MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

 

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n°120
 

       Une "soirée" avait été prévue au Sainte-Rose, pour fêter cette cinquième Coupe Houligant et Yvonne la triomphatrice de la journée. Elle a choisi de mettre une robe en lamé vieil or.

       Elle avait déposé la Coupe sur la table de nuit, à côté du livre de Maurois. Cette Coupe était, en réalité, une statuette représentant une danseuse qui faisait des pointes sur un petit socle où l'on avait gravé en lettres gothiques : "Coupe Houligant. 1er prix." Plus bas, le chiffre de l'année.

       Avant de partir, elle l'a caressée de la main puis s'est pendue à mon cou.

            - Tu ne trouves pas ça merveilleux ? m'a-t-elle demandé.

        Elle a voulu que je mette mon monocle et j'ai accepté, car ce n'était pas un soir comme les autres.

 

Patrick Modiano - Villa Triste (1975) -(roman)

 

n°119
 

       "J'ai pensé que l'ouverture devait éclairer les spectateurs sur l'action et en être pour ainsi dire l'argument et la préface."  Ainsi s'exprimait Gluck à propos d'Alceste. au cours des cent cinquante années qui venaient de s'écouler depuis la création de l'opéra en Italie, l'ouverture - quelle qu'ait été la forme adoptée -  ne débouchait pas sur l'action elle-même, mais sur un prologue allégorique. Son caractère décoratif ne peut donc surprendre.

 

Encyclopoche Larousse - La musique à travers ses formes (1978) 

 

n°118
 

       Les idées anciennes sur l'origine des eaux souterraines sont nombreuses et extrêmement variées. En fait deux théories principales conservent encore de nos jours toute leur valeur. La première émise par Vitruve, développée et précisée par B.Palissy, encouragée par Vassius, fut établie scientifiquement par Mariotte à l'aide de nombreuses observations.

        Les eaux souterraines, suivant cette théorie, sont liées aux possibilités de pénétration  des eaux fluviales dans le sol, jusqu'à une couche imperméable sur laquelle elles peuvent ruisseler ou s'écouler.

 

Félix Trombe - Les eaux souterraines (QSJ n°455) (1950) 

 

n°117
 

       -Me voici, Hégion. A ton service !

        -Il dit qu'il a vendu mon fils à ton père, en Elide, pour six mines.

        -Combien y a-t-il de cela ?

        -Voici la vingtième année.

        -Il ment.

         -Moi ou toi ? Ton père te donna en pécule un enfant de quatre ans ; tu étais enfant comme lui.

          -Son nom ? Si tu dis la vérité, nomme-le-moi.

          -On l'appelait Pegnium, mais vous lui avez donné le nom de Tyndare.

          -Pourquoi ne te reconnais-je pas ?

           -Parce que les hommes ont coutume d'oublier et de ne pas reconnaître ceux dont l'amitié ne leur promet rien.

      

Plaute - Les captifs (c.220av.) -(théâtre)

 

n°116
 

       Ainsi passèrent les jours jusqu'à ce que Keawe s'en fût rendre visite à certains de ses amis dan le village de Kailua. On lui fit fête et on le régala mais dès le matin suivant, aussitôt qu'il le put, le brave homme quitta ses hôtes et piqua des deux dans son impatience de retrouver sa belle demeure. Aussi bien, la nuit qui suivait étant celle où les morts des anciens jours sortent de leurs tombes pour aller se pronener dans les chemins de la falaise et, comme Keawe avait déjà eu affaire avec le diable, il ne tenait pas trop à rencontrer des fantômes.

  

Robert Louis Stevenson - Le diable dans la bouteille (1891) -(nouvelle)

 

n°115
 

       Nous sommes en 1960 à Moscou. Je marche le long de la rue Arbat. Après le théâtre Vakhtangov, je tourne à droite dans une petite ruelle et je m'arrête au n°11, devant le Musée Scriabine. Aujourd'hui c'est mercredi et le musée est fermé. Mais des fenêtres du second étage parviennent des sons étouffés.

