qu'

MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

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n°570
 

       Une foule de plus en plus nombreuse assistait maintenant aux offices. Thomas ne nourrissait aucune illusion quant à ce qui attirait les fidèles; même pendant les offices, ceux-ci pouvaient voir, entassés sur des tables disposées dans les bas-côtés, les victuailles achetées avec le bel or de Scheer. Mais Alec s'acquittait néanmoins de son rôle avec beaucoup de talent. En l'écoutant prêcher, Jeff se disait que le vieux montagnard avait dû réussir à concilier sa nouvelle tâche avec sa conscience et finir par avoir le sentiment de prêcher pour son Dieu, quoique utilisant des symboles et un rite assez bizarres; en tout cas, sa voix trouvait des accents convaincants.

       S'il continue ainsi, songea Jeff, nus allons avoir des bigotes qui seront transportées par ses paroles, au point de tomber en pâmoison. Je devrais peut-être lui dire d'appuyer sur la pédale douce. Mais Alec parvint à l'hymne final sans incident.

 

Robert Heinlein - Sixième colonne (1965) - (roman)

 

n°569
 

       Et Bibi-la-Grillade accepta une prune. Il devait être là, sur le banc, à attendre une tournée. Cependant, Lantier défendait les patrons ; ils avaient parfois joliment du mal, il en savait quelque chose, lui qui sortait des affaires. De la jolie fripuille, les ouvriers ! toujours en noce, se fichant de l'ouvrage, vous lâchant au beau milieu d'une commande, reparaissant quand leur monnaie est nettoyée.

       Ainsi, il avait eu un petit Picard, dont la toquade était de se trimbaler en voiture; oui dès qu'il touchait sa semaine il prenait des fiacres pendant des journée. Est-ce que c'était là un goût de travailleur ? Puis, brusquement, Lantier se mit à attaquer aussi les patrons.

 

Emile Zola - L'Assomoir (1877) - (roman)

 

n°568
 

       Malko relut une dernière fois la liste des armes et la brûla dans le cendrier. Inutile de tenter le diable. A présent, il lui manquait encore un renseignement essentiel : quand auraient lieu les exécutions.

       Devant les difficultés , il fallait renoncer à pénétrer à l'intéieur de la prison. Les gardes pourraient se retrancher et les alliés de Malko ne seraient pas en force suffisante pour affronter une bataille rangée. Donc, l'heure et le jour de l'exécution prenaient une importance primordiale, puisque les prisonniers seraient à ce moment seulement, dans la cour.

       Le Colonel Akmat pouvait lui obtenir ce renseignement. Dans ce cas, il enverrait tout à Beyrouth et n'aurait plus à communiquer avec eux. Au jour dit, ses alliés de l'extérieur interviendraient...

 

Gérard de Villiers - Les pendus de Bagdad (1969) - (roman d'espionnage)

 

n°567
 

       "Auprès de quelqu'un que j'aime, je cesse de me croire arrivé quelque part et je cherche avec lui. Et la honte de penser que j'avais cru quelque chose atteint  me rabaisse en-dessous de lui et alors je cherche en poussant avec lui par en-dessous. C'est pourquoi je suis toujours stupéfait de voir comme je ressemble à qui j'aime."

        C'est pourquoi aussi il est peu d'aventures de l'esprit qui soient moins littéraires que celles des Simplistes et du Grand Jeu. En même temps elles furent reliées pour Daumal à cette même nécessité de vivre avec et à travers quelqu'un, c'est à dire Lecomte. Dès le départ, le nom simpliste de Daumal souligne cette dépendance. Daumal est bien le "Phils" et Lecomte le "Papa". Et pratiquement jusqu'à la rupture, Daumal ne cessera jamais de vivre avec ce lien ombilical  qui le relie à Lecomte. 

