donner à un plant une durée égale à celle que lui donnent les vers du poète.

      -Comment cela, Quintus ? et qu'est-ce donc que plantent les poètes ? Tu m'as vraiment l'air en louant ton frère de te donner ton suffrage qu'à toi-même.

      -Je le veux bien. Quoi qu'il en soit, tant que vivront les lettres latines, il y aura ici un chêne, on l'appellera le chêne de Marius et il vieillira pendant des siècles sans nombre.

 

Cicéron - Des Lois (52 av)

 

n°717
 

       L'Inspection des finances est un mythe dont l'opinion connaît peu ou mal ce qu'il recouvre exactement. On imagine volontiers les inspecteurs des finances comme des fonctionnaires tout puissants, régnant sur le monde bancaire et financier et appartenant à un corps autonome, jaloux de son prestige, et fier des prérogatives qu'il a su acquérir ou conquérir. Cette vue, un tantinet caricaturale, n'est pas tellement éloignée de la réalité.

       Traditionnellement, l'Inspection des finances désignait l'ensemble des fonctionnaires chargés de contrôler l'activité des agents dépendant du ministère de l'Economie et des Finances. Aujourd'hui cette définition apparaît bien insuffisante et insatisfaisante. Pendant de nombreuses années elle a pourtant correspondu à une réalité très originale de l'administration française qui a commencé à prendre forme avant la Révolution.  

 

Christian Vulliez - Les grands corps de l'Etat (1970)

 

n°716
 

       La religion offrait à l'art d'exceptionnelles possibilités. Si leur égoïsme, leur vanité et la médiocrité de l'idéal qu'ils incarnaient rendaient les dieux incapables d'inspirer le moindre élan d'amour , en revanche le mystère qui les entourait n'était pas bien redoutable. Ils ne différaient des hommes que par leur puissance et le privilège de n'être atteints ni par l'âge ni par nos misères physiques. Ils n'hésitaient pas à descendre sur la terre et leurs aventures les rapprochaient de nous.

       Pour peu qu'au prix de quelques précautions indiquées par les prêtres on ménageait leur susceptibilité toujours en éveil, c'est sous l'apparence des mortels qu'il fallait les représenter. C'est donc l'étude de l'homme, dans toute sa richesse, que la religion proposait à l'art : pourquoi ce dernier se serait-il insurgé contre un si beau programme ?

 

Pierre de Wambez - Le style grec (1944)

 

n°715
 

       Les deux directions du Surréalisme, d'une part : suggérer le mystère de l'inconscient, de l'autre : bouleverser le réel sont donc réunies dans l'oeuvre de Picasso. Sa volonté révolutionnaire se marque même par une agressivité tout à fait caractéristique. Par contre, les peintres surréalistes, se différencient selon leurs tempéraments. Alors que les uns expriment surtout leurs rêves, les autres s'attaquent à la réalité, pour lui restituer sa profondeur.

       A la tendance subjective de la peinture, appartiennent des artistes comme Francis Picabia et Marcel Duchamp. Avec eux, "nous avons affaire non plus à la peinture, ni même à la poésie ou à la philosophie de la peinture mais bien à quelques uns des paysages intérieurs d'un homme parti depuis longtemps pour le pôle de lui-même."

 

Yves Duplessis - Le Surréalisme (QSJ n°432-1953)

 

n°714
 

       Le danger qui pourrait résulter -pour l'Islam- de l'arabisation des non-musulmans était moindre que celui que risquait d'entraîner la diffusion de comportements chrétiens au sein de la société mahométane. C'est là un problème considérable : dans quelle mesure, en effet, la faiblesse numérique des immigrés et la force des réalités indigènes ont-elles contrebalancé  la puissance de diffusion de l'arabisme et la primauté islamique, en infléchissant les rapports entre chrétiens et musulmans, sporadiquement et dans certains domaines ?

        Les historiens discutent beaucoup sur ce thème. Ce qui est certain c'est que les modalités de coexistence entre les mahométans et les autochtones fidèles à la foi de leurs pères, ont évolué au cours des ans. Pendant un siècle au moins, après la conquête arabe, voire bien plus longtemps encore, structures sociales et traditions indigènes restent solidement ancrées.

