TOM REG    "Mini-contes drolatiques ou déroutants"     page 26 

 

n° 248        Ressorts et ressorties ( ou   Déjà plus de poussière ! ) 

 

                    -"Alors ça y est maintenant on est d'attaque ? Plein de ressort ? On peut ressortir ?

                    -"Comme vous y allez ! D'abord il y a ressort et ressort et puis croyez-vous vraiment qu'il soit très prudent pour moi de ressortir tout de suite ?

                    -"C'est surtout que vous devez commencer à beaucoup vous ennuyer, un peu trop tout de même, à la longue !

                    -"Non, pas vraiment...pas encore tout à fait ! Je n'ai pas réellement mon content si on veut bien de ce point-de-vue là encore qu'effectivement certains soirs je me verrais bien sinon franchir les limites du quartier du moins parvenir au bout de mon balcon, que j'en éprouve comme une terrible envie et donc que cette claustration ambigüe, à laquelle je me sens voué en ignorant au juste pourquoi, doit sûrement quelque part m'insupporter, me chagriner...Mes bibelots le long de la fenêtre c'est vrai le soir ont parfois des ombres curieuses et j'y vois comme une vague allusion, mais quoi exactement...peut-être de ne pas m'éterniser ici moi-même en ombre davantage, non ?

                  -"Ces bibelots ne sont plus de saison, ils me paraissent d'une ancienneté extraordinaire, comme repoussante...

                 -"Oui et depuis qu'ils sont là je ne peux plus ouvrir cette fenêtre car il n'est pas question de les déplacer non plus...pour les mettre où ? Ni même provisoirement, le temps d'un petit appel d'air, car en ce cas comment les replacer exactement au même endroit ?  Il est probable que la poussière qui marque leur emplacement ce sera sans doute envolée ou au moins déplacée...non ? Comment savoir où ils étaient ?

                -"Le fait est que vous ne gagneriez pas grand-chose à les déplacer et à ouvrir puisqu'on peut dire que votre fenêtre ne donne sur rien à peu près...regardez vous-même...on ne voit rien...ou pas grand-chose...

                -"Mes carreaux ne sont peut-être pas de la dernière clarté nonobstant...

                -"Et nonobstant vous en avez largement assez vu comme ça...Vous êtes ici depuis très longtemps et d'accord les dernières versions du paysage vous ont peut-être échappé...Enfin, tout à fait au début vous vous souvenez, il y avait bouchant à peu près toute la vue, juste devant, un immense immeuble de bureaux. Vous vous rappelez, vous y aviez travaillé un jour, une seule journée !

              -"Cela m'avait paru beaucoup plus long ! Un mois je crois, ou deux peut-être, mais pas la même année, comme...comme, attendez voir...stagiaire de vacances provisoire ou quelque chose comme cela...

              -"Non, non, pas du tout, vous étiez déjà bien plus avancé que cela...Essayez de vous souvenir tout à fait... Déjà, du fronton de l'édifice, le matin quand vous arriviez...C'était encore moderne c'est tout ce que je peux vous dire...        

              -"Non, je ne me souviens pas d'une telle structure... On m'avait parlé du réemploi partiel pour le gros-œuvre et la façade d'un ancien couvent cistercien d'où le nom qu'avait pris ce domaine justement après la démolition, d'abord accidentelle puis volontaire, du tout ! Aurais-je travaillé par là-bas ?

              -"Vous étiez trop jeune pour vous en souvenir à présent mais quelqu'un vous a vu à l'époque !

              -"Quelle époque ?

              -"La vôtre...Il se trouvait là lui aussi au moment où vous y êtes arrivé également ! C'était réception, il venait lui pour un dégrèvement ou un rembours... Il vous a reconnu et suivi jusqu'au lieu de votre toute première installation...

              -"Qui était-ce ?

              -"Un voisin...

              -"Il doit être bien vieux maintenant !

              -"Il est toujours là. Simplement, il a changé d'escalier puis d'immeuble, il est dans le grand bâtiment de dix étages en face de chez vous...Il habite au dernier, dans le coin droit tout en haut !

              -"Je ne l'ai jamais vu ni jamais rien remarqué de particulier par là-bas en haut à cette extrémité...

              -"Il vous voit peut-être, on a une vue extraordinaire de là-haut...

              -"Alors ce serait peut-être la fenêtre qui reste tout le temps allumée, toutes les nuits, il me semble qu'elle se situe dans ces parages, non ? Vous ne voyez pas ? Oui c'est ça et je suis peut-être le seul à la voir, elle est exactement pour moi entre les deux grands arbres de la pelouse...

             -"Oui, allez le voir, cela lui fera plaisir et si c'est bien lui, vous pourrez aussi lui demander dans quel bureau précisément, le tout premier jour de votre installation, vous êtes entré ! Entre voisins, il n'est pas si rare de se demander de telles choses, cela est compatible et parfaitement convenable...N'oubliez pas que vous avez disparu, tout de suite après ou un certain temps après... comme pour toujours !

              -"Ce n'était peut-être pas moi...

              -"Peu importe, il vous dira ce qu'il a vu et vous jugerez vous-même on ne peut pas mieux dire, c'est un voisin tout de même !

              -"Si lointain ! Si vieux !

              -"Ah ça, vous risquez aussi de ne pas bien comprendre ce qu'il vous dira ! Il parle un peu comme on aboie je crois mais il reste très compréhensible ! Il a toujours les yeux perçants...

              -"Je ne sais pas si je dois vraiment y aller...

              -"Juste au-dessus de chez lui c'est la terrasse de l'immeuble où l'on n'accède plus depuis longtemps, véritable désert aérien ! Vous n'en voyez depuis chez vous, dressé sur le ciel, que cette sorte de couvercle de piano en béton sous quoi on devait pouvoir s'abriter...