 

Michel Random - Le Grand jeu (1965) - (essai)

 

n°566
 

       Avant même que les Alpinistes fussent rentrés à Chamonix, l'hôtelier Tairraz envoya un express à Saussure, espérant ainsi attirer chez lui l'illustre voyageur. Celui-ci ne voulut point quitter son auberge habituelle ni la bonne Mme Couteran qui le recevait depuis tant d'années. Mais il chargea Tairraz de préparer immédiatement une expédition, d'envoyer un groupe des meilleurs guides lui dresser deux huttes, l'une au sommet de la montagne de la Côte, l'autre sur le plus haut rocher des Grands-Mulets.

       Notons en passant que cet endroit est resté l'étape quasi-réglementaire où l'on passe la nuit quand on monte au Mont-Blanc. La hutte est devenue presque un petit hôtel. Sur l'ordre de Saussure Tairraz devait aussi s'entendre avec Jacques Balmat pour préparer une prochaine ascension, s'assurer des guides, des porteurs, etc...

 

Claude Nisson - La conquête du Mont-Blanc (1930)

 

n°565
 

       Il ne disait pas que depuis la fameuse soirée, il ne perdait pas son ennemi de vue et que, lentement, il accumulait les charges contre lui. Ainsi avait-il appris que l'ancien huissier  de la mairie avait fait l'acquisition d'un solide marteau chez un quincaillier de Crown-Commons et qu'au bar du Joyeux Pendu , il avait proclamé, dans une heure d'ivresse, qu'il ferait son affaire "à ce maîre de malheur".

       Mais dès le lendemain du 4 juin, jour où sa surveillance devenait officielle, M.Tiggs ne revit pas sa future proie. Mudge, qui était célibataire, habitait depuis sa déchéance un infâme garni dans Towns End.

 

John Flanders(1887-1964) - Contes d'horreur et d'aventures (Les collines rouges)

 

n°564
 

       La dernière chose que me dit Ezra, avant de se rendre à Rapallo, fut : "Hem', je voudrais que tu gardes ce pot d'opium et n'en donnes à Dunning que s'il en a besoin." C'était un grand pot de cold-cream et après avoir dévissé le le couvercle je vis que le contenu était sombre et gluant, et dégageait une odeur d'opium brut. Ezra l'avait acheté à un chef indien, disait-il, avenue de l'Opéra, près du boulevard des Italiens, et il avait coûté très cher.

       Je pensais qu'il provenait sans doute d'un vieux bar appelé le "Trou dans le Mur" et qui était un repaire de déserteurs et de trafiquants de drogue, pendant et après la guerre. Le "Trou dans le mur" était un bar très étroit, à peine plus large qu'un couloir, avec une façade peinte en rouge, dans la rue des Italiens.

 

Ernest Hemingway - Paris est une fête (1964) - (roman)

 

n°563
 

       Il n'est pas moins important de définir ce que vous attendrez de votre chien. S'agit-il d'un simple compagnon, ou d'un gardien de vos biens et des membres de votre famille ? Voulez-vous un chien qui vous accompagne à la chasse ou qui vous aide à garder vos moutons ? Tous ces points méritent de mûres considérations. Il s'agit pour finir de décider du sexe de votre futur compagnon et d'opter soit pour un animal seul, soit pour plusieurs animaux, si vous voulez dès le début vous lancer dans un élevage.

       Ce petit volume ne mentionne que les races les plus répandues et les plus appréciées. pour chaque chien décrit, on retrace l'historique  de son apparition, ses traits de caractère, ses principales aptitudes. L'ouvrage énumère aussi les critères qui permettent de définir le standard de la race : taille, poids, coloration, poil. Comme le chien manifeste souvent ses humeurs par la position de sa queue, nous avons jugé utile de mentionner son port habituel. 

 

 

Ludek Dobroruka - Les chiens (1965) - (atlas illustré)

 

n°562
 

       - Vous voyez bien que ce sont des racontars, vous vous fiez à des journalistes qui ne savent quoi inventer pour faire vendre leurs méprisables journaux, pour servir leurs patrons, dont ils sont les domestiques ! Vous croyez cela, monsieur Dudard, vous, un juriste, un licencié en droit. Permettez-moi de rire ! Ah! ah! ah!

       - Mais moi je l'ai vu, j'ai vu le rhinocéros. J'en mets ma main au feu.

