TOM REG    "Mini-contes drolatiques ou déroutants"     page 26 

 

Prolongements labyrinthiques de la page en cours (Sous-espaces confinés)

 

n° 248.....

... Et ce n'était pas la dernière!...Vous avez immédiatement refermé la porte derrière vous...il a eu le temps d'apercevoir un bureau, le vôtre probablement...c'était le seul du couloir dont le petit cadre pour l'étiquette était vide ...Qui étais-je pour avoir fait une chose pareille ?...Laissez-moi continuer...Vous avez disparu tout de suite après rappelez-vous ou plutôt vous n'avez pas rouvert votre porte de la journée...Je suis sorti plus tard ou par la fenêtre, je donnais sur un patio, de là... du reste, les bureau d'autres collègues autour donnaient aussi de même, ils m'ont bien vu au moins une fois !... Ils vous ont vu baisser votre store presque tout de suite oui, après cela plus rien, plus rien du tout !... le soir, comme votre porte était fermée à clé, on a cru que vous étiez parti...songez tout de même qu'aucun de vos collèges d'étage ne fermait jamais sa porte qu'il fût là ou non ! ...Chaque soir, la fermeture à clef de leurs tiroirs, armoires et fichiers roulants leur suffisait amplement!...Pourquoi vous, alors que rien ne vous destinait à venir dans cet endroit pour y disparaître aussitôt, avez-vous manœuvré de la sorte ?...Aucune manœuvre ni manigance de ma part monsieur le Surveillant Général...Je ne suis pas votre surveillant général, je suis votre ancien Inspecteur Principal du temps de vos débuts justement, il y a trop longtemps, vous ne pouvez pas vous rappeler, j'ai moi-même beaucoup changé, j'animais un stage rue d'Amsterdam ou d'Aboukir je ne sais plus, sur les Successions et les Donations entre Vifs...Vous étiez venu une fois ou deux, cela vous avait beaucoup intéressé semble-t-il, vous étiez revenu même une troisième fois en plein été au milieu de l'après-midi passablement échauffé, en chantonnant ! Vous ne vous souvenez pas ! Comment cela se peut-il ? Vous aviez promis de revenir dès le lendemain mais c'était le dernier jour du stage !...Et oui je suis devenu aussi avec le temps votre voisin à quelques escaliers du vôtre, sur la gauche là depuis presque trente ans à présent et moi-même à la retraite depuis quinze années ! Vous ne m'aviez pas reconnu certainement !...Non je ne me souviens pas très bien...c'est la première fois que je vous vois...vous étiez venu pour me parler de ce voisin là-haut dans son petit coin tout près du ciel...Oui presque aussi haut que la chapelle du Château !... on avait dû abaisser les fondations de l'immeuble pour ne pas dépasser cette cote !... Je sais, il n'éteint jamais ! ...je regarde longtemps sa lumière briller dans la nuit...C'est peut-être pour vous qu'il fait cela ! Allez le voir, lui seul ici est sans doute en mesure de vous apprendre des éléments déterminants sur vous-même ! ...Mais peut-être que je veux continuer d'ignorer pour une raison qui m'échappe... je ne veux pas savoir tout cela, je choisis l'oubli anticipatif ! ...tenez, je requiers l'amnésie prémonitoire !...cela doit bien exister dans votre tribunal!

....Oh oui, c'est le recours ultime des grands radoteurs de soi ! Et c'est en effet la seule procédure qui puisse peut-être jamais les sauver en fin de compte réellement d'eux-mêmes !...Mais oui, d'où chez moi, ce tohu-bohu intérieur, cet engorgement de souvenirs pour rien, et même ces prémonitions d'évènements passés depuis longtemps ou devenus sans objet, dérisoires, mais toujours actives...une fois de plus il ne se passera rien !...C'est vous qui passerez, je connais la chanson...vous êtes fichu, plus personne ne croira à vos boniments !...réintégrez votre corps d'origine, si cela vous est possible, c'est le seul moyen !..Il paraît que je suis déjà à la retraite...comment cela se fait-il, je venais seulement de commencer...il doit y avoir une erreur ou un malentendu...on a dû se tromper de dossier, on m'aura installé dans un paillé en sous-pente où je n'avais guère de chance de m'épanouir, de progresser...Vous aviez encore la possibilité de préparer tous les concours et de mieux  en apprendre par cœur les programmes de par la sonorité du lieu et sa lumière, un demi-jour je crois...d'autres étaient plus mal lotis et s'en sont tout de même sortis avec des points en plus et surtout le  redressement à l'amiable de leurs carrières ou cursus !...On ne savait plus où vous étiez, vous auriez pu vous montrer de temps à autre tout de même !..Oui, je me suis retrouvé dans un curieux local avec un soupirail, situé je pense très haut dans les étages de cet immeuble même, ou alors c'est par un souterrain, comblé depuis, que j'y parvenais...mais ça fait si longtemps que j'ai du mal à me figurer tout cela...il me faudrait, oui, il me faudrait recommencer, depuis le début!     