       Je monte les marches du perron, je sonne. Le collaborateur du musée qui m'ouvre la porte consent aimablement à me faire visiter le modeste appartement du grand compositeur. Je traverse la salle à manger puis le salon où j'aperçois deux pianos à queue recouverts  d'un beau vernis noir. J'ouvre une porte puis une autre, quand, tout à coup, je m'arrête net, surpris par les sons harmonieux d'un puissant accord. Il ne ressemble à rien de ce que j'ai entendu jusque-là.

 

Gleb Anfilov - Physique et Musique (1969) -(essai)

 

n°114
 

       A parler franc, je ne crois pas, en ce qui me concerne, à l'importance de toutes ces histoires. Education, tu n'as que ce mot-là. Mais là aussi, ce qui est décisif, c'est la prédestination, la grâce.  Sr ce point, aussi bon luthérien que je sois, j'en tiens pour Calvin. Et si Calvin te fait de la peine, laisse-moi te rappeler le vieux proverbe : "Tel le bébé au berceau, tel le vieillard au tombeau". L'éducation ne pèse pas lourd. Et s'il faut parler d'éducation, c'est la maison qui la donne.

 

Théodore Fontane - Jours disparus (1891) -(roman)

 

n°113
 

       Si la sténographie parlementaire occupe en effet la première place, il est cependant juste de dire que les applications de l'art abréviatif dans le barreau et dans le commerce surtout, doivent particulièrement attirer l'attention d'une nation chez laquelle les intérêts commerciaux tiennent le plus grand nombre d'individus en éveil.

        Il faut reconnaître que la sténographie a pris à l'étranger une extension considérable au point de vue surtout de son application à la correspondance commerciale. En Angleterre, ce développement s'est manifesté d'une manière tout à fait particulière depuis cinquante ans : c'est par centaines de mille que sont comptés les sténographes chez nos voisins d'outre-Manche.

 

Paul Fleury - Mémento de sténographie (1930)

 

n°112
 

       Autant les Ombreusiens avaient été prodigues de commérages, jadis touchant la vie galante de mon frère, autant, maintenant, en face de cette passion qui se déchaînait pour ainsi dire au-dessus de leurs têtes, ils faisaient preuve d'une respectueuse discrétion, comme en présence d'un mystère qui les dépassait. Non qu'on se privât de blâmer la conduite de la marquise ; mais on en critiquait plutôt les formes extérieures, par exemple ces galopades effrénées où elle manquait de se rompre le col ou encore ce mobilier qu'elle installait dans les arbres.

        Un vent soufflait déjà qui faisait considérer tout cela comme une nouvelle mode des nobles, une de leurs innombrables extravagances. ("Tout le monde sur les arbres à présent ! Les femmes comme les hommes ! Ils n'ont rien d'autre à inventer ? "). En somme, les temps qui s'annonçaient seraient plus tolérants, bien que plus hypocrites.

 

Italo Calvino - Le Baron perché (1957) -(roman)

 

n°111
 

       De quoi as-tu peur, imbécile ? Des gens qui sont en train de te regarder ? Ou de la postérité par hasard ? Il suffirait d'un rien; réussir à être toi-même, avec toutes tes faiblesses inhérentes, mais authentique, indiscutable. La sincérité absolue serait en soi un tel document ! Qui pourrait soulever des objections ? Voilà l'homme en question ! Un parmi tant d'autres si vous voulez mais Un ! Pour l'éternité les autres seraient obligés d'en tenir compte, stupéfaits.

 

Dino Buzzati - En ce moment précis (1963) -(carnets)

 

n°110
 

       Au 18ème s., le hautbois, laissant encore à désirer sous le rapport de la justesse et de l'agilité, fut perfectionné par les Hotteterre. Puis on en vint, progressivement, à l'adjonction de clefs  pour les demi-tons. Un hautbois à dix clefs est mentionné par Sellner dans sa méthode de 1825. Puis F.Triébert perfectionna encore l'instrument vers 1840 et diverses améliorations y furent apportées, pour aboutir au nouveau modèle de G.Gillet (Hautbois du Conservatoire de 1881).