       - Allons donc, je vous croyais une fille sérieuse.

       - Monsieur Botard, je n'ai pas la berlue! Et je n'étais pas seule, il y avait des gens autour de moi qui regardaient.

       - Pfff! Ils regardaient peut-être autre chose!...Des flâneurs, des gens qui n'ont rien à faire, qui ne travaillent pas, des oisifs.

       - C'était hier, c'était dimanche.

 

Eugène Ionesco - Rhinocéros (1959) - (théâtre)

 

n°561
 

       Depuis ma dernière sortie, les arbres des Champs-Elysées ont roussi. Je m'étonne de ce changement de saison. Il me semblait que le temps passé en prison ne devait pas compter, au dehors. Entré au Cherche-Midi un 8 juillet, je pensais en sortir - après combien de siècles? - le même 8 juillet. Mais il me faut constater qu'un été a fui, avec son éclat particulier, ses torpeurs, ses voyages que je ne ferai plus, ses femmes que j'aurai manquées.

        Cet automne précoce s'est aussi abattu sur mon juge d'instruction : ses tempes ont blanchi. En juillet il me reprochait d'avoir médit de l'Italie. Cette fois, butant sur la même page, il déclare sportivement : "Je reconnais que là, vous avez été bon prophète" . Premières illusions, tombant avec les première feuilles...

 

Alfred Fabre-Luce - Double prison (1946) - (souvenirs de captivité)

 

n°560
 

       On ne parla que de nous. On fit la queue le matin à la boucherie de Léonore pour y rencontrer ma mère et la contraindre à livrer un peu d'elle-même. Des créatures qui, la veille, n'étaient pourtant pas sanguinaires, se partageaient quelques uns de ses précieux pleurs, quelques plaintes arrachées à son indignation maternelle.

        Elle revenait épuisée, avec le souffle précipité d'une bête poursuivie. Elle reprenait courage dans sa maison, entre mon père et moi, taillait le pain pour les poules, arrosait le rôti embroché, clouait, de toute la force de ses petites mains emmanchées de beaux bras, une caisse pour la chatte près de mettre bas, lavait mes cheveux au jaune d'oeuf et au rhum.

 

Colette - La Maison de Claudine (1922) - (roman)

 

n°559
 

       On dit que le fleuve a atteint son profil d'équilibre lorsque la pente est assez diminuée pour que la force érosive de l'eau soit égale à la résistance des roches formant le lit du fleuve. Il est évident que si le niveau de base change, par suite d'un soulèvement du sol, le profil d'équilibre se modifie en conséquence.

       Tous les fleuves ne se trouvent pas au même état d'équilibre. Si le tronçon supérieur prédomine, le cours d'eau est à l'état de jeunesse , ex : la Durance ; si les trois tronçons sont à peu près égaux, il est à l'état de maturité, ex : la Loire ; enfin, si le tronçon inférieur s'étend très loin, c'est l'état de vieillesse , ex : le Missipi. Il est évident que depuis sa formation, le fleuve vieux a passé successivement par ces trois états.

 

V.Boulet - Géologie (4ème) (1925) - (manuel scolaire)

 

n°558
 

       Cette visite à un diplomate m'incline à jeter un regard critique sur tous ces messieurs de la Carrière avec lesquels j'ai eu des contacts depuis la constitution de la mission. Tous sont distingués, mesurés et prudents dans leurs paroles. Trois m'apparaissent dominer le lot : Massigli ici, Couve de Murville à Alger, Panafieu auprès de moi.

        Ce dernier, comme il convient, joue à la fois le jeu de la mission, son jeu personnel et celui du Quai. Je devine et découvre parfois, de sa part, des initiatives très personnelles. L'essentiel est que, sans qu'il soit nécessaire que je redresse, je le maintienne dans ce que je crois "le droit fil de la mission". C'est d'ailleurs un excellent collaborateur.