 

Charles-Emmanuel Dufourcq - Vie quotidienne dans l'Europe médiévale sous domination arabe (1978)

 

n°713
 

       Au retour de ce long voyage,  Pan regagne avec plaisir ses bois, ses campagnes et surtout ses nymphes. Plusieurs d'entre elles lui plaisaient et développèrent ses velléités matrimoniales. Par malchance, s'il possédait l'éloquence d'un séducteur, il en jouait difficilement le personnage. Ses douces paroles étaient accueillies par des rires moqueurs, ses instances provoquaient la fuite des belles. Il les poursuivait avec agilité, cherchant à les convaincre de sa sincérité et de sa tendresse. Il promettait d'être un bon et fidèle mari. Toutes lui échappaient, railleuses.

      Une seule, sa préférée, sur le point d'être rejointe, appela les naïades à son secours et plongea dans le fleuve Ladon, où elle disparut. Pan se précipite pour la tirer de l'onde. Au moment où il croyait l'avoir sauvée ses bras ne pressent qu'une gerbe de roseaux agités par le vent et simulant de légers soupirs. Désespéré de voir s'évanouir la douce vie à deux qu'il avait rêvée, Pan détache sept roseaux, les taille d'inégale et graduelle longueur, les juxtapose en biseau, les fixe avec de la cire et forme la flûte, l'appelant du nom de Syrinx en souvenir de celle qui l'avait dédaigné et qu'il regrettera toute sa vie.

 

Emile Genest - Contes et légendes mythologiques (1947)

 

n°712
 

       Mais les trois champions, pleins de vin et d'audace, du palais cependant passent la grande place ; et, suivant de Bacchus les auspices sacrés, de l'auguste Chapelle ils montent les degrés. Ils atteignaient déjà le superbe portique où Ribou le libraire, au fond de sa boutique, sous vingt fidèles clefs garde et tient en dépôt l'amas toujours entier des écrits de Haynaut, quand Boirude, qui voit que le péril approche, les arrête ; et, tirant un fusil de sa poche, des veines d'un caillou, qu'il frappe au même instant, il fait jaillir un feu qui pétille en sortant. Et bientôt au brasier d'une mèche enflammée, montre, à l'aide du soufre, une cire allumée. Cet astre tremblotant, dont le jour les conduit, est pour eux un soleil au milieu de la nuit.

 

Boileau - Le lutrin (1683) - (poème héroï-comique)

 

n°711
 

       Au début de tout exposé, il me semble nécessaire de poser des principes assurés, dans un langage simple et grave. A mon avis, et pour tout dire d'un mot, toutes les choses proviennent des modifications d'une même substance primordiale et sont cette même substance. Et cela est facile à voir. En effet, si ce qui se trouve dans notre monde actuellement : terre, eau, air et feu, et tout ce qui apparaît à nos yeux dans ce monde; si, dis-je, ces choses différaient les unes des autres par leur nature et si, malgré leurs changements et modifications multiples, elles ne restaient pas la même essence primordiale, elles ne pourraient ni se mêler les unes sur les autres,ni exercer les unes sur les autres une action, ou favorable ou nuisible.

       Aucune plante ne pourrait naître de la terre, aucun animal ni quoi que ce soit ne pourrait être créé, si ce n'était une loi de la nature qu'il y a une substance une et identique. Plus, tous ces phénomènes ne sont que des modifications d'une même substance et ils se résolvent ensuite dans cette même substance.

 

Diogène d'Apollonie - Fragments (c.450 av)

 

n°710
 

       Si certains genres littéraires fixés depuis l'Antiquité se prêtent à une étude historique relativement aisée, il n'en est pas de même de genres plus récents, moins nettement définis. C'est le cas de la nouvelle. A l'époque romantique, le terme de nouvelle aurait pu prendre en France, sous l'influence de Hoffmann, de Novalis ou d'Edgar Poe, le sens de "conte fantastique". Un peu plus tard, les oeuvres de Mérimée ou de Maupassant en avaient restreint l'emploi à la désignation de récits courts, réalistes, ordinairement dramatiques et se terminant par un évènement surprenant.