        Depuis lors il n'y a plus de modifications essentielles et l'on peut dire que le dernier "modèle du Conservatoire" ne laisse quasiment rien à désirer.

 

Charles Koechlin - Les instruments à vent (QSJ n°267) (1948) 

 

n°109
 

       J'avais un ami qui faisait le métier d'empailleur de bêtes et tenait un petit cabinet de naturaliste. Il y a quelques mois, il le quitta pour s'établir dans une maison de maître. Pour une question d'héritage, à ce qui se disait. Il y a trois jours je le vis en rêve ; or, notez que je ne rêve jamais. Donc je le vis et je me sentis fort effrayé par son attitude. Il se tenait devant moi, immobile comme une statue : ses yeux étaient morts et froids et affreux à voir ; seules ses lèvres bougeaient.

          -"Piekenbot, dit-il,  tu feras ce que je t'ordonnerai de faire sous peine de grands malheurs. Demain à l'aube tu trouveras sur ton seuil un paquet enveloppé de grosse toile  que tu te garderas bien d'ouvrir. Tu te mettras immédiatement en route vers le Nord et tu arriveras au couvent des Pères Blancs où se trouve l'abbé Doucedame. Ce paquet lui est destiné."

 

Jean Ray - Malpertuis (1962) -(roman)

 

n°108
 

       Sans doute était-il plus sensible à la féminité des éphèbes danseurs et joueurs de cithare qu'il exerçait aussi à lancer le javelot. Ceux-ci présentaient l'avantage d'être plus facilement rattachés à l'armée que les femmes qu'il fallait se procurer dans d'horribles bordels de campagne. A la vérité, Trajan était modérément sensuel. Il sacrifiait beaucoup plus souvent à Bacchus qu'à Priape. Cela ne l'éloignait pas des femmes au contraire. Parce qu'il ne leur imposait pas sa virilité, elles s'approchaient davantage de lui. Elles découvraient son humanité, il leur livrait la partie inquiète de sa puissance.

 

François Fontaine - Mourir à Sélinonte (1984) -(roman historique)

 

n°107
 

       Souvent, comme il le fit avec Edith, papa m'emmenait au café de "L'empire" à Strasbourg-Saint-Denis. Le patron était un gros Auvergnat moustachu qui m'avait surnommée "môme caoutchouc", pour la raison toute simple que, afin d'épater ses copains, mon père me faisait faire mes numéros d'acrobatie dans la sciure  qui recouvrait le sol. Puis il me faisait grimper sur le comptoir et je faisais des claquettes sur le zinc avant de terminer par une chanson à la mode du style " Papa n'a pas voulu " ou " Prenez mes mandarines " .

Denise Gassion - Piaf ma soeur (1977) -(souvenirs)

 

n°106
 

       Le Comité, qui comprenait des grands noms de la biologie, se demanda même s'il ne serait pas possible d'obtenir les effets de radiation d'une bombe sans explosion, mais les physiciens consultés lui laissèrent peu d'espoir. Il faut remarquer que le Comité ne s'arrêta pas à l'aspect moral du problème et ne discuta pas la question de savoir s'il était pire de tuer des personnes par des rayonnements plutôt que de les annéantir par un explosif puissant.

        Quoi qu'il en soit, l'ensemble des conclusions du Comité signifiait qu'une élite de savants britanniques, sous la présidence d'un ministre du Cabinet de Guerre, avait reconnu qu'il était scientifiquement possible de fabriquer une bombe atomique.