 

René Bouscat - Dossier d'une mission (1967)

 

n°557
 

       Après un temps assez long, comme il était à moitié plongé dans une sorte de rêve, il lui sembla à travers ses paupières demi-closes, apercevoir une faible clarté. Il tressaillit, et secouant par un dernier effort le sommeil qui l'envahissait, il ouvrit les yeux tout grands. Le brouillard était encore autour de lui, mais il était devenu à demi lumineux. De pâles rayons pénétraient à travers la brume : la lune venait de se lever.

       Bientôt la brume elle-même devint moins épaisse, elle se dissipa comme un mauvais rêve. A travers chacune des branches du vieux sapin, les étoiles brillantes se montrèrent dans toute leur splendeur, et à peu de distance la vieille tour qu'André avait tant cherchée se dressa devant lui inondée de lumière. Le coeur d'André battit de joie. Il serra son jeune frère dans ses bras. "Réveille-toi mon Julien, s'écria-t-il; regarde, le brouillard et l'obscurité sont dissipés ; nous allons pouvoir enfin repartir."

 

G.Bruno - Le tour de la France par deux enfants (1877) - (récit pédagogique)

 

n°556
 

       - Tu es le roi, mais tu dois m'accorder licence de te répondre en égal. J'en ai le droit. Je ne suis pas à ton service, je suis le ministre de Loxias ; aussi ne me verra-t-on pas rechercher le patronnage de Créon. Puisque tu m'as fait honte d'être  aveugle, je te dirai ceci : toi qui as tes yeux, tu ne vois ni dans quel abîme tu es tombé, ni où tu habites, ni de qui tu partages la vie. Sais-tu seulement de qui tu es né ? Des tiens, morts et vivants, tu es l'ennemi sans le savoir. Bientôt, s'approchant pas à pas, terrible, et te frappant tour à tour par ton père et par ta mère, la Malédiction attachée à ton sang te chassera du pays. Alors toi qui as si bonne vue, tu seras dans la nuit. Où tes cris n'iront-ils pas demander asile ? Quel Cicéron ne les répercutera, quand tu connaîtras le secret de tes noces et de ta maison, et vers quel mouillage interdit tu as vogué vent arrière !

 

Sophocle - Oedipe roi (c.425av) - (théâtre)

 

n°555
      

          Notre nation a déjà un caractère ; son système militaire doit être autre que celui de ses ennemis : or, si la nation française est terrible par sa fougue, son adresse, et si ses ennemis sont lourds, froids et tardifs, son système militaire doit être impétueux.

           Si la nation française est pressée dans cette guerre par toutes les passions fortes et généreuses, l'amour de la liberté, la haine des tyrans et de l'oppression, si au contraire ses ennemis sont des esclaves mercenaires, automates sans passions, le système de guerre des armes françaises doit être l'ordre du choc.

           Le même esprit d'activité doit se répandre dans toutes les parties militaires ; l'administration doit seconder la discipline.

 

Saint-Just (1767-1794) - Oeuvres choisies 

 

n°554
 

       Après deux ou trois séchées d'émeri, un examen superficiel par réflexion pourrait faire croire que les fractures du carbo sont éliminées ; mais examinons le verre par transparence devant une forte lampe, nous avons des petits accidents brillants, clairsemés sur le fond plus uni où l'émeri a travaillé ; il y a aussi des écailles sourdes invisibles pour l'instant, mais qui vont partir en laissant de nouveaux trous.

        Il est donc nécessaire de poursuivre le travail avec  l'émeri jusqu'à ce que nous soyons sûrs d'avoir éliminé tous les accidents, ce qui pourra demander quinze ou vingt séchées ou même plus. Toutefois l'émeri laisse lui-même des fractures inégales ;  on s'arrêtera quand on verra que les accidents anormaux repérés lors de la séchée précédente par un cercle au crayon au dos du miroir ne se retrouvent plus au même endroit.

 

Jean Texereau - La construction du télescope d'amateur (1961)

 

n°553
 

       L'homme archaïque tente de s'opposer, par tous les moyens en son pouvoir, à l' histoire, regardée comme une suite d'évènements irréversibles, imprévisibles et de valeur autonome. Il refuse de l'accepter  et de la valoriser comme telle , comme histoire, sans parvenir pour autant à la conjurer toujours; par exemple, il ne peut rien contre les catastrophes cosmiques, les désastres militaires, les injustices sociales liées à la structure même de la société, ou les malheurs personnels, etc.

