qu'

MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

Page  16 

 

n°480
 

       Le lendemain, Basini fut mis sous tutelle. Non sans quelque solennité. On choisit une heure de la matinée consacrée à la gymnastique en plein air, sur les pelouses du parc, heure qu'il n'était pas difficile de "sécher".

        Reiting prononça une espèce d'allocution, pas précisément brève. Il démontra à Basini que sa légèreté le condamnait, qu'il aurait dû être dénoncé et qu'il ne devait qu'à une grâce exceptionnelle d'éviter la honte d'un renvoi. Pendant toute cette scène Basini fut très pâle, mais il n'ouvrit pas la bouche, et jamais son visage ne trahit ce qu'il pouvait éprouver.

 

Robert Musil - Les désarrois de l'élève Törless (1965) - (roman)

 

n°479
 

       C'était la première phrase prononcée depuis que Roubachof était entré dans la salle , et, malgré le ton dégagé  du barbier, elle prenait une signification spéciale. Puis ce fut de nouveau le silence ; le garde debout dans l'embrasure alluma une cigarette ; le barbier tailla le bouc de Roubachof et lui coupa les cheveux  avec ses mouvements rapides et précis. Pendant qu'il se penchait sur Roubachof, ce dernier rencontra  un instant son regard ; au même moment, le coiffeur enfonça deux doigts  sous le col de Roubachof, comme pour atteindre plus aisément les cheveux sur son cou ; comme il retirait ses doigts, Roubachof sentit sous son col une petite boule de papier qui le chatouillait.

        Quelques minutes plus tard, sa toilette était terminée et Roubachof était ramené dans sa cellule. Il s'assit sur le lit, l'oeil fixé sur le judas pour s'assurer qu'on ne l'observait pas, retira le morceau de papier, l'aplanit et lut. Il ne contenait que trois mots, apparemment gribouillés en toute hâte : "Mourez en silence."

 

Arthur Koestler - Le Zéro et l'Infini (1945) - (roman)

 

n°478
 

       - Il doit venir manger de l'oie. Mais voici ce qu'il nous faudra faire : je suis certain qu'il viendra clamer pour son argent sur l'heure. J'ai imaginé un bon tour. Il faut que je me couche, comme si j'étais malade, dans mon lit. Et quand il viendra, vous direz : " Ah! partez bas! " et vous gémirez, en faisant pâle mine. " Hélas! " ferez-vous, " voici  deux mois ou six semaines  qu'il est malade! ". Et s'il vous dit : " Fadaises! Il arrive tout juste de chez moi! " , " Hélas! " ferez-vous, "ce n'est pas le moment de plaisanter! " Et laissez-moi lui jouer un air de ma façon, car il ne tirera rien d'autre de moi !

       - Par l'âme qui en moi repose, je jouerai très bien le rôle, mais si vous retombez encore dans un mauvais cas et si la justice s'occupe de nouveau de vous, ce sera, je le crains, deux fois pire que la première fois ! Souvenez-vous du samedi où l'on vous mit au pilori ! Vous savez que chacun cria contre vous à cause de votre tromperie.

 

? - La farce de Maistre Pathelin (1486)

 

n°477
 

       Il descendit donc, mais à peine avait-il rasé la moitié de sa figure, qu'une auto à toute vitesse arriva sur la terrasse de la Noue. Le Hic l'avait vue pénétrer dans le chemin des pruniers. Il devait même rester plusieurs jours pénétré d'admiration devnt la hardiesse avec laquelle elle avait pris son tournant et grimpé la côte. Il se trouva là pour saluer le Monsieur qui descendit en hâte de la voiture et lui dit :

          - Bonjour, mon petit ami. Je suis le préfet. Veux-tu courir avertir ton papa que j'ai quelque chose de très important à lui dire mais que je suis horriblement pressé : dans une demi-heure, à Tours, je préside une commission.