 

Margaret Gowing - Dossier secret des relations atomiques entre Alliés 1939/45 (1965) 

 

n°105
 

       Pour préciser par un exemple, on s'expliquerait mal que le iahvisme eût pu subir impunément un séjour de trois générations en Mésopotamie, dans l'ombre de cette Babylone dont la spéculation a exercé une action si puissante et si durable  sur tout le monde asiate et hellénique, et qui, au surplus, a déjà marqué de son sceau la rédaction  des premiers chapitres de la Genèse.

        On ne comprendrait pas davantage que l'espèce d'encerclement de la Terre sainte par des villes hellénisées, dans les temps qui suivirent la conquête macédonienne, n'eût été d'aucune conséquence pour l'esprit palestinien. 

 

Charles Guignebert - Le monde juif vers le temps de Jésus (1935) 

 

n°104
 

       Un Anglais arrivé en France depuis peu veut apprendre le français. Il prend un professeur qui lui demande un jour d'énumérer les cinq doigts de la main :

         - Le pouce, fait l'Anglais, l'index, la plaisanterie, l'annulaire et l'auriculaire...

          - Mais le troisième doigt s'appelle le majeur ! proteste le professeur.

           - No, no ! Je vous assure, insiste l'Anglais, hier soir j'étais avec une petite Française. Elle m'a dit : "Je vous en prie, ne poussez pas la plaisanterie trop loin..."

 

Armand Isnard - Histoires drôles pour rire entre adultes (1984) 

 

n°103
 

       Tous bâtiments de mer peuvent être saisis et vendus par autorité de justice et le privilège des créanciers sera purgé par les formalités suivantes :

         L'huissier énonce dans le procès-verbal : -Les nom, profession et demeure du créancier pour qui il agit ; le titre en vertu duquel il procède.  -La somme dont il poursuit le payement.  -L'élection de domicile faite par le créancier dans le lieu où siège le tribunal devant lequel la vente doit être poursuivie, et dans le lieu où le navire saisi est amarré -Les noms du propriétaire et du capitaine. -Le nom, l'espèce et le tonnage du bâtiment. -Il fait l'énonciation et la description des chaloupes, canots, agrès, ustensiles, armes, munitions et provisions. -Il établit un gardien.

 

Code de Commerce - La saisie et vente de navire (art.200)   

 

n°102
 

       Des domestiques attendaient avec des lanternes et précédèrent la princesse quand elle gravit le large escalier qui, à partir du premier palier, se divisait en deux branches. Elle allait prendre possession de ses appartements, qui n'étaient pas trop spacieux, dans la partie centrale du château, flanquée de deux tours. Celles-ci se trouvaient dans les angles aigus formés par les avancées des deux ailes, reliées entre elles par une colonnade.

       Arrivée au premier palier, la princesse, asthmatique comme elle l'était, s'assit un instant sur un canapé roccoco placé là, et elle prit congé de sa suite en invitant tout le monde à s'installer le plus commodément possible dans les chambres des tours.

 

Théodore Fontane - Jours disparus (1891) -(roman)

 

n°101
 

       Toutes ces techniques sont limitées par la nécessité d'utiliser des eaux douces pour l'irrigation. Une idée révolutionnaire a été cependant développée récemment : utiliser les eaux salées, dans certaines conditions, pour l'irrigation. En fait, l'irrigation par eaux saumâtres est déjà un fait d'expérience. Des eaux de pluie ayant jusqu'à 7% de salinité sont utilisées en Italie méridionale sans effets appréciables sur la fertilité du sol, notamment avec une irrigation par grandes masses et fréquentes rotations, qui produisent un effet de lavage du sol, les sels ne pouvant plus remonter par capillarité. L'eau saumâtre peut même être bénéfique. 

 

Xavier de Planhol  - Les zones tropicales arides et subtropicales (1970) -(géographie)

 

n°100
 

       L'oeuvre principale d'Antiphon est un traité intitulé Vérité , en deux livres;  en faisaient sans doute partie les importants fragments du papyrus Oxyrhynchus. On lui attribue aussi un Sur la concorde, de style plutôt gnomique, et un Politique dont il ne nous reste pratiquement rien. A cela il faut ajouter un ouvrage particulièrement intéressant, que nous appellerions aujourd'hui psychologique, intitulé De l'interprétation des rêves.

