qu'

MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

Page  17 

 

n°510
 

       Le gosse, l'air malin, hélas ! oreilles écartées, épi sur le sommet du crâne, l'avait regardé sans répondre. Pujol prenait conscience de l'incroyable aspect qu'était sans doute le sien : le chapeau aux plumes rouges était resté sur sa tête, ou il y avait remis inconsciemment ; sa barbe n'était rasée que d'un côté, et le sang coulait sur sa combinaison blanche.

        - Qui c'est, dis ?

       Il s'était approché du gosse, qui reculait. Menacer n'eut servi de rien. Et plus de chewing-gum.

        - Les républicains ou les fascistes ?

        On entendait un bruit lointain de torrent, et des cris de corneilles qui se poursuivaient.

        - Ici, avait répondu le gosse, regardant l'avion, y a de tout : des républicains et des fascistes.

 

André Malraux - L'espoir (1937) - (roman)

 

n°509
 

       Les représentations sensibles sont dans un flux perpétuel; elles se poussent les unes les autres comme les flots d'un fleuve et, même pendant le temps qu'elles durent, elles ne restent pas semblables à elles-mêmes. Chacune d'elles est fonction de l'instant précis où elle a lieu. Nous ne sommes jamais assurés de retrouver une perception telle que nous l'avons éprouvée une première fois; car si la chose perçue n'a pas changé, c'est nous qui ne sommes plus le même homme.

        Le concept, au contraire, est comme en dehors du temps et du devenir; il est soustrait à toute cette agitation; on dirait qu'il est situé dans une région différente de l'esprit, plus sereine et plus calme. Il ne se meut pas de lui-même par une évolution interne et spontanée; au contraire, il résiste au changement.

 

Emile Durkheim - Formes élémentaires de la vie religieuse (1912)

 

n°508
 

       Les figurines en terre cuite que l'on plaçait dans les tombeaux comme par le passé, nous donnent une image vivante de cette époque. Elles représentent de nombreux types ethniques étrangers: des chameliers, des palefreniers, envoyés avec les chevaux du tribut, des danseuses, des noirs d'Afrique, des initiés de diverses religions.

       Les motifs décorant les gourdes des pèlerins témoignent de fortes influences du Proche-Orient ; l'art boudhique s'inspire directement de l'Inde goupta. Il reste très peu de vestiges architecturaux de la période T'ang, hormis des pagodes octogonales en brique ou en pierre.

 

Everard M. Upjohn - Les arts de l'Orient et de l'Extrême-Orient (1949)

 

n°507
 

       Les frères-pareils sont retombés chacun dans son moule, qui est son frère-pareil. Mais cette plage n'est pas le lieu des amours ovales. Nous nous levons d'un seul mouvement. Nous sentons sous nos pieds des touffes piquantes de varech désséché, et lorsque nous trébuchons sur l'un de ces paillassons nous découvrons sa face humide d'où sautillent des puces de mer.

        La passerelle. Le sentier. La Cassine. Tout dort encore, si ce n'est que l'un des dortoirs de Sainte-Brigitte est faiblement allumé. La cambuse. Nos vêtements tombent de nous. L'oeuf. Nous nous enlaçons tête-bêche riant de nous trouver aussi salés. La communion séminale sera-t-elle consommée ou le sommeil aura-t-il raison de notre rituel ?

 

Michel Tournier - Les météores (1975) - (roman)

 

n°506
 

       Louis Jouvet, rencontré dans le hall est navré. D'abord, Madeleine Ozeray ne veut pas rentrer à Paris. Petite fille elle a connu les horreurs de l'invasion. Elle ne veut pas "les" voir. Ensuite, on interdit le théâtre de Giraudoux et celui de Jules Romains, ses plus beaux rôles. Alors Cortot, toujours bon frère, leur obtient une tournée en Amérique du Sud.

        On nous passe des tracts jetés par les Anglais. L'un dit : "De Gaulle n'est pas, comme on vous le raconte, un traître. C'est un bon Français qui veut sauver son pays. Les Américains lui donnent tout leur appui."  L'autre : "Nous allons venir bombarder Paris. Prenez avec vous trois jours de vivres. Un avion-sirène vous avertira."