        Le Hic était de feu : c'est dans ces moments-là que c'est utile. Il bondit dans le cabinet de toilette et força son père à ne pas raser sa seconde joue.

 

René Benjamin - Les innocents dans la tempête (1947) - (roman)

 

n°476
 

       Daru installa deux couverts. Il prit de la farine et de l'huile, pétrit dans un plat une galette et alluma le petit fourneau à butagaz. Pendant que la galette cuisait, il sortit pour ramener de l'appentis du fromage, des oeufs, des dattes et du lait condensé. Quand la galette fut cuite, il la mit à refroidir sur le bord de la fenêtre, fit chauffer du lait condensé étendu d'eau et, pour finir, battit les oeufs en omelette.

        Dans un de ses mouvements, il heurta le revolver enfoncé dans sa poche droite. Il posa le bol, passa dans la salle de classe et mit le revolver dans le tiroir de son bureau. Quand il revint dans la chambre, la nuit tombait. Il donna de la lumière et servit l'Arabe : "Mange" dit-il. L'autre prit un morceau de galette, le porta vivement à sa bouche et s'arrêta.  -Et toi ? dit-il.    -Après toi. Je mangerai aussi. 

 

Albert Camus - L'exil et le royaume (L'hôte) (1957) - (nouvelles)

 

n°475
 

       Le lecteur croira peut-être qu'en découvrant ce qu'il y avait d'insolite en moi, je conçus un grand effroi de ce qui allait m'arriver. Mais non, mon nouvel état ne m'épouvantait pas. Tous les jours, je sentais ma volonté faiblir, absorbée, si l'on peut dire, par cette autre volonté qui croissait en moi avec lenteur.

        Tous les jours j'abandonnais un peu plus de place à cet être singulier qui m'avait déjà pris mon corps, ma voix, mes gestes, et qui voulait, de plus, mon coeur et mon cerveau. N'avais-je pas consenti à tout cela en acceptant de retenir en moi la pensée d'un crime ?

 

Julien Green - Le voyageur sur la terre (1930) - (roman)

 

n°474
 

       Elle est bien dupe, la femme que des noeuds aussi absurdes que ceux de l'hymen empêchent de se livrer à ses penchants, qui craint ou la grossesse, ou les outrages à son époux, ou les taches, plus vaines encore à sa réputation ! Tu viens de le voir, Eugénie, oui, tu viens de sentir comme elle est dupe, comme elle immole bassement aux plus ridicules préjugés  et son bonheur et toutes les délices de la vie.

        Ah! qu'elle foute, qu'elle foute impunément ! Un peu de fausse gloire, quelques frivoles espérances religieuses la dédommageront-elles de ses sacrifices ? Non, non, et la vertu, le vice, tout se confond dans le cercueil. Le public, au bout de quelques années, exalte-t-il plus les uns qu'il ne condamne les autres ?  Eh! non, encore une fois, non, non! et la malheureuse, ayant vécu sans plaisir, expire, hélas! sans dédommagement.

 

Marquis de Sade - La Philosophie dans le boudoir (1795)

 

n°473
 

       Tais-toi donc, ivrogne que tu es ! Croiriez-vous, prince, qu'il s'est maintenant mis en tête de devenir avocat ; il tourne au chicaneau, s'exerce à l'éloquence et fait des effets oratoires en parlant à ses enfants. Il y a cinq jours, il a plaidé en justice de paix. En faveur de qui ? Une vieille femme l'adjurait de la défendre contre un gredin d'usurier qui l'avait dépouillée des cinq cents roubles représentant tout son avoir. A-t-il défendu la vieille femme ?  Non : il a plaidé pour l'usurier, un juif du nom de Seidler parce que celui-ci lui avait promis cinquante roubles...

      - Cinquante roubles si je gagnais le procès, mais cinq seulement si je le perdais, rectifia Lébédev d'une voix tout à fait changée et comme s'il n'avait pas crié  un instant auparavant.