             -"C'est invisible et sinistre en même temps...On imagine le vent s'engouffrer dedans pour rien car on voudrait s'y trouver mais on ne peut pas...

             -"On dit qu'il s'habille encore très jeune sur sa loggia...Allez-y, il est peut-être toujours là !

             -"Non, je crains d'être aussi vieux que lui...Il est quand même dans l'appartement où mes parents avaient envisagé de s'installer au tout début ! Je pense que cette sorte de lien dans le temps atteste d'une ancienneté réciproque pour moi presque insurmontable ! Oui aussi vieux, même si je n'étais qu'un enfant à l'époque car je l'aurais depuis en quelque sorte  rattrapé, dépassé, et je ne peux pas me confronter à un tel prodige, je ne m'en sens pas capable...

             -"Mais non, vous faites encore jeune, même trop, immature et pourtant sans avenir ou avec un avenir déjà périmé, et puis gringalet, ambigu, sans quant-à-soi, n'aimant guère les autres pour autant, ou plutôt ne sachant plus si vous les aimez ou non, et même, suprême déroute, si on vous aime ou non, si vous vous aimez vous-même ou non ! Face à un tel vieillard qui a fait les deux guerres, vous n'avez rien à perdre !...Au contraire, profitez-en pour vous requinquer à son contact! Prenez le grand ascenseur et montez le voir ! N'ayez pas peur ! Il n'entendra peut-être pas vos coups sur la porte car vous tapoterez à peine je le sais,  et vous pourrez donc sans doute redescendre tout de suite comme si de rien n'était...Alors, non ?

            -"Si, peut-être...Mais ne pourrais-je pas plutôt prendre l'escalier ? J'irais moins vite !

            -"Oui, bien sûr, si cela peut vous aider ! Vous voyez, vous avez à nouveau du ressort, mais il n'est pas encore remonté...Allez le remonter là-haut !...Oui tout là-haut dans cette sorte d'étrave où il paraît nicher ! Avez-vous remarqué que son espèce de hublot dans la nuit donne à l'immeuble un air de grand paquebot qui fend les nuages et dont il serait l'unique passager ?

            -"Je pencherais plutôt pour le contraire et qu'il serait de tous les occupants le seul qui ne soit pas un passager mais chaque nuit simplement de passage et d'une bien curieuse façon !

            -"Vous pensez de la sorte car cela vous arrange, vous disant ce n'est pas la peine que je monte, il n'est, à ces heures lunaires, sûrement jamais là, toujours dans les nuages ou sur une planète restant à découvrir !

            -"Et puis on ne voit jamais son ombre sur les murs !

            -"Preuve que ce n'est pas un fantôme !...Ecoutez, restez ici si vous voulez mais ouvrez ! Mettez au moins le nez dehors ! A présent vous le pouvez...Tenez, regardez bien...Oui le rebord de votre fenêtre... autour des bibelots et du socle du vieux globe terrestre tout jauni de votre enfance...

            -"Mais en effet, ce changement par rapport à...je n'avais pas remarqué...Il n'y a plus de poussière ! Il n'y a déjà plus de poussière ! Comment cela se fait-il ? Je n'ai touché à rien ! Combien de temps aura pu passer sans que j'y prenne vraiment garde ? Une sorte de temps infini a dû s'écouler sans que je me sois pour autant endormi !

           -"Et bien vous voyez, vous vous êtes levé spontanément et avez enfin pu ouvrir cette fenêtre...Vous aurez au moins mis le nez dehors...Regardez le domaine s'éveiller, partir vaquer à ses occupations...Déjà on gratte des pare-brises, vous entendez ?

           -"Pourquoi cette voisine est-elle habillée en infirmière ?

           -"Je suppose que c'est l'accoutrement qui lui sied quand elle se rend à son travail...Je vous rappelle que je ne suis pas un voisin, vous devez ma présence ici de temps à autre à une très ancienne sympathie que je vous porte toujours, sans savoir au juste pourquoi et en ignorant d'où elle provient exactement...En tout cas, voici ce que j'ai trouvé dans votre escalier...J'ai dû le déplier, c'était un avion en papier posé sur une marche juste avant votre palier !

         -"Il n'est pas tombé loin !

         -"Vous ne croyez pas si bien dire, car ce qui a attiré mon attention c'est que non seulement il s'agissait apparemment d'une sorte d'imprimé administratif mais que semblait y figurer votre nom !

         -"Ah oui ? Ah bon ?...

        -"C'est votre inscription au Grand Livre de la Dette Publique de l'Etat...Cela ne se trouve pas sous les pieds d'un cheval !

        -"Cela n'a plus du tout l'air d'un avion !

        -"Comment un tel document peut-il avoir été manipulé de la sorte par des enfants ?

        -"Je l'avais peut-être jeté par la fenêtre sans m'en apercevoir ou sans le vouloir tout à fait...ou plutôt il m'aura échappé en remontant depuis  ma boîte jusqu'ici, avec ces prospectus qui vous dégoulinent des bras dès qu'on veut les prendre tous à la fois !

       -"En tout cas, vous voilà bel et bien à la retraite à présent !

      -"Mais oui, je ne m'étais aperçu de rien...Il m'avait semblé être passé d'une solitude générale à une solitude plus particulière sans être pour autant tout à fait de convenance personnelle mais sans cela....

     -"Je ne comprends rien, soyez plus simple...Jusqu'à présent, qu'avez-vous fait et surtout qu'allez-vous faire de vos journées ?

     -"Comment cela à la retraite ? Il me semblait avoir tout juste commencé ou même pas commencé du tout. C'est une plaisanterie ! Je sortais à peine d'une sorte de stage préparatoire dans cette ville de province et maintenant...

     -"Votre carrière est terminée! Mais rassurez-vous, cette retraite que vous allez donc percevoir, et pour tenir compte de cette révision que vous aviez semble-t-il réclamée ou qui tient à la nature même de votre situation, ou à votre nature même,  sera amputée d'un bon tiers...vous en percevrez à peine la moitié !