 

Maries-Thérèse Gadala - A travers la grande grille (mai40-oct.41) (1946) - (journal)

 

n°505
 

       - Monsieur, je ne le saurais affirmer ; mais je le suppose. Les alentours de ce château sont particulièrement surveillés ; des agents d'une police spéciale sans cesse y rôdent. Pour ne point éveiller les soupçons, ils se présentent sous les revêtements les plus divers. Ces gens sont si habiles, si habiles ! et nous si crédules, si naturellement confiants ! Mais si je vous disais, Monsieur, que j'ai failli tout compromettre en ne me méfiant pas d'un facchino sans apparence, à qui j'ai simplement, le soir de mon arrivée, laissé porter mon modeste bagage, de la gare au logement où je suis descendu. Il parlait français, et bien que je parle l'italien couramment depuis mon enfance, vous auriez éprouvé sans doute vous-même cette émotion, contre laquelle je n'ai pas su me défendre, en entendant sur terre étrangère parler ma langue maternelle... Eh bien, ce facchino...

        - Il en était ?

        - Il en était.

 

André Gide - Les caves du Vatican (1922) - (sotie)

 

n°504
 

       Au sujet de l'âge, il est fréquent d'entendre dire que les personnes âgées sont plus sujettes à la constipation que les jeunes. A ce propos les docteurs Conte et Bourlière rapportent diverses observations : " Chez 133 sujets, de 60 à 83 ans, Portis relève 41 constipés habituels et 10 constipés occasionnels. De même Humphry, sur 900 sujets de plus de 80 ans, en retrouve 31% se plaignant de constipation. "

       Mais cette proportion, au premier abord impressionnante, se révèle analogue si on interroge systématiquement des sujets plus jeunes, des citadins sédentaires. La plupart des sujets âgés constipés observés par Sorter l'étaient en réalité depuis longtemps, la rareté des selles s'étant seulement accentuée à partir de la soixantaine. Il n'est donc pas sûr que l'âge soit un facteur de constipation.

 

Eric Nigelle - Comment défendre son intestin ou le rééduquer (1975)

 

n°503
 

       Il y avait cinq ans que cette belle femme était veuve. Jamais elle n'avait eu d'enfants ; elle les détestait, sorte de petite dureté qui, dans une femme, prouve toujours l'insensibilité : aussi pouvait-on assurer que celle de Mme de Clairwill était à son comble. Elle se flattait de n'avoir jamais versé une larme, de ne s'être jamais attendrie sur le sort  des malheureux. Mon âme est impassible, disait-elle ; je défie aucun sentiment de l'atteindre, excepté celui du plaisir. Je suis maîtresse des affections de cette âme, de ses désirs, de ses mouvements.

        Chez moi tout est aux ordres de ma tête ; et c'est ce qu'il y a de pis, continuait-elle, car cette tête est bien détestable. Mais je ne m'en plains pas : j'aime mes vices, j'abhorre la vertu ; je suis l'ennemie jurée de toutes les religions, de tous les dieux ; je ne crains ni les mots de la vie, ni les suites de la mort ; et quand on me ressemble, on est heureux.

 

Marquis de Sade - Les prospérités du vice (1800) - (roman)

 

n°502
 

       En se bornant à nous donner des images, rien que des images qui, au lieu de se succéder, s'associent, s'emboîtent se catapultent, se chevauchent, se mêlent, l'auteur brouille la réalité que ces images sont chargées d'exprimer, ruine cette réalité en tant que support. Quelle est la part ici de l'inventaire objectif, de celui du souvenir, de celui du rêve, de l'hallucination ? On se trouve placé devant un jeu de miroirs, sans doute bien réels, mais qui renvoient des images, et ne les produisent pas.

        Robbe-Grillet aboutit au résultat exactement contraire de celui qu'était chargé de produire sa théorie. Cette défaite d'un théoricien controversé est la victoire d'un romancier. Robbe-Grillet a fini par convenir qu'objectivité et subjectivité formaient les deux faces complémentaires de sa manière d'appréhender le monde et que l'excès de l'une pouvait se retourner en l'autre. 