 

Dostoïevski - L'idiot (1870) - (roman)

 

n°472
 

       Avec les nids, avec les coquilles, nous avons multiplié, au risque de fatiguer la patience du lecteur, les images qui illustrent, croyons-nous, sous des formes élémentaires, peut-être trop lointainement imaginées, la fonction d'habiter. On sent bien qu'il y a là un problème mixte d'imagination et d'observation. L'étude positive des espaces biologiques n'est pas, bien entendu, notre problème.

        Nous voulons simplement montrer que dès que la vie se loge, se protège, se couvre, se cache, l'imagination sympathise avec l'être qui habite l'espace protégé. L'imagination vit la protection, dans toutes les nuances de sécurité, depuis la vie dans les plus matérielles coquilles jusqu'aux plus subtiles dissimulations dans le simple mimétisme des surfaces. L'ombre aussi est une habitation.

 

Gaston Bachelard - La poétique de l'espace (1957)

 

n°471
 

       L'après-midi, je descendis pour la rencontrer, je la trouvai menant une femme chez le directeur, je lui dis que j'allais l'attendre ; je l'attendis une grande heure et elle disparut avec affectation par un autre côté ; je redescendis et la fis demander, on me dit qu'elle était dans la salle ; elle avait donc disparu sans que je la visse ; je la fis prier de venir me dire un mot, on revint sur le champ me dire qu'elle n'y était plus mais qu'elle était chez Bernard ; j'y descendis, elle n'y avait pas mis le pied, enfin il devint clair qu'elle se jouait de moi et cela d'elle même  car Dumoustier n'était pas à la maison.

        Madame avait aussi eu une scène d'humeur, qui m'obligeait de l'envoyer chercher chez ses enfants ; elle et sa domestique avaient troublé deux fois ma méridienne, il est clair que c'était un jour de farce.

 

Marquis de Sade - Journal inédit (1814)

 

n°470
 

       Mais un quatrième document va nous donner une impression si parfaite de dématérialisation imaginaire, de décoloration émotive qu'on va vraiment comprendre, en renversant des métaphores, que le bleu du ciel est aussi irréel, aussi impalpable, aussi chargé de rêve que le bleu d'un regard. Nous croyons regarder le ciel bleu. C'est soudain le ciel bleu qui nous regarde.

       Nous empruntons ce document, d'une pureté extraordinaire, au livre de Paul Eluard : Donner à voir (p.11) : "Tout jeune, j'ai ouvert mes bras à la pureté. Ce ne fut qu'un battement d'ailes au ciel de mon éternité...Je ne pouvais plus tomber." La vie de ce qui n'a aucune peine à vivre, la légèreté de ce qui ne court aucun danger de tomber, la substance qui a l'unité de couleur, l'unité de qualité, sont données dans leur certitude immédiate au rêveur aérien.

        Le poète saisit donc ici la pureté comme une donnée immédiate de la conscience poétique. Le poète aérien connaît une sorte d'absolu matinal, il est appelé à la pureté aérienne "par un mystère où les formes ne jouent aucun rôle."

 

Gaston Bachelard - L'Air et les songes (1943) - (essai sur l'imagination du mouvement)

 

n°469
 

       Une fois de plus, il allait falloir abandonner la tactique habituelle aux armées régulières. Le désert de l'ouest, pouvait être assimilé à une mer sur laquelle on manoeuvrait avec des chameaux au lieu de bateaux. Le chemin de fer pourrait être l'objet de raids continuels et impunis, car les corps de méharistes ennemis étaient pour ainsi dire inexistants, et, de plus, ne sauraient où frapper.

        Lawrence avait appris, par expérience, que la meilleure tactique consistait à utiliser un effectif  réduit monté sur d'excellents chameaux et à attaquer des points très espacés en se servant du matériel le plus facile  à transporter :  explosifs ou armes automatiques. Une "Lewis" en effet, pouvait se manoeuvrer sur le dos d'un chameau allant à un train de dix-huit milles à l'heure. Il réclama donc des armes automatiques et des explosifs à l'Egypte. 