     -"Ce n'est que justice, je n'aurais pas dû me trouver là ! Jamais!

     -"C'est alors plutôt  une sorte de pension de dédommagement...Vous pourrez donc la faire doubler ou la percevoir en francs suisses, je me suis renseigné ! .....

     -"Et puis sortez quoi, et pas seulement le bout du nez comme vous pourriez vous en contenter vu cette ouverture miraculeuse dont vous ne revenez pas vous-même, ce qui n'est dû de votre part qu'à un persistant défaut d'attention ou d'intérêt en général pour ce qui vous entoure !

     -"Mais je ne m'intéresse à rien alors ?

     -"Si ! Bien sûr ! Tenez l'autre jour, il y a longtemps, vous êtes sorti pour voir comment de l'extérieur on voyait votre appartement et comment on vous voyait vous ou on pouvait vous voir, dans quel rapport, selon quelle échelle, sous quel angle et ce depuis le petit tambour-tourniquet pour les enfants...Je me trompe ?

     -"Oh non pas du tout ! Et comme pour fêter cette sortie particulière j'avais du reste, me trouvant par miracle seul sur les lieux, actionné l'engin et monté dessus afin de voir comment on percevait mon petit intérieur confiné dans une rotation assez vive ! On dirait qu'il puisse devenir alors une de sorte de cercle flou...

    -"Et à présent, de nouveau dehors, comment vous sentez-vous ?

    -"Eh bien je vois parfaitement le tourniquet mais l' immeuble dont nous parlions encore il y a peu n'y est plus ! Nous sommes pourtant bien sortis du bon côté ! 

    -"Non, il n'est plus là...Je vous l'ai dit, beaucoup de temps a passé...Ou plus exactement vous avez laissé passer beaucoup de temps...Cet immeuble que vous avez vu, je sais, en construction, puis flambant neuf, a finalement périclité, menacé ruine et a été démoli !

    -"Et cet homme qui en habitait la proue tout en haut à droite entre lune et nuages ?

    -"Et dont nous avions parlé une fois que j'étais venu vous voir il y a longtemps ? Il a peut-être existé mais il n'en reste aucune trace...

    -"Si ! Il n'éteignait jamais, de jour comme de nuit !

    -"C'est peut-être la preuve qu'il n'était jamais là ou même qu'il n'y a jamais été à aucun moment, ou qu'il n'y était déjà plus... Mais vous avez raison, je vais me renseigner encore...Ils ont voulu créer un lac artificiel pour les familles et puis ça ne s'est pas fait, il y a eu un temps une sorte de hangar mais à nouveau plus rien depuis des années, plus rien du tout...Vous avez bien vu quand même ?   ......

   -"Oui sûrement, et c'est très bien ainsi ! ...Oh oui c'est exact...je me rends bien compte à présent...Par là alentour...il n'y a plus rien, plus rien du tout !...C'est comme chez moi je vous signale...Plus rien, plus rien du tout ! Déjà plus de...de je ne sais plus quoi ! 

 

n° 249           Le compte des Monsieur  ( ou  La bigleuse ) 

                 Et bien voilà, en somme il ne lui restait plus que le Prizunic pour terminer le périple de ses petits achats du jour et surtout, mais alors là surtout, clore le compte des "Monsieur" ! Et ce jour-là le niveau atteint  par ce poste dans cette curieuse comptabilité n'était pas trop mauvais...

                 Voyons...Le tout premier du jour, où était-ce bon sang ? Car il y en a eu un dès le début, au tout début des emplettes...Oui, chez la marchande de journaux..."Merci...bonne journée monsieur!...Pareillement mademoiselle!"  ...Parfait ! L'exemplarité même en matière de ce qui peut encore quelque part sinon flatter du moins laisser croire qu'il vous reste encore un semblant ne disons pas de respectabilité mais simplement d'aplomb ou d'assise supposés, au moins d'après votre apparence ou votre maintien !

                 Avec le "Vous avez votre passe, monsieur ?" du guichetier à la gare tout à l'heure cela en faisait deux ! Et deux "monsieur" pour une seule journée ce n'était pas si mal ! Et pourtant, il le savait bien, ni sa mise ni son maintien, assez quelconques finalement, n'avaient de quoi vraiment intimider ou laisser supposer quelque mérite hors norme ou une qualité exceptionnelle...

                 En plus, il n'avait jamais tellement aimé les "monsieur" à son égard, cela l'agaçait quand par hasard cela se produisait mais il se sentait un peu vexé quand dans certaines circonstances, c'est à dire la plupart du temps, on ne l'en gratifiait pas, et plus particulièrement à l'entrée ou à la sortie d'un magasin, d'un bureau ou après avoir indiqué à quelqu'un son chemin dans la rue...

                 Et ce curieux vestige du très ancien "Mon seigneur" au temps du Moyen-Age semblait en outre et d'une manière générale se faire de plus en plus rare dans la société d'aujourd'hui ! Aussi le roi n'était-il pas son cousin quand il lui arrivait de tomber sur une vendeuse ayant encore suffisamment ne serait-ce que le sens du commerce pour lui envoyer, qu'il ait acheté quelque chose ou non, un "Bonne journée Monsieur" qu'il appréciait à sa juste valeur mais réellement tout de même...

                 Enfin, le voici dans la file d'attente qui le mène à sa dernière caisse du jour...Il a posé sur le tapis de caoutchouc le petit flacon de remontant dans son conditionnement de plastique qui constitue de plus en plus souvent à présent son dernier achat de la journée. Il se demande si cet article est de nature à lui valoir, de la part de la caissière, la marque de politesse dont il tient curieusement le compte depuis quelque temps, un peu pour s'amuser mais tout de même...En tout cas, "c'est plutôt une boisson d'homme"... 