 

Maurice Nadeau - Le roman français depuis la guerre (1970) - (essai)

 

 
n°501
 

       Robinson se tait, accablé. Il est sûr que ses yeux ne l'ont pas trompé. Il a bel et bien pris Vendredi en flagrant délit de fornication dans la terre de Speranza. Mais il sait aussi que, depuis longtemps déjà, il lui faut interpréter les faits extérieurs, aussi indiscutables soient-ils, comme autant de signes superficiels d'une réalité profonde et encore obscure en voie de gestation. En vérité Vendredi répandant sa semence noire dans les plis de la combe rose par esprit d'imitation ou par facétie, c'est un fait accidentel qui relève de l'anecdote au même titre que les démêlés de la Putiphar avec Joseph.

       Robinson sent se creuser de jour en jour un hiatus entre les messages bavards que la société humaine lui transmet à travers sa propre mémoire, la Bible et l'image que l'une et l'autre projettent sur l'île, et l'univers inhumain, élémentaire, absolu, où il s'enfonce et dont il cherche en tremblant à démêler la vérité.

 

Michel Tournier - Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967) - (roman)

 

n°500
 

       C'est assez curieux, la chance a voulu que deux pâtissiers se trouvent l'un vis à vis de l'autre. Au premier étage gauche loge une petite demoiselle. D'habitude elle se cache derrière une jalousie  couvrant le carreau où elle est assise. La jalousie est d'une étoffe très mince, et celui qui connait la jeune fille, ou qui l'a vue souvent, s'il a de bons yeux, pourra aisément reconnaître tous ses traits. Tandis que pour celui qui ne la connait pas et qui n'a pas de bons yeux, elle n'est qu'une silhouette sombre.

       Je suis plutôt dans ce cas, au contraire d'un jeune officier qui tous les jours, à midi précis, fait son apparition dans ces parages et regarde ladite jalousie. C'est elle, au fond, qui d'abord a attiré mon attention sur cette belle communication télégraphique. Les autres fenêtres n'ont pas de jalousies, et celle qui, toute solitaire, ne cache qu'un seul carreau, indique généralement que quelqu'un se trouve derrière elle.

 

Soeren Kierkegaard - Journal du séducteur (1843)

 

n°499
 

       Il y a d'ailleurs beaucoup de cas où le temps de l'objet est succession pure sans localisation temporelle. Si je me représente la course d'un centaure ou une bataille navale, ces objets n'appartiennent à aucun moment de la durée. Ils ne sont ni passés ni futurs ni surtout présents. Il n'y a de présent que moi réel en tant que je me les représente.

       Pour eux, sans attaches, sans rapports temporels avec aucun autre objet ni avec une durée propre, ils se caractérisent seulement par une durée interne, par le pur rapport avant-après, qui se limite à marquer la relation des différents états de l'action. Ainsi le temps des objets irréels est lui-même irréel.

 

Jean-Paul Sartre - L'imaginaire (1940) - (essai philosophique)

 

n°498
 

       Ils sont rentrés tard tous les trois, Bruno le dernier. Ils ont trouvé l'armoire blanche de la cuisine repeinte de frais. J'ai dit : "Elle me faisait honte." J'avais honte, en effet, depuis quelques heures. La soupe-au-lait chez moi tourne très vite ; mes rognes, immanquablement,  me retombent dessus et c'est même un des rares traits de mon caractère que j'apprécie un peu. J'ai réfléchi le pinceau en main.

       J'ai réfléchi, laissant goutter sur le carrelage des étoiles de Ripolin qu'il m'a fallu nettoyer, ensuite, à genoux. Bonne posture pour un pénitent. Il n'y a pas de doute, comme l'escapade de Bruno (et la phrase qui pour moi en résume le sens : tu m'aimes moins ), comme le bain forcé d'Anetz (et l'apostrophe de Mamette : Vous sautez sur Bruno, qui sait nager ), ceci et un avertissement. J'ai longtemps ignoré qu'il était devenu mon préféré. 