.....Vous avez remarqué, au dos du document qui vous a échu ou fini par vous échoir on ne sait comment ni par quel miracle d'une conjonction atmosphérique rare et d'un de ces courants d'air impossibles, au crayon, le décompte de votre pension...cela me paraît bien compliqué m'enfin, il semble que allez bénéficier d'une sorte de péréquation sur votre indice final dévalorisé !...regardez, vos augmentations seront négatives,vous allez diminuer tout le temps...Cela continue alors!...quand donc ai-je commencé exactement ?...reprenons depuis le début...Reprendre quoi ?... à chaque fois qu'on vous a changé d'affectation, vous vous êtes retrouvé seul dans un local toujours plus petit comme vous l'aviez demandé!...J'assurais ainsi ma défense...car les locaux qui entouraient le mien étaient eux de plus en plus vastes et désolés !...Il est exact qu'on a fini par ne plus très bien savoir où vous étiez ou même tout simplement si vous étiez bien là, c'est à dire toujours dans le domaine du centre...Pour moi, à la fin, ce domaine était partout...On vous avait installé un moment dans l'arrière-boutique d'un boulanger et même dans la salle d'attente d'un praticien au moyen d'un simple paravent qui vous rendait dans un coin indécelable pour la clientèle...On m'avait même institué travailleur-marcheur dans les rues avec une sorte de plateau-écritoire retenu par une sangle sur le cou !...Oui patte-peton mais cela n'a eu qu'un temps, c'est une catégorie qui n'aura fait que passer !...Comme je passais ! Fier comme une ouvreuse qui à l'entracte autrefois vendait des esquimaux, avec même ce léger crissement du panier, et pourtant ce n'était pas du cinéma, j'étais censé pouvoir travailler ainsi réellement aussi bien que dans un bureau ! ...Vous faisiez pitié déjà...et pourtant vous n'étiez pas tout seul dans cette situation, dans d'autres arrondissements, d'autre quartiers, des collègues d'infortune connaissaient le même sort !...Je n'aurai donc jamais obtenu quoi que ce soit ni de moi-même ni des autres ! ...tant que je me suis cru seul dans les rues, j'étais heureux...Mais vous en avez un beau jour aperçu un déambuler ! ...Et j'ai bien cru que c'était moi ! ... Jusqu'à ce que l'Administration use à votre égard d'autres procédures et consignations !...Un jour qu'il neigeait je me suis retrouvé bien au chaud dans une salle d'attente !... je n'y comprenais rien...je n'avais rien à y faire précisément, chez un notaire ou un dentiste je n'ai jamais su, mais je m'y suis senti bien et m'y suis mis à travailler !...Vous recommenciez à faire ce que vous vouliez et c'était bon signe évidemment !...Tous mes documents étaient encore sur ma tablette...Que vous teniez désormais sur vos genoux...Exactement !... La courroie suspensive m'en tombant toutefois encore sur les chaussures...C'est tout ce qui subsistait du "patte-peton" en vous...à toute chose convient sa rémanence!...Je ne savais toujours pas qui j'étais...après toutes ces années à me morfondre, à essayer de me souvenir d'une véritable vocation, très active autrefois, mais comme dissoute par la dégénérescence rêveuse à laquelle j'abandonnais mon esprit dans  ces renfoncements paillés, pentus, de demi-jour, à lucarne ou soupirail, et pourtant encore trop grands ou trop lumineux pour moi  !...Vous n'aviez déjà plus toute votre tête...Je suis resté trop longtemps dans des prémices, croyant que le reste allait suivre...automatiquement !...Vous aviez commencé de vous tromper...de vous tromper vous-même !...on vous avait donné toutes vos chances, vous n'avez pas su les saisir...           