                Elle ne veut pas lui passer devant quand même celle-là ! Devant lui a comme poussé une ombre, celle de la cliente qui le suit et qui aurait l'air de bien s'impatienter ? Mais non, il n'y a personne derrière lui, c'est la sienne d'ombre ! Il est exact qu'avec cette parka à capuche qu'il met quand il pleut et ses cheveux mi-longs, son ombre de dos a quelque chose d'un peu féminin, il l'avait déjà remarqué une fois... Mais de dos, de dos seulement ! Et en vrai, de face, en aucune manière, absolument pas ! Jamais !

                    -"Bonsoir mademoiselle...Non je n'ai pas la carte du magasin...Regardez, je crois que j'ai fait l'appoint..."

                   - "Oui c'est ça...merci beaucoup...Bonne soirée madame !"

                Oh non !... Et si !  Si, si !... Il a très bien entendu et doit donc en conséquence dès ce soir ouvrir (se serait-il jamais douté de cela ?) à son corps défendant mais dans le strict respect de sa démarche et malgré l'inattendu des choses, ouvrir donc, oui un compte, un autre compte...celui des "Madame" ! Et tout cela à cause d'une...d'une...d'une bigleuse ! Tout simplement.  ...Avait-elle des lunettes ? Je ne sais pas...Je ne sais plus...On ne voit pas...On ne se voit pas.

                Et je n'ai plus de magasin d'alimentation ! Il va m'en falloir un autre...Elle m'avait rattrapé ayant quitté son tabouret et fermé son tiroir ! "Vous m'avez insultée, vous ne revenez jamais à ma caisse !" Il m'avait semblé n'avoir rien dit mais j'ai dû maugréer tout haut, bredouiller ce mot trop fort sans m'en rendre compte. "Bigleuse!" est-ce vraiment une insulte ?  Ce n'est pas très poli sans doute ni agréable sûrement mais à côté de..." On ne voit rien. On ne se voit pas.

                Tout va bien finalement, et même mieux car je me demande si tout cela ne provient pas de cette capuche : est-ce une capuche ou un capuchon ? Les attributs vestimentaires eux aussi ont leur genre qu'ils nous confèrent si nous choisissons de porter l'un plutôt que l'autre. Maldonne ! Il faut choisir , clarifier les choses, chasser toute ambigüité : je ne me rendrai dans mon nouveau magasin que si le temps n'est pas à la pluie strictement. Je devrai donc de la sorte être très vite en mesure de fermer ce compte intempestif des "Madame" qui m'empoisonne l'existence.

                Car je n'ai nulle envie de me séparer de ce vêtement, d'en changer, car très pratique, déjà un peu toutes saisons, tout style et apparemment peut-être en plus, avec sa capuche-capuchon, tout sexe ! Mais cela est une autre histoire et mieux vaut ne pas tenter mon âme sensible, l'inciter même pour jouer, à des faux-semblants ou des subterfuges somme toute assez dangereux et dont elle ne pourrait sortir qu'amoindrie ou  désorientée. Aussi, garder cette redingote mais n'en plus faire jouer les ressorts cachés !

               Et oui on aura sans doute remarqué à quel point sa curieuse pelisse ressemble comme un frère à sa sœur à ce curieux manteau qu'on avait déposé sur sa chaise en face de lui un soir au restaurant...C'est le même, celui-là même ! Avec son système compliqué d'armature passe-saisons dont on avait en réalité voulu se débarrasser et qu'il avait tout simplement récupéré pour voir comment un  manteau si anodin d'apparence pouvait faire autant de bruit quand on s'assied et craquer aussi souvent même si on ne bouge pas ou s'il repose simplement sur le dossier d'une chaise...

               On ne voit rien. On ne se voit pas. Ou ne se voit plus. Et si au moment précis où le personnage en robe noire et bavoir blanc était en train de lui dire avec une sorte de dépit méprisant sur les lèvres "Ce n'est pas de bigleuse que vous avez traitée cette malheureuse mais de salope, tout le magasin vous a entendu! Il y a eu appel à témoins, ils sont ici!" et qu'il était sur le point de  répondre tout chancelant à cette sorte de juge des Enfers "Objection votre Honneur! Je suis incapable de..." il ne s'était brusquement réveillé, il aurait pu croire encore un instant, tout à son mauvais rêve, qu'il avait peut-être dépassé les bornes et qu'on ne l'avait pas loupé...mais ce n'était finalement qu'un renvoi de télévision mal digérée !

               N'importe, c'était peut-être prémonitoire et il n'est donc pas question de conserver plus longtemps cette moumoute du diable, articulée à la va comme j'te pousse, à l'origine déjà de bien des tourments et sûrement grosse encore de nouvelles équivoques, méprises, outrecuidances diverses, mot à la place d'un autre, caissière n'y voyant goutte, guichetier ordinaire et non breveté confondant toujours à son âge capuche et capuchon, etc, etc... non non et non !

              D'autant qu'il a fait un autre rêve des plus étranges dans lequel le célèbre savant qui a découvert les rayons cosmiques arrive chez lui avec ses grandes oreilles et sa tête de montagnard pour lui proposer son petit-fils de dix ans puisqu'il était censé être cinéaste ou vouloir le devenir et recherchait justement un enfant pour son film ! Quelle aubaine ! Sauf qu'en partant le grand professeur, la pipe au bec comme sur sa photo du petit Larousse, lui envoie un sonore "Au revoir madame" ! Quel cauchemar !

             Et même pire que cela puisque le lendemain matin il voit sur son balcon encore en place sa caméra sur son trépied devant le petit décor du tournage : ce n'était pas un rêve  ! Avait-il déjà son fameux manteau à système bizarre ? Non sûrement pas!  Il mesure au passage de quelle hauteur la bêtise ordinaire peut parfois tomber ! C'en est vertigineux...Et oui avec son fameux nom composé, à la fois princier et un peu ringard, l'illustre physicien non seulement n'avait pas découvert les fameux rayons comme l'indiquait à tort le dictionnaire mais pratiquait dans la vie un mauvais esprit de bas-étage des plus consternants ! 