 

Robert Graves - Lawrence et les Arabes (1927)

 

n°468
 

       Cette section de la rue Bonaparte est l'ancien lit d'un petit bras mort de la Seine, appelé  la Noue ou la Petite Seine , aménagé, au XIVè siècle, en canal pour amener l'eau de la rivière dans les fossés de l'enceinte  de l'abbaye. Ce canal séparait le petit Pré-aux-Clercs, situé à l'est, du grand Pré-aux-Clercs, situé à l'ouest ; le premier était la propriété de l'abbaye ; le second , bien plus vaste puisqu'il s'étendait jusqu'aux abords de notre Hôtel des Invalides, était celle de l'Université, les étudiants de la montagne Sainte-Geneviève venaient y prendre leurs ébats (le nom de la rue de l'Université porté par une rue de ce quartier rappelle ce souvenir). En 1468, l'abbaye céda le petit Pré-aux-Clercs à l'Université.

 

Jacques Hillairet - Connaissance du vieux Paris (1956) - (guide)

 

n°467
 

      - Moi, je vais vous demander quelles auraient été les conséquences morales de la politique contraire. Voici la question que je voudrais poser. C'est, en effet, le choix qui se posait devant un chef de gouvernement. Je vois, d'un côté, un certain nombre d'heures perdues, dont j'ai essayé de mesurer l'effet positif, direct. De l'autre si, dans des circonstances pareilles, aussi périlleuses, aussi dramatiques, j'avais pris, ou si M.Sarraut, mon prédécesseur - puisque j'ai trouvé cette politique déjà entièrement engagée - huit jours auparavant, avait pris l'initiative contraire, nous serions allés au plus grave des conflits sociaux et, je le répète, comme conséquence fatale, à la guerre civile. (Interrogatoire de Léon Blum)

 

Mazé / Génébrier - Le Procès de Riom (1945)

 

n°466
 

       Father Watts-Watt stood in the open door, his hand on the switch. The light shone at me from his knees and his eyes and his swinging bulb moved all the shadows  of the room in little circles. For a time we looked at each other through this movement. Then he seemed to pull his eyes away from me and look for something in the air over my bed.

       "Did you call out, Sam?" I shook my head without saying anything. He moved away from the door, watching me now, trailing his right hand behind him on the switch and then letting it go consciously, like a swimmer who takes  his feet off the sand and knows now  he is out of depth. 

 

William Golding - Free Fall (1959) - (roman)

 

n°465
 

       - Le nom de votre père ?

       - Le nom de mon père ? Le nom de mon père ? Il s'appelait, je ccrois, je n'en suis pas du tout sûr, il s'appelait... Non, vraiment, je ne m'en souviens pas.

      - C'est ennuyeux.

       - J'avais les papiers, avec les noms, dans l'autre valise.

       - Mettez un point d'interrogation sur le livret que vous lui faites, ça arrangera tout.

       - Inutile, je pense, de vous demander le nom de votre mère.

       - Mon père l'appelait tantôt Ursule, tantôt Elise, tantôt Mariette, tantôt Blanche.

       - Mettez Jeanne, c'est plus vraisemblable.

       - Pour vous aider. Quel est votre âge ?

       - Ah! monsieur le Consul, si vous pouviez me me le dire, je voudrais bien le savoir.

        - Mettons " âge indéterminé ".

 

Eugène Ionesco - L'homme aux valises (1975) - (théâtre)

 

n°464
 

       Elle raccroche le récepteur et prend une cape de pluie dans le placard. L'odeur de fourrure, de naphtaline et d'étoffes la prend à la gorge. elle relève le châssis de la fenêtre et respire à pleins poumons l'air humide plein de la froide pourriture de l'automne. Elle entend le grondement d'un grand paquebot sur la rivière.