 

Hervé Bazin - Au nom du fils (1960) - (roman)

 

n°497
 

       Mirelha et la Miugrana ont fait accéder leurs auteurs, à travers un malheur vécu, à l'illumination : Mireille sacrifiée, Zanie perdue, Mistral et Aubanel aperçoivent plus clairement leur destin poétique. C'est ainsi que Mistral se découvre poète national et il va concevoir, en lui donnant son deuxième volet, le diptyque Mireille-Calendal.

        Le sacrifice de l'héroïne a créé une Provence élargie dans le temps et dans l'espace, plus vraie que la Provence réelle de 1830 : le pays de Calendal. La Provence maritime et alpine, la Provence historique sont parcourues en tous sens par le nouveau héros. Le Pan-Occitanisme de Mistral alimenté par l'amitié catalane grâce à Victor Balaguer, se donne libre cours.

 

Jean Rouquette - La littérature d'Oc (QSJ n°1039-1968)

 

n°496
 

      Etranges images. Elles représentaient une foule de choses. Pas des choses vraies, d'autres qui leur ressemblaient. Des objets en bois qui ressemblaient à des chaises, à des sabots, d'autres objets qui ressemblaient à des plantes. Et puis deux visages : c'était le couple qui déjeunait près de moi, l'autre dimanche, à la brasserie Vézelise.

       Gras, chauds, sensuels absurdes, avec les oreilles rouges. Je voyais les épaules et la gorge de la femme. De l'existence nue. Ces deux-là, ça me fit horreur brusquement, ces deux-là continuaient à exister quelque part, au milieu de quelles odeurs ? ... Je haïssais cette ignoble marmelade. 

 

Jean-Paul Sartre - La nausée (1938) - (roman)

 

n°495
 

       Les intentions très subtiles de Michel Butor aboutissent ici à un impressionnisme exacerbé. Il rappelle celui de certains textes de Blaise Cendrars, cet enivrement de la vitesse, d'une visite rapide du monde, un univers de panneaux publicitaires, de néon, un monde lu en lambeaux... On parvient au point où la lecture devient difficile, où la "traduction" et la communication du texte se font impossibles : Mobile ne signifie rien pour qui n'a pas visité à trois cents à l'heure les Etats-Unis...

        Dans ce texte très élaboré, mais sans complaisance et sans "pédagogie" , Michel Butor a voulu traduire directement, brutalement, une expérience incommunicable. Il refuse d'initier le lecteur au monde qu'il découvre, car il veut précisément, exprimer le choc que produit cette découverte.

 

R-M Albérès - Michel Butor (1964)

 

n°494
 

       Adolf Hitler, irrationnel, contradictoire, complexe, est un homme dont on ne peut prévoir les actes : de là son pouvoir et son danger. Pour des millions d'honnêtes Allemands, il est sublime, adorable ; il les remplit d'amour, de crainte et d'extase nationale. Pour beaucoup d'autres Allemands, il est étriqué et ridicule, c'est un charlatan, un hystérique qui a réussi, un démagogue menteur. Quelles sont les raisons de ce paradoxe ? Quelles sont les sources de son extraordinaire pouvoir ?

       Ce petit bonhomme avec ses moustaches à la Charlot, excitable, dormant mal, qui est la tête du parti nazi, commandant suprême de l'armée et de la marine allemandes, chef de la nation allemande, créateur, président et chancelier du IIIè Reich, est né en Autriche en 1889. Il n'est pas allemand de naissance. Voilà qui est très important, car son nationalisme s'en trouva très tôt enflammé. Il contracta le patriotisme implacable de l'homme de la frontière, de l'exilé.

 

John Gunther - Les pilotes de l'Europe (1936)

 

n°493
 

       Cependant, si cette technique a pour elle l'avantage de la simplicité, elle est lourde (solidaire d'une terrible inertie de travail dès l'instant qu'il s'agit de la mise en mouvement de pièces mécaniques, ce qu'on doit toujours éviter dans les techniques électroniques), faisant appel à des appareils compliqués et impotents, inacceptables si l'on entend réaliser des cerveaux qui devront être dotés de plusieurs centaines de mémoires.