            En tout cas il va s'en débarrasser de sa parka à soufflets et couvre-chef à clapets et pas plus tard que tout de suite ! Du reste c'est déjà fait : il vient de l'abandonner sur un banc ! ...  "Rotation Hiver-Eté automatique...Extension d'ailes possible..." Bigre, ce manteau était décidément très perfectionné et bien plus qu'il ne le pensait ! Il en a  sans le vouloir gardé la notice ! Et pour rien car il n'est pas question d'aller le rechercher. Du reste, sans ce scaphandre qui n'osait pas dire son nom il se sent bien et comprend que tout venait de là, de cette capote à rondelles et rouages compliqués qu'il s'ingéniait à garder sur le dos !                

             Oui dans la poche la notice qu'il prenait pour un papier provenant de son bureau et que du coup il n'avait jamais osé regarder, s'employant essentiellement à la plier, la déplier, la froisser machinalement et nerveusement au gré des ses pérégrinations à la recherche précisément de son bureau, de son vrai bureau !Et il aura donc passé une grande partie de tout son temps de recherches avec sur le dos ce curieux paletot dont le genre se fait, se défait au gré du temps et des choses croisées ou rencontrées, des gens qui vous toisent d'abord et puis se montrent courtois car sur cet impossible macfarlane des bretelles il n'y en a pas !

             Messieurs-Dames ! Attendez Messieurs-Dames, vous oubliez votre truc ! Il n'avait évidemment pas eu besoin de se retourner pour se convaincre que cet appel ne lui était pas destiné étant donné que sans cela il aurait dû ouvrir une sorte de troisième compte des genres lui revenant, donc une comptabilité en partie triple et que cela n'existe pas ! Bref, il ne lui restait plus qu'à aller calmement de l'avant sachant désormais qu'il existait sans doute trois genres, trois grands genres et puis c'est tout...

             Lui se situait probablement quelque part là-dedans, tantôt bien fixé à un plot de référence, tantôt errant dans l'espacement qui sépare  les repères génériques et tout cela selon que la caissière est plus moins bigleuse ou courtoise... Et peut-être même encore ailleurs !

            Aussi décide-t-il devant la mouvance  généralisée des genres et des allures, de la vue plus ou moins basse des guichetiers et autres préposés, de réduire sa fameuse comptabilité intérieure des monsieur et des on ne sait trop quoi, à sa plus simple  expression, c'est à dire correspondant à ce qu'il obtient encore parfois des autres quand il est intrinsèquement au mieux de sa forme et dans sa vraie nature, et dont on le gratifiera certainement à nouveau s'il renonce à tout manteau qui ne lui est pas destiné, cette appellation sinon la plus respectueuse, du moins la plus adaptée à son personnage, et pourtant ni réellement affectueuse ni même gentille, mais du moins pour lui presque rassurante, oui d'instituer enfin, seulement et une fois pour toutes, le compte des "Mon petit" !                                  

 

n° 250                Sûrement de quelque part !  ( ou  To belong or Not to belong )

           Un solitaire vers la fin de sa vie se demande, dans une sorte de reportage-interview (voix off car on ne le voit jamais, ne pouvant se voir lui-même) s'il est d'un lieu ou d'un autre...Bien sûr il réside souvent à Rome mais est-il vraiment de cet endroit ? Dans quel lieu revient-il le plus souvent ou le plus volontiers ?

            Certes, comme il tourne à l'aise au coin d'une petite rue à New York et comme il chemine dans une extrême détente aussi bien sur un boulevard de Buenos Aires que sur une avenue de Saint-Pétersbourg ! Il connaît les ombres tranquilles qui le suivent un instant au débouché d'un passage du vieux Londres comme à l'entrée d'une traboule à Lyon même ou dans toute ville similaire ! Dans toute ville en général...

            En effet le nombre de villes qui se ressemblent ou qui sont devenues identiques est considérable. Il a fini par ne plus savoir au juste dans laquelle il se trouvait exactement !

            En somme, il est un peu partout chez lui...Ou plutôt un peu comme partout chez lui ou même et plus précisément un peu partout comme chez lui...Bref, on l'aura compris, il n'est vraiment bien nulle part ! Et oui il aura passé tout son temps à quitter une ville pour une autre changeant aussi par la même occasion souvent de pays ou de continent pour y revenir à nouveau ! Comment établir une préférence ? Et il en est venu à se demander si finalement il n'était pas de l'endroit où il a fait et défait le plus souvent ses bagages ! Où il a passé son temps à faire et à défaire ses bagages ! Un perpétuel maniement de valises et de sacs ! Parfois à longueur de journée et à n'en plus savoir s'il part seulement ou s'il revient déjà...

             Il faudrait qu'il établisse cela au plus vite, cet endroit magique qui l'aura donc si souvent scotché parmi tant d'autres lieux, tous les autres sur la terre  où il n'a finalement fait que passer et cela à tout prix puisqu'il doit faire refaire pour la nième fois, et pour l'avoir encore perdue bien qu'y étant si attaché, son attestation ! La fameuse A.U.R.P. , l'Attestation Universelle de Résidence Permanente !

             Mais oui au cours de toutes ses années il a bien au moins une fois posé ses bagages quelque part ! Ce n'est tout de même pas l'homme aux valises ! Certainement pas et il aura même été en fin de compte et la plupart du temps tout à fait casanier, ayant en horreur le moindre déplacement ! Il avait fini par se dire  une fois qu'enfin il ne bougerait plus ! Mais où cela ? Et où se trouvait-il au juste à ce moment-là ? Il revoit bien une immense ville-cité aux immeubles circulaires et concentriques avec un bruit d'océan diffusé en permanence mais là-bas il n'avait fait, semble-t-il et heureusement, que passer !