        Obscurément, terriblement loin de cette vie absurde, de cette lutte futile, idiote.  Un homme peut épouser un bateau mais une femme !... Le téléphone égrène son tremblement, sonne, sonne. Le timbre de la porte vibre en même temps. Elle presse le bouton qui fait déclencher le loquet.  

 

John Dos Passos - Manhattan Transfer (1925) - (roman)

 

n°463
 

       Messieurs, je vous répète que votre enquête est inutile. Détenez-moi à vie si vous voulez, emprisonnez-moi, exécutez-moi si vous avez besoin d'une victime pour satisfaire l'illusion que vous appelez justice : je ne peux rien ajouter à ce que je vous ai déjà dit. Tout ce dont je puis me souvenir, je vous l'ai rapporté avec la plus parfaite sincérité. Rien n'a été déformé ni dissimulé et sii quelque chose dans mes propos demeure vague, c'est à cause de cette amnésie démoniaque qui s'est abattue sur mon esprit. A cause d'elle et de l'horreur souterraine qui a fait fondre sur moi ces malheurs.

       Je vous le dis encore, je ne sais ce qu'est devenu Harley Warren. Je pense pourtant - j'espère presque - qu'il repose dans un oubli paisible, si toutefois pareil bonheur peut exister quelque part.

 

H.-P. Lovecraft - Démons et merveilles (1955) - (roman fantastique)

 

n°462
 

       Notre-Dame s'était assis sur le lit. Il se faisait à l'odeur. Pendant que Divine préparait le thé, il délaçait ses souliers. Les lacets étaient noués.  0n peut penser qu'il s'était chaussé et déchaussé sans lumière. Il quitta son veston et le jeta sur le tapis. L'eau allait bientôt bouillir. Il s'efforça d'enlever d'un coup chaussettes et souliers, car il suait des pieds et craignait que cela ne se sentit dans la chambre.

        Il ne réussit pas complètement, mais ses pieds ne sentaient rien. Il se retenait pour ne pas jeter un regard sur le nègre, il pensait : "C'est à côté de Boule de Neige  qui va falloir que j'ronfle ? Y va décaniller, j'espère ? " Divine n'était pas très sûre de Gorgui. Elle ignorait s'il n'était pas un des nombreux mouchards de la Mondaine.

 

Jean Genet - Notre-Dame-des-Fleurs (1948) - (roman)

 

n°461
 

       Il fut heureux pour moi que j'eusse à prendre des précautions pour assurer (autant qu'il était possible) la sécurité de mon redoutable visiteur ; car cette pensée, en s'imposant à moi dès mon réveil, rejeta toute autre préoccupation dans un arrière-plan lointain.

        Il était évident que je ne pouvais le garder caché dans l'appartement sans provoquer inévitablement des soupçons. Je n'avais plus, il est vrai, de Vengeur à mon service, mais j'étais servi par une vieille femelle irritable, assistée d'un vivant paquet de haillons  qu'elle appelait sa nièce ; leur défendre l'accès d'une pièce eût été éveiller leur curiosité et leurs folles imaginations.

 

Charles Dickens - De grandes espérances (1861) - (roman)

 

n°460
 

       Jésus-Maria avait coutume d'aller tous les jours à la poste, d'abord parce qu'il pouvait y rencontrer beaucoup de gens de connaissance, ensuite parce que le courant d'air qui soufflait en permanence à l'angle du bureau de poste lui permettait de voir les jambes d'un grand nombre de filles. On ne doit pas supposer qu'il y ait la moindre vulgarité dans cet intérêt. On pourrait aussi bien critiquer un amateur de galeries d'art ou de concerts. Jésus-Maria aimait regarder les jambes des filles.

        Un jour qu'il venait de passer deux heures appuyé au bureau de poste sans grand succès, il fut le témoin d'une scène pitoyable. Un policeman poussait devant lui sur le trottoir un jeune garçon de seize ans environ ; et ce garçon portait dans ses bras un bébé enveloppé dans un morceau de couverture grise. 