       Avec l'avènement de l' E.N.I.A.C. , les constructeurs furent ainsi, dès le début, amenés à concevoir une méthode plus rationnelle, avec le recours aux mémoires sous ultra-sons. Les nombres étant représentés, nous le savons,  par des suites d'impulsions, l'idée consiste à contraindre ces suites à circuler indéfiniment en circuit fermé jusqu'au moment où on décidera de les utiliser.

 

Albert Ducrocq - Appareils et cerveaux électroniques (1952)

 

n°492
 

       Précédé de conversations entre les deux tendances, le congrès de 1953 marque un premier rapprochement : Tessier s'en va, Bouladoux le remplace, Georges Levard devient secrétaire général. Un compromis sur les structures, qui améliore la démocratie à l'intérieur de la centrale, est adopté par les délégués. Mais la réconciliation est de courte durée. L'attitude de la direction pendant les grandes grèves d'août est jugée sévèrement par la minorité, et les polémiques reprennent.

       Au congrès de 1955, les minoritaires sont exclus du ureau ; à celui de 1957, les heurts sont particulièrement durs. "Quel socialisme défendez-vous, lance Bouladoux à la minorité. Celui de Staline, de Kadar ou de Guy Mollet ?" A quoi il est aussitôt rétorqué  : "Et quelle morale chrétienne, celle de Franco, d'Adenauer ou de Salazar ?" Malgré la violence des attaques menées contre elle, l'aile gauche maintient ses forces.

 

Lucien Rioux - Clefs pour le syndicalisme (1972) - (essai)

 

n°491
 

       Pour tenir la distance sans éprouver de défaillance, il est nécessaire de prendre un petit déjeuner abondant : café, thé, confiture, fromage, oeufs, galettes. Pas de restriction. Manger jusqu'à l'empiffrement. Au "déjeuner", par contre, se contenter de fruits secs, de chocolat. Se munir de choses légères, sucrées, énergétiques. Ne pas s'alourdir, se laisser prendre au traquenard d'une lente digestion.

       Plus le marcheur est rapide, plus sa digestion est lente. Le malheureux sera victime, des après-midi durant, de renvois de saucisson, de sardines, de relents de charcuterie ou de conserves plus ou moins magouillées. Saucissoner, voilà le mal. C'est pire que de s'en mettre plein la panse.

 

Jacques Lanzmann - Fou de la marche (1985)

 

n°490
 

       De nombreux intellectuels jugent la télévision comme le cinéma, en la séparant des normes du loisir dans lequel elle s'insère. Ils analysent le contenu des émissions du point de vue d'une conception absolue de la Culture avec un grand C. Lorsqu'on cherche les fondements de cette conception plus ou moins explicite, on les trouve dans le système de valeurs et de connaissances qui est dispensé à une élite pendant le temps des études universitaires.

       Par rapport à cette "haute culture" , le contenu de la télévision apparaît mineur. Dans cette perspective, toute culture de divertissement se voit attribuer un caractère plus ou moins "décadent" . Huizinga a déjà critiqué ce point de vue. Dès 1930, il accusait la culture universitaire d'origine gréco-hébraïco-latine d'être restée étrangère aux valeurs du jeu.  

 

Joffre Dumazedier - Vers une civilisation du loisir ? (1962) - (essai)

 

 
n°489
      

      En vérité, j'aurais été curieux de rencontrer cette créature de rêve et de la traiter comme elle le mérite. Quelle femme est-ce donc que celle qui se prête à une telle manoeuvre ? Est-ce une niaise enfant  à qui l'on a fait la leçon, ou quelque effrontée qu'on n'a eu que la peine de payer et de mettre en campagne ? Mais il faut l'âme d'un plat valet pour n'avoir jugé digne de donner dans ce piège un instant.