        On s'est demandé si l'Antiphon onirocrite était bien notre sophiste; on faisait valoir en effet qu'on ne pouvait nier la providence, comme le fait le sophiste, et se livrer à la divination par les songes; mais Untersteiner a fait justice de cette objection en montrant que le caractère de l'interprétation antiphonienne des rêves est non pas religieux, mais déjà scientifique et rationnel.

 

Gilbert Romeyer-Dherbey - Les sophistes (QSJ n°2223)  (1985) 

 

n°99
 

       Nombre de personnes se rappelleront avec quel intérêt elles se sont demandé, pendant la période prépubertaire, d'où venaient les enfants. Les solutions anatomiques auxquelles elles s'étaient arrêtées étaient diverses. Elles supposaient que les enfants naissaient du sein, ou qu'ls sortaient du ventre par une incision ou que le nombril s'ouvrait pour les laisser passer.

        Sans le secours de la psychanalyse, on ne se souvient que très rarement des recherches faites à ce sujet pendant l'enfance ; un refoulement est intervenu, mais toutes ces recherches aboutissaient à un même résultat : on met l'enfant au monde quand on a mangé quelque chose de spécial.

 

Sigmund Freud - Trois essais sur la théorie de la sexualité (1923) 

 

n°98
 

       Ce "cracher" n'était bien entendu qu'une coïncidence; sur la bouche de Léa en moi il ne pouvait rien savoir, il ne savait rien, curieux cependant que les coïncidences arrivent plus souvent qu'on ne pourrait le supposer, la glu, une chose se colle à l'autre, les évènements, les phénomènes sont comme des billes aimantées qui se cherchent, dès qu'ils sont près l'un de l'autre, hop... ils se réunissent... le plus souvent n'importe comment... mais qu'il ait découvert ma passion pour Léna, eh bien ça n'a rien d'étonnant, il doit être un bon spécialiste, est-ce donc lui qui a pendu le moineau, lui qui était derrière la flèche, le bout de bois, le timon peut-être ?

      Peut-être... oui c'est lui... mais ce qui est curieux, vraiment très curieux, c'est que cela ne change rien : que ce soit lui ou pas c'est la même chose, d'une façon comme d'une autre le moineau et le bout de bois sont là... avec la même force, ils ne sont nullement affaiblis, mon Dieu, n'y aurait-il plus de salut ?

 

Witold Gombrowicz - Cosmos (1965) -(roman)

 

n°97
 

                              Toute l'armée sut bientôt qu'Epaminondas était tombé. Cet homme extraordinaire avait une telle influence sur ses troupes que l'annonce de sa mort paralysa leur action. Les hoplites perdirent soudain toute ardeur et n'eurent plus la force de poursuivre encore l'ennemi. Chacun s'arrêta là où il se trouvait, on ne fit pas un pas de plus. Non seulement la cavalerie arrêta de poursuivre l'ennemi, mais s'enfuit elle-même comme si elle avait été vaincue.

                               Rarement une armée avait donné une telle preuve de sa dévotion envers son chef. Cet homme incarnait tous les espoirs de Thèbes. Lorsqu'il disparut, ses soldats n'eurent même plus assez de confiance en eux pour détruire un ennemi en déroute. C'était un spectacle à la fois sublime et navrant. Personne n'en aurait souffert plus qu'Epaminondas lui-même. 

 

Carl Grimberg - La Grèce et les origines de la puissance romaine (1963) 

 

n°96
 

       Cependant que la fermière lorraine avait fait le beurre en compagnie de Julien, ses enfants avaient achevé leurs devoirs sous la direction d'André. La veuve les envoya tous jouer et se mit à préparer le souper.