 

John Steinbeck - Tortilla Flat (1935) - (roman)

 

n°459
 

       Je ne connais pas M. Marcel Dassault. Il évolue, au propre comme au figuré, à des altitudes qui ne sont pas à ma portée. Et les rares fois que j'ai pu le découvrir en chair et en os, il était tellement emmitouflé dans ses cache-nez que j'ai cru qu'il s'agissait de l'homme invisible. J'éprouve donc à son égard et de très loin, l'admiration circonspecte qu'on doit aux génies polyvalents qui ont gagné sur tous les tableaux.

        Marcel Dassault me semble être la dernière réincarnation de Midas : tout ce qu'il touche devient immédiatement de l'or. Lui-même arbore depuis longtemps le teint jaunâtre de ceux qui se sont trop longtemps penchés sur le métal précieux.

 

Philippe Bouvard - Un oursin dans le caviar (1973)

 

n°458
 

       Estragon's boots front center, heels together, toes splyed. Lucky'hat at same place. The tree has four or five leaves. Enter Vladimir agitatedel. He halts before the boots, picks one up, examines it, sniffs it, manifests disgust, puts it back carefully. Comes and goes. Halts extreme right and gazes into distance off, shading his eyes with his hand. Comes and goes. Halts extreme left, as before. Comes and goes. Halts suddenly and begins to sing loudly. "A dog came in..." Having begun too high he stops, clears his throat, resumes.

 

Samuel Beckett - Waiting for Godot (1952) - (théâtre)

 

n°457
 

       - O ma petite Lia, si nous nous étions choisis nous-mêmes, nous aurions le droit de nous séparer, mais nous sommes descendus l'un vers l'autre du plus haut de notre enfance et des desseins de Dieu. Ne soyons pas modestes. Dieu de nous a voulu faire un couple. Connais-tu une femme et un homme aussi nettement élus dans l'accord et dans l'harmonie ? Nous avons été copiés sur les contours du premier couple et dans tous les détails. Ma main est la main de ton mari, et pas une autre. Elle est la main de ta main. Ma tête est la tête de la tienne. Et ma bouche et ma voix. Et sur cette balance des êtres qui les jauge non d'après leur masse mais d'après leur équivalence, nous pesons le même poids, à une once près. Et dans cette fulguration, qui éclaire les êtres selon leur huile et leur essence, si nous n'avons pas la même couleur, nous avons la même lumière.

 

Jean Giraudoux - Sodome et Gomorrhe (1942) - (théâtre)

 

n°456
 

       Courteline n'est pas de ces auteurs privilégiés qui écrivent comme ils respirent ; il a le travail lent, pénible même. Il disait souvent :

         - Une phrase, on croit que c'est facile ! Quand elle n'a qu'un sujet, un verbe et un complément, c'est l'enfer !

       Et il ajoutait :

         - J'ai mené une vie de chef de gare. Vous les avez vus, les chefs de gare ? Ils prennent un wagon ici, un autre là ; ils sifflent et ça part. Moi, je prenais un mot ici,  un autre là, un autre ailleurs ; j'attelais, je sifflais... et ça déraillait !

       Est-ce un mal ? Pas nécessairement. La facilité n'a d'intérêt que pour l'artiste lui-même ; qu'il produise en se jouant, comme le rosier donne des roses, ou qu'il sue à la besogne ainsi qu'un galérien, cela ne regarde que lui ; la postérité ne se demandera pas si l'ouvrage fut écrit en six mois ou en dix ans, elle le jugera sur ce qu'il est.