...... Vous aurez eu une existence d'errant cloîtré...Dedans, vous étiez dehors ! Dehors, vous étiez dedans ! Tel aura été votre lot...Mais c'est bien vrai ? Vous n'avez vraiment rien vu ? Jamais rien vu passer ? Jamais rien vu...du tout ?...Je suis resté trop souvent dedans me croyant dehors et réciproquement c'est vrai mais qui n'en a pas fait au moins une fois autant ?...Personne cher ami, et vous êtes là une fois de plus en parfaite ignorance de cet état très particulier, pour ne pas dire unique, où vous vous êtes trouvé sans apparemment toujours vous en rendre compte...D'où cela vient-il ? Provient-il ? ...Ai-je manqué quelque chose ? Faute de m'être attendu à la longue à voir venir enfin quelque chose ?...Bon laissons cela pour l'instant...Voilà, afin de toucher en entier la part flottante de votre minuscule pension qui n'en est du reste pas une et vous savez pourquoi, et avant de vous élancer, sans doute encore en pantoufles, vers ces hauteurs d'étages que vous apercevez  en face de chez vous, qui  à la fois vous attirent et vous dépassent, et que vous n'atteindrez probablement jamais, vous devez répondre à cette question...Depuis quand vous cachez-vous ?..Et bien, exactement depuis que mes voisins ont cru que c'était le cas...Rien avant ?...Non, rien de cela auparavant...Alors ?... Alors, je m'y suis mis ! Ils m'ont en  fait  tout simplement révélé la nature exacte, et justement cachée pour moi, de ce que j'avais à faire...Voyez-vous en réalité, je n'ai jamais aimé contrarier ou  simplement contredire les gens de mon entourage...Mais je n'ignorais pas cet étonnant paradoxe selon lequel plus on se cache plus on se montre, ou plus exactement, plus on est vu !  Et cela me rappelle la réponse cinglante d'un ami auquel j'avais presque naïvement confié que je n'aimais pas qu'on me regarde..."Mais tu aimes être vu!"(sic)...   

 

 

n° 250......

...Oui enfin parlons peu mais parlons bien, s'il a cru perdre déjà plusieurs fois cette fameuse carte, et qu'il chercherait donc à retrouver, c'est que ce n'était pas tout à fait celle-là mais le modèle en quelque sorte antérieure ou provisoire, la plus petite distinction dans le domaine des longues demeures en un même lieu, la version décennale plus précisément, le premier grade en quelque sorte dans cette distinction (qui est peut-être tout ce qui reste de l'ancienne légion d'honneur) et donc encore bien loin de la carte représentant la vénérable distinction dans toute sa plénitude, attestant de cet inestimable immobilisme, de cette permanence, patience, entêtement à avoir demeuré toute sa vie au même endroit  ! Autrement dit il devrait faire vite s'il voulait, des fois ou aucune, remporter cette sorte de saladier d'or de l'abandon, cette suprême reconnaissance de l'engluement et du scotchage en matière d'habitation et de changement de domicile !Du reste une fois il avait cru avoir réellement déménagé : il était encore en vacances ! Il n'avait fait que les prolonger ! Certes d'une manière à ce point inhabituelle que ce séjour dans les Dolomites (ou dans ce qui lui en tenait lieu un peu après le pont de Porchifont pas très loin  de chez lui, une ancienne carrière) qu'il lui avait semblé avoir peut-être enfin réussi à s'échapper de son décor de tous les jours, de tous les mois et de toutes les années! Mais non il avait toujours ses valises, deux, une dans chaque main et s'en allait à la recherche d'une gare dont il ne savait plus si c'était pour rentrer ou pour s'éloigner encore un peu avant de revenir définitivement...En attendant, son ombre le soir lui disait assez qu'il était peut-être bien devenu effectivement l'homme aux valises...et pour toujours ! Comment savoir ? Une dans chaque main, il avait peut-être enfin trouvé son équilibre...Certes, elles ne semblaient pas lourdes (étaient-elles vides?) mais cela lui suffisait...Vides ou pas, elle lui assurait le statut de grand vacancier permanent ! C'est en traversant la salle des pas perdus à St-Lazare qu'il s'en rendit compte...C'est, il est vrai, un endroit de grande partance.....

 

 

 

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