      A la limite, on pourrait être tenté de dire que toute nouvelle est conçue en fonction du dénouement. Mais il serait imprudent de prétendre imposer cette définition restrictive à l'histoire de la nouvelle. Une autre difficulté tient au fait qu'on ne peut pas toujours se fier à l'étiquette (souvent en sous-titre) pour savoir quels ouvrages il convient de voir comme des "nouvelles" à une époque donnée : c'est la continuité du genre qui nous amènera à négliger certains accidents de dénomination. 

 

Frédéric Deloffre - Littérature et genres littéraires (1978)

 

n°709
 

       Le premier nom de station du pays de Balbec cité alors (dans "La Fugitive") est fort remarquable : Apollonville, Apollon dieu soleil autrefois, puis grand démon au Moyen Age. Marcel ne pourra découvrir dans le portail de Balbec ce paradis que le nom lui avait fait entrevoir que par l'intermédiaire du prisme d'Elstir; de même, il aura besoin du prisme de Vinteuil, et de la conjonction Vinteuil, Mademoiselle Vinteuil, l'amie de Mademoiselle Vinteuil, Albertine, pour découvrir dans l'aquarium de Balbec-plage tout son enfer, enfer par la considération duquel seulement sera possible la remontée au ciel.

       De même qu'il y a trois exécutions principales de la sonate pour Swann, on peut distinguer trois contemplations principales du portail de Balbec par Marcel;la première, archétypale, c'est ce qu'en a dit le nom, avec le commentaire de Swann, complété par les visites au Musée des Monuments français.

 

Michel Butor - Essais sur les modernes (1964)

 

n°708
 

       ll y avait à Athènes (et sans aucun doute ailleurs), des hommes qui pouvaient se trouver extérieurs à la phratrie ou en être des membres amoindris; il y avait dans les phratries différentes distinctions  (les orgéons représentent la seule dont nous ayons connaissance, mais il pouvait y en avoir bien d'autres) qui pouvaient concerner toutes les classes de la population non esclave, et même marquer de plus intimes différences en laissant à l'extérieur les groupes en décadence. Nous n'en savons rien.

        Mon sentiment est que chaque phratrie, à l'origine, se constitue autour d'un génos aristocratique directeur; qu'elle comprenait en outre, un ou plusieurs génè de moindre importance, et au niveau inférieur, une masse plus ou moins indifférenciée; que se trouver à l'extérieur, c'était être esclave ou, comme les hilotes de Sparte, un presque-esclave; que l'homme de la rue conquit peu à peu sa liberté et les droits qui devaient constituer plus tard l'idée même de citoyenneté à l'intérieur de la structure des phratries qui formaient l'armature de l'Etat.

W.G. Forrest - La naissance de la Démocratie Grecque (800-400av) (1966)

 

n°707
 

       Botta éconduisit son homme sans ménagements. Les Arabes l'avaient tant de fois déçu qu'il ne croyait pas un seul d'entre eux capable, même à titre exceptionnel, de dire la vérité. Il ne voulut rien entendre, même après que l'insistant personnage lui eut amené de son village, deux briques revêtues d'inscriptions. Mais les discours du teinturier bourdonnaient dans sa tête. Aussi, après quelques nouveaux efforts toujours infructueux, il faiblit. Que risquait-il à envoyer quelques hommes à Khorsabad vérifier ses dires ?

       Il n'attendit pas longtemps. Moins d'une semaine après, un messager vint l'informer que l'équipe avait déjà exhumé deux murs parallèles, couverts d'inscriptions et ornés de sculptures. Botta l'écouta stupéfait. Etait-ce vraiment possible ? Aussi vite ? Il n'osa le croire ; pas avant que son domestique privé n'eût fait l'aller-retour pour lui rapporter une preuve formelle de cette découverte. Alors le chercheur si longtemps déçu se précipita vers Khorsabad et lorsqu'il eut sauté dans la tranchée, devant lui s'élevaient les murs de ses rêves. 

 

Anne Terry White - Les grandes découvertes de l'archéologie (1965)

 

n°706
 

       Il est peu d'exemples de grand roi qui ait été gueux dans son enfance. Louis XIV devait longtemps s'en souvenir: draps troués, tristes chandelles, voyages dans d'inconfortables carrosses suivis de chariots transportant les rares meubles de la famille. Tout cela quand Mazarin ployait sous les richesses, quand Fouquet donnait à Vaux des fêtes somptueuses. Les finances publiques livrées au pillage organisé, le Premier ministre et le Surintendant puisant à volonté, sans contrôle, dans le Trésor.