             Ou bien au contraire passait-il tout son temps à voyager et ce sentiment de langueur qui l'assaillait dès qu'il s'arrêtait quelque part était-il à l'origine de cette impression d'y demeurer depuis toujours quand il lui arrivait peu ou prou de poser par-ci par-là un bagage ? En bref, aurait-il passé sa vie à sautiller sans s'en rendre compte tout à fait et sans pour autant échapper à un terrible ennui ? Il est certain que lorsqu'il avait quitté pour la première fois sa petite chambre chez ses parents, il avait voulu partir non seulement très loin mais pour très, très longtemps...s'installer ailleurs comme pour toujours !

             Or il semble bien qu'assez peu de......

 

n° 251          Si les traces molles perdurent   ( ou  La vieille boîte ) 

             Ce personnage (nommé peut-être Guimiche Péruflat à ce qu'on a dit un beau jour un peu nocturne il y a très longtemps au sommet du Salève ou à proximité) se serait spécialisé dans les traces laissées par les avions dans le ciel.

              Il  semble en repérer continûment les figures remarquables qui peuvent s'ensuivre après le passage de l'aéronef au gré de la température dans les hautes couches, de l'humidité, des jet-streams, qu'il prend en photo et dont il tient des archives soigneusement datées et classées.

              Au début, il ne le fait que dans un but peut-être artistique ou en tout cas documentaire et surtout pour passer le temps. Puis un jour il se dit, allez savoir pourquoi, que toute sa documentation pourrait très bien aider..la police dans ses enquêtes !

               Il a sans doute entrevu le fait indéniable, bien que peu souligné ou mis à profit, qu'aucune trace de ces volatiles mécaniques et kérosènés, dans un ciel restant suffisamment clair ou peu nuageux et au bout d'un certain temps, après une déformation irrémédiable et aléatoire, ne ressemble à une autre ! 

               Alors notre vieille branche de Péruflat, après chaque journée utile de grand soleil, et la nuit rouge qui s'ensuit, parvient, ou s'imagine le faire, à se constituer un fichier assez conséquent où chaque trace fait l'objet de tirages datés à la seconde près, permettant de visualiser les moindres nuances de leur évolution et de leur disparition que celle-ci se soit produite par pure dissolution dans le ciel ou par un retrait progressif derrière un des éléments incontournables du décor urbain au fin fond duquel notre bon Guimiche est comme encastré.

                C'est que de l'azur depuis chez lui il n'en voit pas tant que ça et comme il tient à tout faire par lui-même sans sortir de sa cambuse, il doit se pencher énormément par la fenêtre ! Mais paradoxalement, il  est sauvé par la présence d'un grand immeuble juste en face sa maison, qui tout en lui bouchant  près de la moitié du ciel lui en restitue autant et même davantage par réflexion de l'autre moitié, qui sans cela lui serait aussi invisible, sur les panneaux miroirs recouvrant toute la façade d'un modernisme éblouissant !

                 Au Commissariat de son quartier il réussit à s'entretenir avec un inspecteur qui est séduit par l'idée de cet excellent Péruflat. Et aussi sans doute attendri par son besoin viscéral de rendre enfin service à la Nation en aidant à lutter contre le crime les effectifs brillants mais trop peu nombreux de la police dont il s'était longtemps efforcé d'intégrer la réserve des auxiliaires occasionnels sans jamais y parvenir. Donc sa démarche est appréciée à sa juste valeur, son intention paraît bonne et même digne d'éloge. Seulement voilà comment connaître le ciel au moment d'un crime ou d'un délit ?

                  - "Ah bah oui c'est vrai..." dirent-ils de concert en lorgnant vers la fenêtre, constatant qui plus est une absence totale de ciel !

                  - "Evidemment on prend rarement une photo du ciel à ce moment-là...

                  - "Et même une photo tout court, je m'en aperçois juste à l'instant...

                  - "Seulement cela peut très bien se produire et alors constituer un fameux indice objecte le jeune fonctionnaire, élevé pourtant dans la religion des preuves solides et indéformables mais qui se fait soudain comme l'avocat de Guimiche, énumérant à voix haute les aspects très intéressants d'un projet proprement fumeux en apparence mais pouvant, ne serait-ce qu'à la longue, se révéler efficace. "Tenez bon, poursuivez vos recherches, augmentez sans cesse votre précieux fichier. Et si l'occasion se présente, si un besoin de ciel émerge un beau jour d'un dossier,  nous ferons aussitôt appel à vous !"

                     Alors à partir de ce moment, ce vieux lorgneur-néphologue de Péruflat Guimiche va vivre dans l'imaginaire exaltant du très grand service qu'il rend peut-être enfin à la société en passant ses journées un peu partout (car il ose sortir de chez lui à présent, fuyant désormais cet insipide ciel d'immeuble) le nez en l'air à guetter ses fausses comètes, une vieille boîte Kodak sous le bras, un sandwich aux ronds de gruyère sous l'autre...

                      Après toutes ces années d'observations de ces sortes de boudins glacés plus ou moins mous serpentant dans l'azur gris-rose des ciels de banlieue, finira-t-on par le contacter enfin ?  Car toutes ses images sont sûrement là dans des boîtes à chaussures poussiéreuses, sous des effondrements de rouleaux de tout et de n'importe quoi. Il n'y aurait qu'à souffler dessus ! A quoi ces photos devaient-elles exactement servir déjà  au début ? Ces projets de photos... Et voilà qu'il ne sait déjà plus au juste. Il avait acheté une boîte munie d'un retardateur, il était jeune, ne savait pas bien quoi photographier. Oui, c'est ça, il avait l'intention de prendre son temps, de ne pas se lancer à l'aventure, de se choisir d'abord un sujet, un grand sujet !