       Aussi serait-il intéressant d'apprendre comment cette "histoire"  était supportée par l'homme archaïque, c'est à dire comment il endurait les calamités, la malchance ou les "souffrances" qui entraient dans le lot de chaque individu et de chaque collectivité.

 

Mircéa Eliade - Le mythe de l'éternel retour (1969) -(essai)

 

n°552
 

       Le théâtre de Claudel se moque de la psychologie romantique ou bourgeoise comme de l'architecture classique; l'auteur de Partage de Midi renoue avec le lyrisme des Grecs (il a d'ailleurs traduit Eschyle), de Shakespeare et de Lope de Vega.

        L'entreprise de Claudel (la recherche d'un théâtre poétique total, qui se moque des moyens comme du public) n'a pas d'égale dans notre siècle. Elle compte des réussites admirables  comme le premier acte de Partage de Midi ; et des échecs évidents  : en dépit des efforts de Jean-Louis Barrault, Tête d'Or n' a pas vraiment passé la rampe.

 

Pierre de Boisdeffre - La littérature d'aujourd'hui (1958)

 

n°551
 

       Sous la clarté lunaire, nous pénétrâmes dans la périlleuse passe des récifs de Bora-Bora et mouillâmes au large du village de Vaïtapé. Bihaoura, avec l'impatience d'une bonne ménagère, brûlait d'arriver chez elle pour préparer un autre plantureux repas. Tandis que la chaloupe l'emmenait avec son mari vers la petite jetée, des bruits de chansons et d'instruments de musique nous parvinrent aux oreilles.

        Partout dans les îles de la Société, on nous avait prévenus que les habitants de Bora-Bora débordaient de gaieté. Pris de curiosité, Charmian et moi descendîmes à terre. Sur la place du village, non loin des tombes oubliées sur la grève, des jeunes gens et des jeunes filles dansaient, couverts de fleurs.

 

Jack London - La croisière du Snark (1911) - (roman)

 

n°550
 

       Le secrétaire d'Etat Von Weizsäcker avait déclaré à l'ambassadeur d'Angleterre, le 19 juillet 1939 : "Monsieur Hitler est persuadé que l'Angleterre ne se battra jamais pour Dantzig." Et lors de la fameuse conférence qu'il eut le 22 aoùt à l'Ober-Salsberg, avec ses généraux de groupes d'armées et d'armées, Hitler s'était exprimé  dan le même sens. D'après lui, l'armement de l'Angleterre était encore insuffisant pour que la situation se modifiât en sa faveur. Se sentant très vulnérable, elle ne souhaitait pas être entraînée dans une guerre avant trois ou quatre ans.

        Les armements de la France étaient en partie périmés, mais encore assez bons. Sa population décroissait sans cesse et elle ne pourrait se permettre de mener une guerre de longue durée. Hitler fit aussi allusion à la conclusion prochaine d'un pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique, dans l'espoir que cette nouvelle dissiperait les dernières réserves des généraux.

 

Gert Bucheit - Le complot des généraux contre Hitler (1967) - (histoire)

 

n°549
 

       Tu nous a donné un moment de bons rires avec tout ton passage sur Athman. Mais, cher ami, as-tu pu te méprendre une minute sur mon opinion quant à ce projet ? Je le condamne absolument. Je sais que ta mère le fait aussi. Je sais tous les arguments qu'elle t'a opposés. Je condamne ce projet d'emmener Athman en France, parce que je crois qu'il a neuf chances sur dix de tourner contre le pauvre garçon. Au fond, regarde bien : c'est moins pour lui que pour toi que tu l'emmènes.

        Je crois que toutes ses qualités, un peu bien négatives à Biskra, vont se transformer en défauts très positifs dans notre monde civilisé. Tu vas en faire un dérouté, un déraciné. Tu disais de la Brévine  : "Ces pays-là ont leurs habitants." On pourrait dire d'Athman et des autres : ces gens-là ont leur pays ; et, dans son pays seulement, Athman est enfant heureux et attrayant. Punktum damit !