       De toutes parts, montaient des plaintes. L'anarchie qui régnait dans ce département de l'administration royale encourageait une autre anarchie, fiscale celle-là. Les rentrées d'impôts étaient problématiques, toujours inférieures à ce qu'on en attendait. Les communautés estimaient, à plus ou moins juste titre, que leur intérêt passait avant celui d'un Etat dépensier et désordonné qui procédait à une mauvaise répartition de la fortune du pays.  

 

Michel Déon - Louis XIV par lui-même (1991)

 

n°705
 

       -Tu vas prendre avec moi la route qui est là-bas et me servir de guide. Si tu as fait cacher les jeunes garçons dans le voisinage, tu me montreras toi-même la cachette. Si tes gens sont en fuite avec leur proie, il n'est pas besoin de nous tourmenter : j'ai mis d'autres hommes à leurs trousses qui les rattraperont à coup sûr avant qu'ils n'aient rendu grâces aux dieux d'avoir passé notre frontière. Allons, conduis-moi et reconnais, chasseur chassé, que la fortune t'a pris à ton propre piège. Tant il est vrai qu'un bien acquis par fraude ne profite jamais longtemps. Et tu ne trouveras personne pour soutenir ton action.

        Oh! je me doute que tu ne t'es pas lancé dans une équipée aussi téméraire, en dépit de ton fol orgueil, sans troupes de couverture; tu comptes certainement sur quelque auxiliaire... Il me faut y veiller, et je ne veux pas qu'on dise que mon pays s'est laissé surprendre par un coup de main d'aventurier.

 

Sophocle (493-406av) - Oedipe à Colone - (théâtre)

 

n°704
 

       Nous savons que ce qu'on nomme une particule "élémentaire", en Physique, un électron ou un proton par exemple, est formée également de matière extrêmement dense, précisément de l'ordre de grandeur de la densité qu'on rencontre dans les trous noirs; dans ce cas, n'y aurait-il pas quelques-unes de ces particules (sinon toutes) qui auraient, elles aussi, creusé une "poche" dans notre espace, et enfermeraient alors à l'intérieur d'elles-mêmes cet étrange espace-temps qu'on reconnaît dans les trous noirs, si étrange que nous sommes semble-t-il en bon droit de le qualifier d' "espace-temps de l'Esprit".

       En somme, pour être plus bref, certaines des particules élémentaires connues ne seraient-elles pas des "micro-trous noirs" ? Si la réponse était affirmative, alors étant donné que nous savons que de telles particules entrent dans la composition de notre corps, nous serions sans doute sur le chemin qui jette un pont entre Matière et Esprit.

 

Jean E.Charon - L'esprit, cet inconnu (1977)

 

n°703
 

       Et maintenant n'est-ce pas chose plus épouvantable encore et non moins surprenante que cette autre aventure que je vais raconter comme elle me l'a été. Il y avait à Athènes une maison vaste et commode, mais mal famée et maudite. Pendant le silence de la nuit, un son métallique se faisait entendre ; prêtait-on l'oreille, un bruit de chaînes résonnait au loin d'abord, puis plus près ; ensuite apparaissait un spectre ; c'était un vieillard exténué de maigreur et en haillons avec une grande barbe et des cheveux hérissés.

       Il portait aux pieds des entraves, aux mains des fers qu'il agitait. Aussi les habitants passèrent-ils des nuits sinistres et affreuses, privés de sommeil par l'effroi ; cette absence de sommeil amenait une maladie, puis, la frayeur allant croissant, la mort. Car, même en plein jour, quand l'apparition n'était plus là, leurs yeux étaient obsédés et la crainte survivait aux motifs de crainte. En conséquence, la maison fut désertée, condamnée à l'abandon et laissée tout entière au fantôme.