       Et pourtant elle ressemble à celle que j'aime... et moi-même, quand je la rencontrais voilée, je crus reconnaître et sa démarche et le son si pur de sa voix... Allons, il est bientôt six heures de nuit, les derniers promeneurs s'éloignent vers Sainte-Lucie et vers Chiaia, et les terrasses des maisons se garnissent de monde... A l'heure qu'il est, Marcelli soupe gaiement avec sa conquête facile. Les femmes n'ont d'amour que pour ces débauchés sans coeur.

 

Gérard de Nerval - Les Filles du Feu (1854)

 

n°488
 

       En sortant de chez le surveillant général il se sentait de taille et d'humeur à saccager ce monde injuste. Ces colonnes dans la cour des cadets, ah! s'il se fût arc-bouté contre elles, il les eût tel Samson fait s'écrouler.  "Toujours les mêmes !". Toujours les mêmes à sortir premier, à réussir leurs examens, à serrer la main des prof' ! Toujours les mêmes qu'on citait en exemple ! Incapables de grimper à la corde lisse ou de dessiner le buste en plâtre de Marc-Aurel, bien sûr !

       Mais la gymnastique et le dessin, "ça ne compte pas ! Il se prit à détester les bons élèves : ceux qui vont à la Saint-Charl' et président des conseils d'administration et meurent munis des sacrements de l'Eglise ! Toujours les mêmes : "les bons à droite" à droite de Charlemagne, du Bon Dieu, du proviseur ! Toujours les mêmes !

 

Gilbert Cesbron - Notre prison est un royaume (1952) - (roman)

 

n°487
 

       Etrange folie ou intensité de l'âme, du désir ! Je supprime pour moi-même ce qu'au même moment j'atteins. Aujourd'hui, par exemple, j'attendais une lettre de X..., une seule, je ne dis pas seulement que j'attendais une lettre, je ne taisais rien d'autre depuis trois jours que de l'attendre ; rien ne comptait qu'elle, rien ne m'importait, rien ne pouvait m'attrister que de ne pas la recevoir ni me porter au comble de la joie que de la sentir là présente, quelle qu'elle dût être! Eh bien ! cette lettre qu'on venait de me remettre en même temps que trois autres, seule je ne la vis pas.

        Je lus lentement les trois autres avec un secret désespoir de l'absence de celle-là seule qui m'eût intéressé et ce n'est que longtemps plus tard que je l'aperçus où personne ne l'avait déposée que moi, sans que j'eusse réussi à la voir. Mon désir, l'intensité de mon désir me la cachait, tant il est vrai que trop d'âme nous dérobe les choses.

 

Marcel Jouhandeau - Algèbre des valeurs morales (1935) - (essai)

 

n°486
 

       Quand le chanvre est arrivé à point, c'est à dire suffisamment trempé dans les eaux courantes et à demi séché à la rive, on le rapporte dans la cour des habitations; on le place debout par petites gerbes qui, avec leurs tiges écartées du bas et leurs têtes liées en boules,ressemblent déjà passablement le soir à une longue procession de petits fantômes blancs, plantées sur leurs jambes grêles, et marchant sans bruit le lng des murs.

        C'est à la fin de septembre, quand les nuits sont encore tièdes, qu'à la pâle clarté de la lune on commence à broyer. Dans la journée le chanvre a été chauffé au four; on l'en retire, le soir, pour le broyer chaud. On se sert pour cela d'une sorte de chevalet surmonté d'un levier en bois, qui, retombant sur des rainures, hache la plante sans la couper.

 

George Sand - la Mare au Diable (1846) - (roman)

 

n°485
 

       L'enseignement des devoirs familiaux servira d'accompagnement à celui du patriotisme. Le maître n'aura pas de peine à montrer comment, dans le milieu restreint de la famille, les sentiments réciproques créent entre les parents et les enfants, les frères et les soeurs, des liens et des obligations solides. A moins de circonstances anormales, nous sentons fortement que la famille est le milieu dans lequel nous vivons pleinement. L'école n'a qu'à confirmer ces sentiments en les éclairant.

        Mais il y a plus. Par eux, l'enfant prend déjà conscience de la solidarité qui réunit tous les individus d'un même groupe. On ne manquera pas d'attirer son attention sur l'importance de la famille pour la prospérité  et la vie même de la Patrie, sur les devoirs impérieux qui en résultent, sur celui, notamment, pour chaque adulte, de fonder une famille et d'y entretenir comme une flamme sacrée.