                       L'immeuble d'en face l'avait d'abord gêné avec ses réverbérations et puis à la belle saison un jour de plein soleil il s'était aperçu que les rayons renvoyés par la façade miroir lui permettaient de bronzer sur son balcon pourtant orienté au nord ! Il se prélassa d'aise ainsi presque tout un été et puis encore un autre semble-t-il. Son hâle restait modéré mais au moins évitait-il les coups de soleil sans avoir à s'enduire de ces pommades huileuses et coûteuses dont on ne peut plus se défaire. Et puis le ciel se couvrit. Il ne fit plus si beau.

                         Il allait donc devoir mettre enfin une bobine dans son appareil encore tout neuf. Oui, s'il avait fini par le sortir de son emballage et acheter peu de temps après un rouleau de pellicule, il ne s'était toujours pas décidé à en charger sa précieuse boîte, même s'il avait armé une fois l'engin et déclenché comme ça, à blanc, pour rien, pour entendre au moins le bruit une fois. Y en aurait-il d'autres et pour de vrai ?

                          Ce matin-là, le plafond était bas mais heureusement l'idée qu'il avait eue vaguement jadis de photographier les avions à leur plus grande altitude et donc seulement la trace qu'ils laissaient parfois dans la stratosphère si elle était visible ne lui étant jamais revenue réellement, il se dit que s'il ne devait prendre qu'une seule photo d'aéroplane ce serait sûrement celle-là. Dans la façade de l'immeuble il voyait approcher une sorte de biplan encore assez lointain mais volant très bas, comme en rase-mottes au-dessus des  toits ! Il vit dans cette inversion de ce qu'il avait autrefois recherché comme un signe du ciel : il allait peut-être enfin se rendre vraiment utile par un simple clic-clac de sa boîte Kodak ! 

                           Qu'a-t-il eu besoin de fixer ce drolatique avatar de son beau projet initial sur cette pauvre vieille pellicule neuve ? Neuve ou vierge comme on voudra mais cependant bien défraîchie et à la limite de la péremption pure et simple tant il avait tardé une fois encore dans sa vie à enclencher le bouton pourtant tout près des possibles ou en l'occurrence d'un simple obturateur. Plus toute jeune tant il avait laissé passer de nuages et de traces dans le grand miroir de l'immeuble sans trouver la force den charger sa boîte mais encore suffisamment sensible pour enregistrer ce qu'il n'aurait sans doute pas dû ou pas voulu conserver. 

                            Dès le lendemain du crash du petit avion en plein milieu de la façade de l'immeuble, des policiers sont passés pour interroger les habitants du voisinage. Tout de suite après l'accident il avait couru porter sa pellicule au Phot'Express et en obtint les tirages dans l'heure. S'il s'était contenté de prendre ses photos tout de suite après la catastrophe ne serait-ce que pour l'extraordinaire brisure en croix du verre de la façade et du trou de l'impact situé exactement à l'intersection des deux sinistres diagonales, cela n'aurait sans doute pas intrigué outre mesure l'inspecteur qui s'étonna tout de même que l'avion ait été si on peut dire comme mitraillé par cet étrange Péruflat aussitôt que l'aéroplane fut visible depuis sa cambuse et alors que rien ne laissait prévoir, ainsi que le montraient justement ses photos, une fin de parcours aussi tragique!

                               En outre il fut bien en peine de montrer d'autres tirages pris auparavant sur quelque sujet que ce soit car il réalisa du même coup que finalement il n'avait jamais fait d'autres photos de toute sa vie  et que celles-là étaient les toutes premières. Et quand on lui dit qu'en somme il avait acheté une pellicule et même l'appareil spécialement pour cette occasion à priori plutôt inattendue et normalement imprévisible, il ne sut pas bien quoi répondre mais finit par plus ou moins acquiescer en essayant tout de même de préciser que l'appareil il l'avait déjà en vérité depuis longtemps ayant envisagé au début de prendre en photo non pas les avions eux-mêmes mais seulement leurs traces blanches très haut dans le ciel et ce à des fins de... 

                            "-Vous n'allez pas me croire mais, oui pour constituer des éléments possibles de datation précise lors de certaines enquêtes de police justement, ou quelque chose d'approchant...je ne sais plus au juste, c'est si loin déjà...

                              - Ah monsieur Péruflat, savez-vous que cet avion était sans pilote et radiocommandé ? C'est donc un attentat et qui visait des locaux administratifs du Trésor en partis détruits.  Aussi je vais vous demander de bien vouloir me suivre au commissariat pour un petit complément d'enquête si vous n'y voyez pas d'inconvénients...

                              - Sans problème, j'avais justement, concernant mon projet de fichier de traces, obtenu l'agrément enthousiaste du jeune inspecteur...euh... Foumentèze ou quelque chose...

                              - Foumentèze ? Il est parti à la retraite l'année dernière ! Elle remonte à Mathusalem votre histoire !

                              - Et mon appareil, vous l'avez vu ? Cette boîte, cette vieille boîte !

                              - Quelle boîte ? "

      

                                                                                                

n° 252            Une lanterne dans la nuit  ( ou Autre chose )

                                           Lautremois et un enfant d'une dizaine d'années marchent l'un derrière l'autre dans la nuit. La lanterne qu'ils tiennent à la main chacun à tour de rôle en échangeant leur ordre de marche émet une lumière qui se perd vite dans une noirceur environnante paraissant infinie...

                                - C'est bien notre veine, on ne voit rien, dit Lautremois qui est en avant.

                                 - C'est sûrement plus loin là-bas, fait l'enfant...

                                            Bientôt ils longent un mur pendant un certain temps puis le mur disparaît comme happé par la nuit. Ils se retrouvent à marcher sans aucun repère...

                                 - Tu as vu le mur ? demande l'enfant à Lautremois qui est en arrière.