(Tite-Live)

 

C.Leroy / R.Martin - Récits noirs de l'Antiquité (1987)

 

n°702
 

       En une circonstance singulière, toutefois, il arriva que la manie gouvernementale de chercher à tous les attentas des raisons politiques eut quelques heureuses conséquences. Un des crimes qui firent alors le plus de bruit fut celui dont faillit être victime le représentant Bollet, dans sa maison de Violaines, près La Bassée (Nord), dans la nuit du 3 au 4 brumaire an V. Il était venu de Paris dans un équipage des plus brillants, précédé d'un fourgon chargé de deux coffres dont la grosseur et la lourdeur causèrent dans le village une grande impression ; impression bien plus grande encore quand en les remuant on eut distinctement perçu des tintements métalliques auxquels on n'était pas habitué.

       Rapidement le bruit se répandit que Bollet avait apporté de Paris le Trésor public et la conséquence en fut que, deux jours après, des individus masqués escaladèrent le mur et envahirent la maison. Bollet ne fut que légèrement blessé, ses agresseurs, brigands novices, ayant pris peur.

 

Marcel Marion - Le brigandage pendant la Révolution (1934)

 

n°701
 

      " Je suis contente d'être rentrée. J'ai été acclamée partout à Londres, mais les journalistes ont écrit sur moi des choses horribles; qu'on pouvait me voir habillée en homme pour un shilling, que je fumais de très gros cigares à mon balcon, que je faisais des armes dans mon jardin déguisée en pierrot, que je prenais des leçons de boxe et que j'avais cassé deux dents à mon professeur... que sais-je encore ? "

         Elle laisse retomber sa tête sur le coussin de soie lourdement brodé, ses cheveux auréolant de flammes son visage pâle, étroit. Son long corps s'étire sur le sofa. "Je suis brisée de fatigue. Je vais me reposer un peu et lire le courrier." La porte se referme. Les minutes passent. L'hôtel, tout à l'heure si bruyant, se replonge dans le silence. (Sarah Bernhardt la scandaleuse)

 

François Corre, ... - Le roman vrai de la IIIème République (1958)

 

n°700
 

       C'est à l'époque hellénistique que s'est développée la diffusion du livre, comme en témoigne la formation de grandes bibliothèques. Celle d'Alexandrie fut créée par les deux premiers Ptolémée (325-246), avec le concours de l'Athénien Démétrios de Phalère. Il y avait en réalité deux bibliothèques; la plus importante faisait partie du Museion centre de culture grecque et foyer de savants, constituée sur le modèle de l'Ecole péripatéticienne d'Athènes; elle aurait rassemblé plus de 500 000 volumes; la seconde, annexée au temple de sérapis, le Serapeion, en aurait compté 43 000.

        Le Museion fut détruit en 47 av. J.C. , au moment de la prise d'Alexandrie. En compensation, Antoine et Cléopâtre firent transporter au Serapeion la bibliothèque des Attalides; celle-ci fondée à Pergame par Attale Ier (241-197) et développée par Eumène II (197-159), comptait 200 000 volumes. Le Serapeion fut lui-même détruit par les chrétiens en 301 après J.C.

 

Albert Labarre - Histoire du livre (QSJ n°620-1979)

 

n°699
 

       Au moment où le Fonds monétaire international réunit à Washington les représentants de quelque 120 pays, la situation est grave. L'anarchie a remplacé l'ordre. Un ordre contestable et fragile, mais tout de même encore utile. La plus grande incertitude règne dans les affaires parce que chaque jour la valeur des monnaies - les unes par rapport aux autres - change. Il devient délicat de faire des projets.

       Les grandes entreprises se plaignent de l'incapacité des gouvernements à remettre de l'ordre. Au cours d'une rencontre commune, les patronats français et allemands lancent un appel à la conscience des hommes politiques. Ils affirment que les programmes d'investissement  vont être revus dans le sens de la diminution des commandes et que cela provoquera la montée du chômage. Qu'il y ait une part de chantage dans ces propos est évident.

 

Jacques Malterre - La crise des monnaies (le dollar en procès) (1972)

 

n°698
 

       Depuis que Maria m'a quitté pour aller dans une autre étoile, - laquelle Orion, Altaïr, et toi verte Vénus ? - j'ai toujours chéri la solitude. Que de longues journées j'ai passées seul avec mon chat. Par seul, j'entends sans un être matériel et mon chat est un compagnon mystique, un esprit. Je puis donc dire que j'ai passé de longues journées seul avec mon chat et, seul, avec un des derniers auteurs de la décadence latine; car depuis que la blanche créature n'est plus, étrangement et singulièrement, j'ai aimé tout ce qui se résumait en ce mot : chute.