 

Jean Schlumberger - Madeleine et André Gide (lettre de Madeleine à son mari du 10 mars 1895)

 

n°548
 

       Ces propos, j'aurais aimé les tenir dans cette réunion d'information. Je suis sûr qu'ils auraient désamorcé les projets machiavéliques de l'imprécateur. Se serait-il levé ? On peut en discuter interminablement. Ce dont je suis certain, hélas, c'est qu'aujourd'hui il est vain de se le demander. Je suis persuadé que, si les dirigeants américains avaient eu alors l'idée de ce qui se préparait, ils auraient volontiers accepté de parler un tel langage en échange d'une préservation générale et d'un enrayement du processus.

       Mais voilà : l'histoire des peuples et des entreprises montre qu'il est impossible de faire entendre normalement des propos prémonitoires. Ils apparaissent toujours aux contemporains des tragédies comme fantaisistes, déplacées et, quelquefois, déments. Plus tard, à la faveur de lamentables épilogues, on admet qu'ils étaient intelligents.

 

René-Victor Pilhes - L'imprécateur (1974) - (roman)

 

n°547
 

       D'une manière générale, l'art ou bien exécute ce que la nature est impuissante à effectuer ou bien l'imite. Si donc les oeuvres de l'art sont produites en vue de quelque fin, les choses de la nature le sont également ; c'est évident, car dans les oeuvres de l'art comme dans les choses de la nature, analogue est le rapport entre les conséquents et les antécédents. C'est surtout visible pour les animaux autres que l'homme, qui n'agissent ni par art ni par recherche ni par délibération. D'où cette question les araignées, fourmis et animaux de cette sorte travaillent-ils avec l'intelligence ou quelque chose d'approchant ?

        Or en avançant un peu de ce côté, on voit dans les plantes mêmes les choses utiles se produire en vue de la fin, par exemple les feuilles en vue d'abriter le fruit. Si donc c'est par une impulsion naturelle et en vue de quelque fin que l'hirondelle fait son nid et l'araignée sa toile, et si les plantes produisent leurs feuilles en vue des fruits, et dirigent leurs racines non vers le haut mais vers le bas en vue de la nourriture, il est clair que cette sorte de causalité existe dans la génération et dans l'être des choses de la nature.

 

Aristote(384-322) - Physique 

 

n°546
 

       Une légende originaire de la région de Florence nous dit ceci : une femme se désolait de ne pouvoir avoir d'enfant. Un jour qu'elle marchait dans la forêt, elle rencontra une vieille magicienne qui lui conseilla de prendre une citrouille, d'y percer un trou, de verser du lait dedans, puis de le boire. Elle suivit ces directives, et se trouva peu après enceinte.

        Elle donna naissance à un fils qui devint musicien. Son talent était si exceptionnel, qu'à l'âge de quinze ans il était le meilleur ménestrel de la région. On dit qu'il savait jouer de tous les instruments, mais sa faveur allait au luth dont il ne se séparait jamais.

 

Gabriel Yacoub - Les instruments de musique populaire et leurs anecdotes (1986)

 

n°545
 

       Ces souvenirs me revinrent à l'esprit, et je vis clairement que, puisque la voix de mon oncle arrivait jusqu'à moi, aucun obstacle n'existait entre nous. En suivant le chemin du son, je devais logiquement arriver comme lui, si les forces ne me trahissaient pas. Je me levai donc. Je me traînai plutôt que je ne marchai. La pente était assez rapide. Je me laissai glisser.

        Bientôt la vitesse de ma descente s'accrut dans une effrayante proportion, et menaçait de ressembler à une chute. Je n'avais plus la force de m'arrêter. Tout à coup le terrain manqua sous mes pieds. Je me sentis rouler en rebondissant sur les aspérités d'une galerie verticale, un véritable puits. Ma tête porta sur un roc aigu, et je perdis connaissance.