                                 - Oui je l'ai vu. Je l'ai aperçu au moment même où il a disparu ! Ce ne sera donc pas la peine de revenir en arrière. Mais ne t'en fais pas va, il y aura sûrement autre chose, par là-bas à travers, tout au bout !

                                              Ils continuent leur marche d'un pas d'abord lent et régulier puis plus rapide en regardant de temps en temps derrière eux. Et à nouveau changement de rythme, un pas très lent comme une marque de fatigue ou de découragement. Parfois ils s'arrêtent, se hissent sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir quelque chose dans une sorte de cosmos sans étoiles, sans dimensions. 

                                 - Et s'il n'y avait rien ? Jamais plus rien ? fait l'enfant en balançant un peu la lampe.

                                               On les voit de face puis de dos...Et puis tout petits dans le noir, immobiles.

                                 - Dès que tu aperçois quelque chose, tu me préviens. Pareil si tu entends un bruit ou si tu vois une autre lumière ou juste une forme, un simple mouvement,  dit Lautremois à son jeune compagnon. 

                                  - Tu peux compter sur moi.

                                  - Ecoute, je vais marcher devant toi, très loin devant toi, avec la lampe. Si tu te perds, tu n'auras qu'à suivre la lampe le plus longtemps possible, essayer de t'en rapprocher car vois-tu je ne pourrai pas revenir vers toi, ni même t'attendre. Tu comprends ?

                                   - Oui bien sûr, une lampe ça se voit de très loin dans la nuit.

                                   -  D'autant plus qu'ici ce n'est pas seulement la nuit, il y a autre chose.

                                                 On ne voit plus que Lautremois marchant seul, tenant la lampe. On entend la voix de l'enfant venant de très loin en arrière...

                                    - J'entends comme une musique!  crie l'enfant invisible.

                                    - Non, ce n'est pas là ! Continue encore !...Tu es loin à présent ? demande Lautremois sans s'arrêter, ne tournant même pas la tête, comme si l'enfant était devant lui.

                                    - Non, pas très ! En courant je te rattraperais vite, en quelques minutes ! Malgré les tournants, tous ces tournants qui nous séparent ! Ils font parfois comme demi-tour mais ça ne fait rien ! Je les longe de mon mieux par leur petit côté mais j'ai peur de tomber !

                                      - Ne crains rien, tu ne tomberas pas ! Ici, on ne peut pas tomber !...On ne peut pas tomber plus bas ni monter. Au fait, il n' y a ni bas ni haut il me semble bien. Pourtant si l'horizontalité paraît approximative, cela ne monte ni ne descend. On avance cependant. Pourquoi l'ai-je attiré jusqu'ici? En vérité je n'en ai rien fait, ne l'ayant pas amené non plus. Simplement il s'est trouvé là à un moment donné, derrière moi, à me suivre...Au bout de très peu de temps c'est comme s'il avait toujours été là ! Du reste s'il a pour l'instant disparu, je l'entends bien encore...c'est lui, c'est bien lui...il existe encore quelque part...

                                       - J'ai trouvé quelque chose !

                                       - Il n'a rien trouvé du tout, c'est sûr. Il n'y a rien à trouver par ici. Trop désolé, trop sombre comme endroit. Et on dirait qu'il y a plusieurs endroits à la fois. Comment a-t-il pu voir devant lui ? Autour de lui ? C'est encore un piège, un attrape-nigaud...  "M'aimeras-tu encore quand je serai grand ?" Quelle drôle de question !  Je ne suis pas son père tout de même. Est-ce encore un endroit où l'on grandit ? J'ai dû à nouveau me tromper de pays, de région. Pourtant, il n'y a pas de routes par ici.  Je n'ai pas eu le choix. On avance qu'on le veuille ou non, une sorte de lanterne pour se rassurer, pour la frime. Du reste j'ai sûrement j'ai dû m'en débarrasser car je ne l'ai plus !

                                         - J'ai trouvé quelque chose !

                                         - Je l'ai entrevu là derrière moi l'espace de quelques secondes et puis plus rien, il avait disparu. Oui, un espace de quelques secondes entre lui et moi, à peu près. Etait-ce bien un enfant ? Une sorte de double ! Il y a des effets miroirs un peu partout, alors pourquoi pas ici ?

                                         - J'ai trouvé quelque chose !

                                         - Il va me rendre fou à la fin ! Ne sachant pas où il est, comment pourrais-je lui répondre ? Enfin, puisque j'ai retrouvé ma lampe, autant y aller tout de suite ! En tout cas c'est tout droit, forcément ! Il n'y a qu'une direction ! Et en plus la bonne puisque le voilà par là-bas, tout au fond de ce pré noirâtre à défaut d'être fleuri je l'aperçois déjà ! Il n'était pas si loin...Alors dis-moi, qu'as-tu trouvé ? 

                                          - Une sorte de médaille d'un brun-rougeâtre avec une espèce de tête d'un côté !   

                                          - "Oui, c'est une très ancienne monnaie. Garde-là bien sur toi, elle te servira plus tard pour passer la nuit dans un chalet en pleine montagne ! Je te raconterai tout !"...

                                                     ...Il est donc toujours par là quelque part... Il a dû longer le champ de mes souvenirs... C'est la pièce que j'avais trouvée moi-même à son âge dans une forêt de sapins à deux pas du Pré Fleuri !...Me précède-t-il ou me suit-il en fin de compte ?...Pourquoi a-t-il à nouveau la lampe ?...Est-ce une doublure ou un doublon ?...Il va falloir que je me surveille, que je me voie mieux moi-même...que je me retourne sur moi ! Mais je vais auparavant le suivre encore un peu... S'il parvient toujours à avancer, c'est qu'il y a sûrement autre chose... Autre chose !...Ou quelqu'un d'autre ?                   

                                        

n° 253             Apte à tout   (ou  Le bon emploi) 

                             voir p. 27

 

 

 

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