        Ainsi, dans l'année, ma saison favorite, ce sont les derniers jours alanguis de l'été, qui précèdent immédiatement l'automne et, dans la journée, l'heure où je me promène est quand le soleil se repose avant de s'évanouir avec des rayons de cuivre jaune sur les murs gris et de cuivre rouge sur les carreaux. De même la littérature à laquelle mon esprit demande une volupté sera la poésie agonisante des derniers moments de Rome.

 

Stéphane Mallarmé (1842-1898) - Anecdotes ou poèmes (publiés en 1942)

 

n°697
 

       La scène à laquelle il est fait allusion où Jésus demande qu'on laisse venir à lui les petits enfants n'était pas absolument inconnue de l'iconographie ancienne. a partir de la fin du XVIIè siècle, cette scène revient souvent, surtout dans la gravure, et il est évident qu'elle correspond désormais à une forme spéciale et nouvelle de dévotion. Jésus est assis. Une femme lui présente ses enfants : des putti nus. D'autres femmes et enfants attendent.

       On remarquera que l'enfant est ici accompagné de sa mère : dans les représentations médiévales, plus conformes à la lettre du texte, qui ne frappait pas assez leur imagination pour les inciter à broder de leur cru, les enfants étaient seuls autour du Christ. D'autres, nus, s'amusent et luttent, le thème de la lutte des putti est fréquent à l'époque.

 

Philippe Ariès - L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime (1965)

 

n°696
 

       "Je suis né par autorisation spéciale du pape et du président de la République, aime à raconter Marcel Achard. Mon père avait épousé la fille de sa soeur.De sorte que mon grand-père était en même temps mon arrière-grand-père mon père, mon grand-oncle et ma mère ma cousine germaine." Marcel Achard a vu le jour le 5 janvier 1899 à Sainte-Foy-lès-Lyon, dans le Rhône, où son grand-oncle venait d'acheter un petit café-tabac. Mais sa vraie naissance date du 13 décembre 1918. Il débarque à la Gare de Lyon.

         Paris est pavoisé  (en l'honneur du président Wilson). Il a cinq cents francs en poche. Il porte un col en celluloïd et des lorgnons d'acier. Son premier achat, symbolique, est une grosse paire de lunettes d'écaille. A Lyon, il était pion A la conquête de Paris, il commence par se faire placier en papier carbone. Il se débrouille si mal qu'il n'a pas de quoi manger, n'ayant que ses griefs à remâcher et sa bile à ravaler.

 

Marcel Achard - Préface à Jean de la lune (1959) - (théâtre)

 

n°695
 

       Certains poètes ne se laissent pas enfermer aisément dans une catégorie précise : par exemple Charles Causley (né en 1917)  dont l'originalité éclate déjà dans Union Street (1957), tendre et ironique évocation de la vie d'une grande base navale, et surtout dans Johnny Alleluia (1961) où il se révèle un maître de la ballade populaire, mêlant à un réalisme familier un symbolisme à la Blake (Underneath the water, 1968).

       On songe aussi à Patric Dickinson (né en 1914) dont les nombreux recueils depuis The Seven Days of Jericho (1944) jusqu'à  This Cold Universe (1964) dévoilent une personnalité poétique rare, et qui affronte avec un serein courage les frustrations de la vie moderne. Fermement enraciné dans son Cumberland natal, Norman Nicholson (né en 1914) donne d'admirables descriptions de ce pays rude et montagneux dans lequel se déroule sa méditation.   

 

Albert-J. Farmer - Les écrivains anglais d'aujourd'hui (QSJ n°1208-1969)

 

n°694
 

       La mise en train fut brutale. Des notes, à longueur de journée. Des notes à propos de tout. Un coup de téléphone, une lettre, un disque, une information à la radio; et les idées jaillissaient. C'est dans cette atmosphère que je fis mes premiers pas dans le sanctuaire des Guitry. IL était très gentil. Elle était adorable. Ils me mirent vite à l'aise. Je ne tardai pas à devenir plus que la secrétaire, un peu la confidente.