 

Jules Verne - Voyage au centre de la Terre (1864) - (roman)

 

n°544
 

       A l'extrême nord de l'Europe, aux limites de la civilisation, a lieu, depuis plus de deux ans, un service aérien de peu d'étendue mais régulier. Cette ligne d'avion des contrées désertes des terres arctiques est certainement de la plupart complètement inconnue. Les résultats obtenus aux points de vue technique et autres, en raison des conditions exceptionnelles causées par le caractère de la route, sont sans doute sans grande importance pour l'avenir de la navigation aérienne.

       Toutefois, nous avons lieu de croire que ces conditions particulières donnent à ce service d'avions un certain intérêt. C'est dans le but de renseigner les amis de l'aviation que nous publions ce court exposé sur la route aérienne la plus septentrionale du monde, son origine, son but, et les résultats obtenus.

 

 Aéro-Club de Suède - La route aérienne Porjus-Suorva (1923)

 

n°543
 

       Maintenant, j'ai une bien bonne nouvelle à t'annoncer. J'ai consulté hier le docteur Béchet qui a été fort aimable, et très-sérieux. Il m'a dit que je souffrais des nerfs, mais que ma poitrine n'était pas attaquée, que je n'avais aucune crainte à avoir et m'a donné une ordonnance que je ferai exécuter demain matin, encore de l'arsenic, je crois.

       L'exercice m'a fait du bien ; hier je maudissais Grivolas qui m'a fait faire tout le tour de Villeneuve, et je ne pouvais plus aller ; j'en ressens les bons effets ce matin et respire librement. Un dernier détail de santé, j'ai la figure toute rose, mais d'un vilain rose, ayant été brûlé par le soleil sur le Bateau.

       Adieu bon ange, embrasse bien pour moi cette méchante petite fille qui m'appelle vieux singe, et prie-la de t'embrasser de ma part. Je te tiendrai au courant de tout ce qui pourrait se dire à ton sujet.

 

Stéphane Mallarmé (à Mme) - Correspondance (Dimanche 12 août 1866)

 

n°542
 

       Après Noël, le maître appela les élèves au tableau et leur demanda de raconter ce qu'ils avaient trouvé sous l'arbre. Jaromil commença à énumérer un jeu de constructions, des skis, des patins à glace, des livres, mais il constata bien vite que les enfants ne le regardaient pas avec la même ferveur qu'il les regardait lui-même, et que certains avaient au contraire une expression indifférente, et même hostile. Il s'interrompit et ne souffla mot des autres cadeaux.

        Non, non, soyez sans crainte, nous n'avons pas l'intention de recommencer l'histoire mille fois contée du gosse de riche que ses petits camarades pauvres prennent en haine ; il y avait en effet dans la classe de Jaromil des enfants de familles plus fortunées que la sienne, et pourtant ils s'entendaient bien avec les autres et personne ne leur reprochait leur richesse. Qu'avait donc Jaromil qui déplût à ses camarades, qu'y avait-il donc en lui qui les agaçait, qu'est-ce qui le rendait différent ?

 

Milan Kundera - La vie est ailleurs (1973) - (roman)

 

n°541
 

       Après la première guerre mondiale, la tôle d'acier mince fit une offensive fulgurante dans la construction automobile. On remplaça un grand nombre de pièces en fonte ou en tôle épaisse par des pièces beucoup plus légères composées d'éléments en tôle mince emboutis et soudés entre eux. Il en résulta de notables allègements. Un exemple vient à l'esprit, celui des châssis.

        Construits jusque-là en tôle très épaisse, ils étaient lourds et peu rigides. Les hommes d'André Citroën s'aperçoivent de ce dernier défaut lorsque, en 1925, le Patron leur impose la carrosserie tout acier lancée en 1920 par le grand Américain, E.G. Budd, de Philadelphie. Les caisses n'acceptent plus les déformations comme le faisaient celles en bois recouvert de tôle. Elles cassent. On renforce le châssis qui devient semblable à celui d'un camion.

 

J.A. Grégoire - L'automobile de la pénurie (1975)

 

 

 

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