 

F.Alengry - La philosophie du Maréchal Pétain (1943)

 

n°484
 

       Je parle de l'écrivain français, le seul qui soit demeuré un bourgeois, le seul qui doive s'accommoder d'une langue que cent cinquante ans de domination bourgeoise ont cassée, vulgarisée, assouplie, truffée de "bourgeoisismes" dont chacun semble un petit soupir d'aise et d'abandon. L'Américain, avant de faire des livres, a souvent exercé des métiers manuels, il y revient; entre deux romans, sa vocation lui apparaît au ranch, à l'atelier, dans les rues de la ville, il ne voit pas dans la littérature un moyen de proclamer sa solitude, mais une occasion d'y échapper.

        Il écrit aveuglément par un besoin absurde de se délivrer de ses peurs et de ses colères, un peu comme la fermière du Middle West écrit aux speakers de la radio new-yorkaise pour leur expliquer son coeur ; il songe moins à la gloire qu'il ne rêve de fraternité, ce n'est pas contre la tradition mais faute d'en avoir une qu'il invente sa manière et ses plus extrêmes audaces, par certains côtés, sont des naïvetés. 

 

Jean-Paul Sartre - Qu'est-ce que la littérature? (1948) - (essai)

 

n°483
 

       Walter se rendit à Fleet Street aux bureaux du Monde Littéraire , se sentant sinon précisément heureux, mais calme tout au moins, calme de la certitude que tout était maintenant arrangé ; tout, car au cours de l'éruption d'émotion de la nuit dernière, tout était venu à la surface. D'abord, il ne reverrait plus Lucy, plus jamais ; cela,  c'était définitivement réglé et promis, pour son bien, autant que pour celui de Marjorie.

        Et enfin, il demanderait une augmentation à Burlap. Tout était arrangé. Le temps lui-même semblait le savoir. C'était un jour de brume blanche tenace, si intrinsèquement calme que tous les bruits de Londres juraient  avec cette tranquillité. La circulation rugissait et se précipitait, mais sans parvenir à toucher au calme, au silence essentiel de la journée.

 

Aldous Huxley - Contrepoint (1928) - (roman)

 

n°482
 

       Il faut laisser à Klepp ceci : il a su garder ouverts les accès de toutes les opinions confessionnelles. Sa prudence, sa lourde chair luisante et son humour qui vit de hasards lui ont fourni une recette astucieuse pour mêler au mythe du jazz les enseignements de Marx.

        Si, un jour, un prêtre orienté à gauche, genre prêtre-ouvrier, traversait sa route et qu'il entretint une discothèque riche en musique de Dixieland, on verrait alors un marxiste  jazzomane recevoir les sacrements le dimanche et mêler l'odeur corporelle ci-dessus décrite aux émanations d'une cathédrale néo-gothique.

 

Günther Grass - Le tambour (1960) - (roman)

 

n°481
 

      Dans les régions abritées des influences océaniques, la vitesse moyenne du vent reste encore élevée au bord même des plages, surtout dans les parties les plus exposées, cap, centre des baies, mais elle diminue à l'intérieur des terres : Dinard 3.9m/s, Deauville 4.1m/s, Caen 4.4m/s et dans les parties abritées : port de Trouville, promenade du Clair-de-Lune  à Dinard. Les arbres poussent plus près du rivage.

       Les déviations des vents sont semblables, mais la brise de mer est plus fréquente. Elle pénètre jusqu'à 8 à 10 km de la côte dans la région de Dinard, elle souffle 1 jour sur 3 ou 5 selon la chaleur des étés à Caen (réchauffement rapide du sol calcaire sur lequel la végétation arborée est rare, côte rectiligne). Elle prend naissance entre 9 et 11h sur la côte, arrive à Caen-Carpiquet entre 12 et 14h, provoquant une diminution brutale de la température.

 

Gisèle Escourrou - Le climat de la France (QSJ n°1967-1982)

 

 

 

 

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