      Je rangeais tout : papiers d'affaires, lettres personnelles. Je notais tous les documents qui me passaient par les mains pour mieux connaître la vie des lieux et pouvoir répondre aux multiples questions du Patron qui s'était habitué à moi comme si j'eusse toujours été là. Dufrény me bénit quand il s'aperçut que je voulais faire autre chose que taper à la machine. Nous organisâmes un véritable secrétariat. 

 

Fernande Choisel - Sacha Guitry intime (souvenirs de sa secrétaire) (1957)

 

n°693
 

       Nous pouvons nous faire une idée précise de ce que pouvait être l'initiation d'un jeune étudiant grec à chacune de ces sciences grâce à l'abondante série  de manuels que l'époque hellénistique nous a légués. Bien que, d'Archimède à Pappus et Diophante, les âges hellénistiques et romains  aient vu la science grecque accomplir encore de grands progrès, le trait dominant de cette période est constitué par un effort de mise au point, de maturation des résultats obtenus par les générations qui s'étaient succédées à partir de Thalès et de Pythagore. C'est alors que la science grecque atteint à cette forme parfaite qu'elle ne devait plus dépasser.

       Pour la géométrie, la science grecque par excellence, le grand classique est bien entendu Euclide dont les Eléments ont connu la gloire que l'on sait : directement ou indirectement, ils ont été à la base de tout l'enseignement de la géométrie non seulement chez les Grecs, mais chez les Romains et les Arabes, puis chez les modernes. (Jusqu'à une date récente, les écoliers britanniques ont continué à utiliser une traduction à peine retouchée des Eléments comme mauel de géométrie).

 

Henri-Irénée Marrou - Histoire de l'éducation dans l'Antiquité (1948)

 

n°692
 

       Je me suis rappelé la nuit du délire et aussi ce que tu m'as raconté des amours de ton enfance. Eh bien, sois ce que tu es par art aussi bien que par nature, selon les vers de Shakespeare. Lie-toi avec un homme ayant comme toi l'amour "du même". Abandonne l'opposition qui t'épuise. Sépare-toi de la morale et de ta famille. Tant pis pour moi, mon cher Jacques. - Impossible, mon bon, impossible. Et puis ce que j'ai pour toi je le garde, c'est l'amitié. - Mais un conseil, un ordre que l'on doit te donner : ne touche plus aux enfants.  -

      Si j'étais libre - Ton salut est à ce prix. - Mais je le veux, Luc, je le veux ! Honnêtement, Luc, je n'accepte pas cette chose. Elle est en moi. - Comment en toi? - C'est un autre que je connais bien, étranger à moi, et moi tout de même, tu comprends ? qui a la passion de cette chose. Il apparaît quand ça lui plaît, ou plutôt non, il n'apparaît pas... Moi je ne peux pas te dire ce que j'aime, si ce sont les hommes ou les femmes, je n'en sais rien.

 

Pierre Jean Jouve - Le monde désert (1960) - (roman)

 

n°691
 

       Une forme déguisée d'emprunt est constituée par les avances d'impôts qui permettent d'obtenir rapidement de l'argent frais en grande qauntité. Les prêteurs sont les fermiers des impôts indirects (taxe sur les grosses denrées, traite foraine...) qui traitent par baux. En 1584, le gouvernement demandant une avance massive, on décide de réunir, en une, cinq des fermes les plus considérables. Un bail unique englobe la douane de Lyon, les droits d'exportation dans les provinces de Normandie, Picardie, Champagne et Bourgogne, l'entrée sur les grosses denrées et celle des épiceries, enfin deux taxes "de l'intérieur", le sol pour livre pour la draperie et les cinq sous par muid de vin.

       Cet ensemble , dénommé les cinq grosses fermes, sera une des bases solides de l'édifice fiscal et douanier de la France du XVIIè siècle. La nécessité de prêter des sommes énormes à la monarchie - "l'Etat moderne naît affamé comme un Gargantua" dit Michelet - entraîne la formation d'une classe de grands hommes d'affaires et de banquiers le plus souvent Florentins. 

 

Georges Livet - Les guerres de religions (QSJ n°1016-1962)

 

 

 

 

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