       On fit une grande partie de barres, ce qui excita l'appétit de toute cette jeunesse : la friture et la salade parurent excellentes ; mais André et Julien, qui se ressentaient de leur course de nuit, trouvèrent bien meilleur encore le bon lit que la fermière leur avait préparé; ils dormirent d'un seul somme jusqu'au lendemain.

 

Le tour de la France par deux enfants - G.Bruno (1877) -(récit pédagogique - manuel scolaire)

 

n°95
 

       C'était invraisemblable, affolant. Je ne parvenais pas à découvrir la moindre présomption de tricherie. J'avais vu, de mes yeux vu, le caramel passer de l'autre côté du mur du cimetière. Je m'enquis : "Mais comment a-t-il pu venir du cimetière jusqu'ici ? En volant dans les airs ? Et comment a-t-il fait pour traverser les murs de cette maison ?"

        Et Lava, le plus tranquillement du monde : "Ce caramel ne s'est pas déplacé dans l'espace. La matière ne peut passer à travers la matière. Dans ces cas-là, c'est l'espace-temps qu'elle traverse. Mais évidemment vous ne pouvez pas comprendre."

 

Dino Buzzati - Mystères à l'italienne (1978) -(nouvelles)

 

n°94
 

       Les surréalistes alertent le bourgeois : c'est de sa vie, de son milieu, de l'intérieur même de sa morale que sourd le venin d'une "inquiétante étrangeté" et d'une mouvante perversion, car ils affirment, après Freud, le caractère sexuel des actes et des situations, des objets même. "Si l'on songe, écrit Breton dans Les vases communicants, à l'extraordinaire force que peut prendre dans l'esprit du lecteur la célèbre phrase de Lautréamont : "Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie", et si l'on veut se reporter à la clé des symboles sexuels les plus simples, on ne mettra pas longtemps à convenir que cette force tient à ce que le parapluie ne peut ici représenter que l'homme, la machine à coudre que la femme et la table de dissection que le lit, commune mesure lui-même de la vie et de la mort."

 

Xavière Gauthier - Surréalisme et Sexualité (1971) -(essai)

 

n°93
 

       L'été agissait comme une fourmi, il y avait de la persévérance dans les feuilles, une odeur florale, un ciel où les nuages apparaissaient enfin dans toute leur rondeur, parfois de belles pluies grasses sur une plage hachurée par les tornades. On recommençait à espérer, à rouvrir des boutiques. Les Cagepain avaient fourbi leurs vitres, épousseté leurs appareils photo et toutes leurs bricoles.

       Le dimanche, chacun se reprenait à vivre, à se baigner les pieds, les pantalons relevés comme autrefois; les voitures circulaient, stoppaient devant la jetée-promenade. La mer paraissait incertaine, brune ; le vent frisait les vagues au ralenti.

 

Jean Cayrol - Kakemono Hôtel -(1974) -(roman)

 

n°92
 

       Après six mois à deux ans d'exercices réguliers, le sujet pourra éventuellement  accéder au grade supérieur. Celui-ci nécessitera, comme condition première, une maîtrise complète des exercices du premier degré permettant la déconnexion spécifique de manière absolument immédiate par un très bref acte de concentration intérieure.

 

R.Durand de Bousingen - La relaxation (QSJ n°929)  (1970) 

 

n°91
 

       C'était une école du soir destinée aux apprentis commis de magasin, on leur avait donné plusieurs devoirs de calcul qu'ils devaient maintenant mettre par écrit. Mais il y avait un tel vacarme sur tous les bancs que personne, avec la meilleure volonté du monde, ne pouvait faire le moindre calcul. Le plus calme était le maître assis en haut de sa chaire, c'était un jeune étudiant maigre qui se cramponnait en quelque sorte à cette conviction que les élèves travaillaient à leurs devoirs et que, par conséquent, il avait le droit de se consacrer à ses propres études, ce qu'il faisait d'ailleurs en se comprimant les oreilles avec ses pouces. Soudain on frappa, c'était l'inspecteur des écoles du soir.

Franz Kafka - Cahiers divers (c.1910) 

 

 

 

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