 

Albert Dubeux - La curieuse vie de Georges Courteline (1965)

 

n°455
 

       L'auto fut reléguée au garage, avec une vieille toile à matelas par-dessus pour la protéger des poussières. A la fin de novembre, les premiers grands froids apparurent. Dans la propriété du père Toubens, les piquets à chapeaux disparaissaient presque sous les feuilles mortes. Chaque matin les élèves arrivaient à l'école les joues rouges et la goutte au nez. Et puis, un jour, la température devint plus douce. La bise s'arrêta de souffler. On eût dit qu'un évènement exceptionnel se préparait dans le ciel gris.

        Vers trois heures de l'après-midi, mon père relisait lentement la dictée quotidienne et le poêle qui ronflait créait une délicieuse impression de confort quand tout à coup sans bruit, l'évènement se produisit. Ce ne furent d'abord que  quelques gros flocons indécis qui fondirent en arrivant sur le sol...

 

Jean L'Hote - La communale (1957) - (souvenirs)

 

n°454
 

       Il existe plusieurs procédés de représentations du relief  : représentation à l'effet et estompage (carte de Cassini)hachures (carte d'Etat-Major), isohypses ou courbes de niveau (carte de France au 1/20 000 en cours d'exécution et cartes dérivées,  1/50 000 en particulier). Les représentations à l'effet et l'estompage sont du ressort du dessinateur-cartographe, plus que celui du topographe.

        La méthode des hachures consiste à représenter le relief  par des traits suivant la ligne de plus grande pente, avec une longueur correspondant à une dénivelée fixée  et un écartement qui est le quart  de la longueur : cette méthode est suggestive à condition de comporter de nombreuses cotes.

 

Pierre Merlin - La topographie (QSJ n°744-1964)

 

n°453
 

       Un matin de vacances, Delphine et Marinette s'installèrent dans le pré, derrière la ferme, avec leurs boîtes de peinture. Les boîtes étaient neuves. C'était leur oncle Alfred qui les leur avait apportées la veille pour récompenser Marinette d'avoir sept ans, et les petites l'avaient remercié en lui chantant une chanson sur le printemps. L'oncle Alfred était reparti tout heureux et tout chantonnant, mais il s'en fallait que les parents eussent été aussi satisfaits.

       Ils n'avaient pas cessé de ronchonner pendant le reste de la soirée : "Je vous demande un peu. Des boîtes de peinture : est-ce qu'on fait de la peinture nous ? En tout cas, pour demain matin, il n'est pas question de peinturlurer. Pendant que nous serons aux champs, vous cueillerez des haricots dans le jardin et vous irez couper du trèfle pour les lapins." 

 

Marcel Aymé - Les contes du chat perché (1939)

 

n°452
 

       Là où des couches perméables profondes absorbent  une partie des eaux de pluies, la nature ou l'absence de la végétation ne paraissent pas influencer beaucoup l'abondance des nappes  et le régime des sources.  Il n'en est pas de même dans les terrains imperméables et surtout dans ceux des régions accidentées.  La forêt, en maintenant un sol assez épais et en le perforant par ses racines, entretient des nappes superficielles bien plus abondantes et durables qu'en des régions dénudées. En maint endroit, lors des sécheresses, elle empêche les sources et les ruisseaux de tarir.

 

Maurice Pardé - Fleuves et Rivières (1933)

 

n°451
 

       Les plantes ligneuses ornementales comprennent aussi bien des arbustes, des arbrisseaux que des arbres, aussi leurs origines sont-elles très diverses. Ce sont surtout les espèces à caractère d'arbuste ou d'arbrisseau provenant des régions tempérées de type océanique ou méditerranéen que nous étudierons ici. Bon nombre de ces espèces sont indigènes.

       La plupart des plantes ligneuses peuvent être reproduites par multiplication asexuée (bouturage, marcottage, greffage) plutôt que par semis, car les plantes ligneuses issues de semis demandent beaucoup de temps pour atteindre l'âge adulte.

 

André Perrichon - Plantes de balcon et de terrasse (1976)

 

 

 

 

Pages   15   16   17 

 

Sommaire  MAGALMA